C'est connu et avéré, la pandémie du Covid-19, et ses répercussions socioéconomiques désastreuses, coûtera cher à l'économie nationale. Dans son dernier rapport sur les perspectives économiques dans le monde, la Banque mondiale indique que l'économie marocaine devrait se contracter de 4% durant cette année. *Pr Omar Hniche Bank Al-Maghrib, prévoit même, une contraction de 5,2% en 2020 (la plus forte depuis 1996). Cette pandémie a eu un effet déstabilisateur d'un point de vue économique et social, entraînant une forte baisse de la production, une baisse de la demande intérieure, une hausse du taux du chômage et une détérioration des conditions de vie (baisse du revenu réel, précarité de l'emploi, restriction de la mobilité), une réduction drastique du chiffre d'affaires du commerce extérieur, un repli des réserves de change, une baisse des recettes fiscales et une forte dégradation des indicateurs de finances publiques. La première des priorités est que l'ensemble des activités retrouvent une « nouvelle normalité », même s'il faut s'attendre à ce que le chemin de la reprise soit long et semé d'embûches. Avec la prolongation, par le gouvernement, de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 septembre 2020, et les perturbations économiques supplémentaires qui vont en découler, il est clair qu'un plan de relance destiné à réamorcer notre économie, mise à terre par cette pandémie, est crucial et urgent et nécessitera des initiatives spectaculaires. Dans son dernier discours du 29 juillet 2020, à l'occasion de la fête du trône, le Roi Mohammed VI a présenté une feuille de route claire pour la relance économique. En effet, pour soutenir notre économie, qui affronte une récession historique, le plan annoncé par sa Majesté le Roi, prévoit un fonds de 120 milliards de dirhams. Ce plan contient les mesures horizontales et spécifiques d'accompagnement du redémarrage progressif de l'activité des différents secteurs de l'économie, notamment ceux les plus touchés par la crise. Il vise à instaurer les conditions propices pour une relance vigoureuse à la sortie de la crise, à rétablir la confiance des opérateurs économiques, à améliorer les conditions de leur compétitivité et à asseoir un bon climat des affaires. Concernant le plan de financement de la relance, il a été explicité par le gouvernement. Le cœur du fonds de relance sera consacré aux crédits bancaires garantis par l'Etat (la CCG), à hauteur de 75 milliards de dirhams (5 Mds de DH seront apportés par le fonds Covid-19 pour couvrir les risques de défaut des entreprises bénéficiaires). Ce dispositif permet un financement du tissu économique, via des prêts bancaires, d'une durée allant de 5 ans à 10 ans avec des conditions avantageuses en termes de taux d'intérêt et de délai de grâce. Toutes les entreprises sont concernées notamment les TPE-PME, qui représentent près de 95% du tissu économique marocain et qui constituent l'épine dorsale de notre économie. Il faut préciser à ce niveau que presque 80% de ces entreprises ont été en arrêt total durant la période de confinement. Néanmoins, l'expérience a montré que le recours aux mécanismes classiques de financement bancaire n'a toujours pas eu les effets escomptés sur les TPE, et ce, malgré les taux d'intérêt très bas et l'allègement des garanties bancaires demandées. Sont aussi concernés les établissements et entreprises publics (EEP) les plus impactés par la crise (Royal Air Maroc, Office national des aéroports, MARSA Maroc, ONCF, etc.). Deuxième plus grand investisseur après l'Etat, les EEP jouent un rôle primordial dans l'économie nationale. Il est temps de mettre en œuvre leur réforme tant attendue. Le souverain, dans son discours du 29 juillet 2020, a d'ailleurs appelé à une réforme profonde du secteur public, à renforcer sa gouvernance et à corriger les dysfonctionnements structurels des EEP. Il a notamment appelé à la création d'une Agence nationale dont la mission consistera à assurer la gestion stratégique des participations de l'Etat et à suivre la performance des établissements publics. L'occasion de procéder à la mise en place d'un nouveau cadre organisationnel et juridique des EEP, de les regrouper dans des pôles homogènes et de distinguer ceux dont les activités ont un caractère purement commercial, qui doivent normalement relever de la sphère privée, de ceux qui doivent rester dans l'espace public. Dans le plan de la relance économique, les EEP sont désormais appelés à impulser une véritable dynamique économique et sociale du pays à renforcer sa compétitivité économique et à diversifier ses sources de croissance. Le reste du fonds de relance est dédié au Fonds d'investissement stratégique, comme annoncé par le souverain, dont la création vise à appuyer les activités de production et à accompagner et à financer les grands projets d'investissements des secteurs privé et public et ce, dans divers domaines. La relance économique prévoit la dotation de ce Fonds de 45 Mds de DH (dont 30 Mds de DH seront mobilisés auprès d'institutionnels nationaux et internationaux qui se positionneront comme investisseurs dans des projets d'infrastructures notamment et 15 Mds de DH seront financés par l'Etat comme arrêté dans la Loi de Finances rectificative 2020). Pour le gouvernement, l'intervention de ce Fonds se fera sous forme d'investissement direct, dans le cas de grands projets d'infrastructure en partenariat public-privé (PPP), ou indirect en renfonçant le capital d'entreprises notamment les TPE-PME (Private équity) aux fins de leur croissance. Le choix des grands projets d'investissement à financer devra s'effectuer sur la base des études de faisabilité préalables tenant compte d'un certain nombre de critères notamment, l'impact du projet sur l'emploi, sa capacité à réduire les disparités surtout territoriales et ses effets sur l'amélioration du niveau de vie des citoyens. Il est à noter que le projet de décret portant sur la création d'un compte d'affectation spéciale intitulé « Fonds d'Investissement Stratégique » a été adopté par le Conseil du Gouvernement tenu le jeudi 06 aout 2020. En somme, l'Etat mobilisera 20 Mds de DH sur le montant dédié à la relance. Les orientations majeures de ce plan de relance devraient s'articuler autour des volets suivants : L'accompagnement budgétaire des plans de relance sectoriels : il est clair que pratiquement tous les secteurs de l'économie nationale sont affectés par la crise du Covid-19, mais certains sont plus durement touchés que d'autres et enregistrent des pertes sèches. Il est urgent de soutenir ces secteurs tant à court terme qu'à long terme et ce dans le cadre de conventions et de contrats-programmes sectoriels avec des mesures spécifiques et des mesures transverses, en tenant compte certes des spécificités de chaque secteur mais en veillant à une cohérence entre les politiques sectorielles. Il faut noter aussi que la crise sanitaire actuelle a prouvé le rôle primordial de certains secteurs, notamment la santé, la formation, la recherche scientifique et la transformation digitale. Il faudrait donc que la relance place ces secteurs dans les priorités des stratégies et des politiques publiques ; Une priorité absolue à l'investissement et à la commande publique : L'Etat doit renforcer son soutien budgétaire à l'économie et doit investir davantage pour relancer la machine économique car tout arrêt de la commande publique impactera davantage la santé de nos entreprises et de notre économie, et remettra en cause toute possibilité de reprise. Les TPE-PME sont beaucoup plus intéressées par la commande publique que par d'autres moyens de financement ; Une relance dans le cadre d'une économie « aux services des personnes" : les citoyens et les entreprises ne peuvent prospérer que si l'économie est à leur service. La crise sanitaire actuelle a montré la nécessité de remettre l'humain au cœur des actions socio-économiques et a prouvé l'importance de l'aspect social et solidaire ainsi que celui du développement durable et de la protection de l'environnement. L'occasion dans cette relance de marquer un tournant définitif dans la prise de conscience écologique ; Un repositionnement du secteur privé : il faudra certes un renforcement de la compétitivité du secteur privé mais avec une consolidation de son rôle social ainsi que sa responsabilité sociale et citoyenne. Il s'agit de mettre le secteur privé au service du développement durable en y intégrant des normes sanitaires, sociales et environnementales ; Un renforcement de la gouvernance des services publics à travers notamment l'accélération de la mise en œuvre de la Charte des services publics, l'accélération de la transformation digitale de l'administration et la généralisation des services numériques dans une perspective d'efficience et de transparence dans les services rendus aux citoyens et aux investisseurs, la mise en œuvre des dispositions de la loi relative à la simplification des procédures et des formalités administratives, et la modernisation de l'administration publique pour qu'elle soit une administration performante et citoyenne et qu'elle serve d'outil performant de développement économique d'une part et de satisfaction des besoins de la population d'autre part. La relance devra aussi tenir compte du caractère stratégique du numérique (essor du télétravail et du commerce en ligne imposés par la crise) mettant également en lumière la faible numérisation de l'économie marocaine. Finalement, avec ce plan de relance, on peut dire qu'il aura fallu une pandémie mondiale pour que l'on assiste à un retour en force de l'Etat : un Etat stratège et actionnaire. Le défi maintenant est de résoudre l'équation combinant relance économique, pour sauver l'économie nationale de l'effondrement, et préservation de la santé des citoyens. Il s'agit d'un exercice d'équilibre délicat pour gagner le pari de retrouver la normalité avec les meilleures garanties sanitaires. Autrement dit, il s'agit de poursuivre les efforts de contrôle des nouveaux foyers de contamination et d'adopter, en même temps, une batterie de mesures économiques et sociales pour redonner de la vie aux secteurs vitaux du tissu économique de notre pays. *Enseignant chercheur en sciences économiques et de gestion, Vice-Président de l'Université Mohammed V de Rabat, chargé des Affaires Académiques et Estudiantines, Directeur du Centre Interdisciplinaire de Recherche en Performance et Compétitivité (CIRPEC)- Université Mohammed V de Rabat