La décision de dernière minute prise par le ministère de l'éducation nationale d'appliquer l'enseignement à distance dans l'ensemble des arrondissements de Casablanca, et plusieurs autres villes du Royaume, ne passe toujours pas. Cette décision « surprise », intervenue la veille de la rentrée scolaire prévue le 7 septembre suite à la hausse conséquente des cas confirmés Covid-19, a également concerné les crèches, où il ne s'agit pas d'enseignement pur et dur, mais plutôt d'éducation et d'accompagnement des enfant âgés entre 1 et 4 ans. Un accompagnement qui ne peut être fait à distance, estiment les professionnels du secteur. Dans une lettre ouverte adressée au ministre de l'éducation nationale, Said Amzazi, et publiée sur les réseaux sociaux, la directrice d'une crèche de la métropole, contrainte de fermer son établissement depuis l'annonce de la tutelle le 6 septembre dans la soirée, a exprimé son indignation face à cette décision, en clarifiant le comment du pourquoi de sa colère. Egalement mère de deux enfants en bas âge, cette professionnelle du secteur a exprimé dans un premier temps son étonnement face à cette décision qui intervient « alors même que plusieurs centres de loisirs restent ouverts et accueillent plusieurs enfants tous les jours, dans des conditions qui ne sont contrôlées par aucun cahier de charge ni aucun organisme. Alors même que les cafés et restaurants restent ouverts et ne respectent pas pour la plupart la distanciation sociale ni le port de masque, alors même que les supermarchés grouillent de personnes, d'enfants sans masque ; alors même que les transports en commun sont opérationnels ... ». Tout cela et plus, n'a pas lieu dans les crèches, fait elle remarquer. Et pourtant, avant même de laisser le temps aux écoles de le prouver, le département de l'éducation nationale a décidé de tout fermer, souligne-t-elle. Alors que la règle était l'enseignement en présentiel pour la rentrée scolaire 2020-2021, avec la possibilité pour les parents de choisir entre le présentiel et à distance (une décision critiquée en long et en large par les parents et syndicats), les établissements scolaires privés, notamment les crèches, se sont bien préparés en mettant en place plusieurs mesures et protocoles d'hygiène et en rassurant les parents dans le but d'assurer le bon déroulement de cette opération, avec l'application des consignes livrées par la tutelle début septembre. Cela dit, il s'agit d'un investissement matériel et humain perdu qui n'a profité finalement à personne. Ni aux élèves, ni aux enseignants, ni aux professionnels du secteur (patrons, enseignants ...). Un point largement critiqué dans cette lettre adressée au ministre, et ce, pour plusieurs raisons. La première raison avancée dans la lettre, est le fait que les crèches ne sont pas un foyer de transmission. « Nous accueillons des enfants en effectif réduit (pour répondre à votre cahier de charges). Les enfants ne sont ni porteurs ni transmetteurs de ce virus », souligne-t-elle. « Le gouvernement a autorisé l'Aid Al Adha en pleine pandémie, les hôtels durant tout l'été, ainsi que les plages jusqu'à il y a quelques semaines, les chiffres de mortalité causés par le virus sont relativement stables depuis plusieurs semaines, le gouvernement doit bien avoir conscience que les parents n'ont d'autre choix que de mettre leurs enfants à la crèche pour les garder », a-t-elle dit. La dernière raison avancée est le fait que le « gouvernement doit bien comprendre que les enfants de moins de 6 ans ne peuvent bénéficier d'un suivi à distance ». Pour toutes ces raisons, il était donc « impensable » pour cette professionnelle, ses confrères dans la même situation, ainsi que les parents, que le gouvernement allait prendre une telle décision la veille de la rentrée. « Or, l'impensable a eu lieu ». Hormis cette décision, la lettre adressée à Said Amzazi pointe du doigt le mode de communication de son département qu'elle qualifie d'« incomplet et flou ». « Dans le communiqué de Mr Amzazi, il n'est nul part stipulé que les jardins d'enfants doivent fermer. Et pourtant, dès le lendemain matin, les moqadems de différentes villes et quartiers se sont empressés de faire fermer, sans aucune justification, plusieurs crèches, écoles et jardins d'enfants, tout en permettant aux écoles de Bouskoura et Dar Bouazza d'ouvrir. Selon quelle logique ? Le personnel de ces écoles n'habite pas le quartier de leur crèche. Ils viennent de partout de Casablanca. Tout en étant heureuse pour les parents et le personnel de ces crèches, je ne m'en sens pas moins frustrée, et ça ne fait qu'augmenter l'irrationalité de cette décision », explique la lettre. Elle souligne ainsi que « la manière est indiscutablement contestable, créant ainsi déception majeure, tristesse inconsolable et favorisant ainsi une perte de repères dangereuse pour la future génération ». La directrice de la crèche, étant également une mère de famille et une citoyenne, estime dans sa lettre avoir droit à « des explications ». « En fermant les écoles, vous ne réglez aucun problème par rapport à ce virus. Vous ne diminuez pas le taux de contamination. Car ce n'est pas dans les écoles que les contaminations ont lieu. Les familles se réunissent en grand nombre. Les enfants vont dans des groupes d'étude clandestins avec des maîtresses payées au noir. Vous êtes simplement en train d'encourager les gens à travailler dans l'illégalité. Vous privez un grand nombre de citoyens d'éducation. Alors que c'est aujourd'hui, plus que jamais, qu'ils en ont besoin. Besoin d'apprendre les fondamentaux de l'hygiène, qui ne sont enseignés nulle part », s'indigne-t-elle. Sur le plan économique, la lettre estime que cette décision n'est qu'un « pas en arrière par rapport à l'éducation » au Maroc et crée de nombreux problèmes, notamment le fait « d'envoyer au chômage des centaines de personnes » ou encore la contribution directe « à la faillite de plusieurs crèches ». Tout en rappelant que « les crèches et jardins d'enfants ne servent pas seulement de solution de garderie aux parents, mais qu'ils sont des environnements essentiels pour le développement cérébral, cognitif, psychomoteur et émotionnel des enfants de 1 à 6 ans ... l'âge où l'enfant peut et doit apprendre à réfléchir par lui-même, à lire, à écrire, à compter », la directrice de la crèche appelle dans sa lettre le ministre de tutelle à « repenser » sa décision et de « rouvrir les jardins d'enfants et écoles et ce dès le lundi 14 septembre ». Une réouverture qui n'a pas et n'aura pas lieu, jusqu'à nouvel ordre.