Après moult reports depuis la promulgation de la Constitution de 2011, le Projet de loi organique 04.16 portant création du Conseil national des langues et de la culture marocaine a récemment été adopté par le Parlement. Le texte de loi prévoit notamment la dissolution de l'Institut royal de la culture Amazighe (IRCAM), et son intégration dans le Conseil qui devra voir le jour après publication de la loi organique dans Bulletin officiel. Cette configuration institutionnelle ouvre la voie à une nouvelle approche concernant la gestion de la diversité culturelle et linguistique au Maroc. Pour en parler, Hespress FR s'est entretenu avec Lahcen Oulhaj. Ancien doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales (FSJES) Agdal de Rabat, il est actuellement président de la Commission permanente d'analyse de la conjoncture économique et sociale du Conseil économique, social et environnemental (CESE). En 2011, il a été membre de la Commission consultative pour la réforme de la Constitution (CCRC), participant, de ce fait, activement les réflexions qui ont conduit à l'élaboration d'une nouvelle loi suprême qui rend compte de la place centrale qu'occupe la langue et la culture Amazighe dans le royaume. Hespress FR: Succinctement quelle sorte de bilan pourrait-on faire du travail de l'IRCAM après près de deux décennies de travail et de recherches pour faire évoluer l'emploi de l'Amazighe à différents niveaux ? Lahcen Oulhaj: L'IRCAM a été conçu comme la fusion de deux choses différentes: une Académie et un Conseil consultatif saisi par le Roi pour étudier des questions. Or il n'a jamais été saisi par le Roi et, très vite, le cadre a été dépassé. Même le premier recteur de l'Institut, Mohamed Chafik, ne voulait pas de ce rôle politique. Pour lui, l'IRCAM devait être une Académie. Pour ce rôle, je pense que l'IRCAM a effectivement beaucoup fait pour l'Amazighe. Il a édité des dictionnaires, a fait des grammaires et a produit de nombreuses publications. Peut-être que l'Institut aurait pu faire plus. Vu le budget dont il disposait, il devait peut-être recruter plus de chercheurs pour faire plus de travail. Mais là c'est un problème de gouvernance, tandis que le rôle consultatif n'a jamais été joué. Il a été très vite marginalisé. L'adoption du Projet de loi organique 04.16 dans les deux Chambres a connu plusieurs reports. Risque-t-on d'assister à une politisation du CNLCM après la désignation de ses membres ? Pour tracer la politique du Conseil, la réponse est oui. Ce risque existe. Normalement, l'IRCAM doit être représenté dans le Conseil qui doit être formé des responsables de l'IRCAM, de l'Académie Mohammed VI de la langue arabe, l'institut d'Arabisation auquel il faudrait peut-être changer la nomination. Et puis des autres institutions qui s'occupent des autres langues et de la culture. C'est énorme. J'attends que la loi organique soit validée par la Cour constitutionnelle et publiée au Bulletin officiel pour décortiquer son contenu définitif. Pour évoquer place des dialectes dans ce Conseil. Le dialecte Hassani dispose par exemple d'un institut, ce qui est une bonne chose. Est-ce que l'Etat admet l'existence de dialectes connus de tous et quels types d'approches pour adopter, au delà des deux langues officielles? D'après le représentants des Sahraouis au niveau de la Commission consultative de la révision constitutionnelle, le Hassani n'existe pas. C'est un mélange de l'Amazigh et de l'Arabe classique. Il n'a aucune autonomie et aucune indépendance par rapport à ces deux langues. Sa reconnaissance en tant que « parlé » est davantage pour des raisons politiques. Dans le Projet de la Commission, le Hassani est un parlé comme il en existe plusieurs au Maroc. L'une des recommandations phares, constamment formulée par les spécialistes de l'enseignement et par les organisations internationales en matière d'éducation, dit que pour le meilleur apprentissage scolaire, l'enseignement doit se faire en langue maternelle. En ce qui touche le Maroc, les deux langues maternelles sont la Darija et l'Amazighe. Pensez-vous que la loi-cadre censée réformer le système éducatif marocain a suffisamment répondu à cette question ? La loi-cadre s'inspire de la Stratégie du Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS). Cette stratégie invente une langue de communication, l'Amazighe et une langue d'écriture, l'Arabe. Ce n'est pas conforme à la Constitution. C'est une invention du CESFERS. Ma position à moi, c'est qu'un enfant peut apprendre jusqu'à 4 langues sans aucune difficulté. Et plus il est bilingue, plus il est intelligent et ouvert, avec un esprit critique et une capacité d'abstraction. Dés le préscolaire, il faut privilégier soit l'Amazighe soit la Darija pour communiquer avec l'enfant et pour qu'il apprenne à écrire dès la première année de l'école primaire en Amazigh et en Arabe classique, tout en introduisant l'alphabet et un peu de vocabulaire latins. Un enfant est capable d'assimiler 3 alphabets sans aucun problème et de communiquer en Amazighe, en Darija et dans une langue internationale. Quelles sortes de liens entre les études spécialisées et les thèses promues par les partis politiques lorsque l'on décide d'instituer un nouveau cap en matière de politique linguistique ? il y a des experts plus ou moins neutres, et d'autres qui sont influencés par leurs positions idéologiques. Les partis politiques en 2011 ont été favorables à l'officialisation de l'Amazighe, peut être poussés par les revendications de la rue. Il y a toujours une arrière pensée selon laquelle la tendance de toute personne est de valoriser ce qu'elle connait pour en faire un monopole. C'est donc question de pouvoir, mais aussi d'avoir quelque chose que la population n'a pas, de manière à ce qu'ils fassent partie de la minorité (Al Khassa, en arabe), par rapport à ce qu'ils font enseigner au grand public (Al Aâmma, en arabe). Pendant longtemps, les partis politiques véhiculaient cette idéologie. « Il faut arabiser l'enseignement pour des raisons identitaires », disaient-ils. Une identité imaginée pour la masse et pas pour leurs enfants. Pour leurs enfants, comme il doivent faire partie de l'élite, il doivent maîtriser le français, l'anglais et demain le mandarin. Défendre certaines idées pour le peuple, et d'autres pour eux. Voilà ce qui leur a permis de se produire en tant qu'élite et d'éliminer la population. Lorsque Chedli Benjdid a été désigné comme successeur de Houari Boumediene en Algérie, on a amené Ahmed Taleb Ibrahimi (notamment ministre algérien des Affaires étrangères de 1982 à 1988, NDLR) pour lui apprendre l'Arabe. Il était colonel dans l'armée qui fonctionne en français. Mais c'est le cas de plusieurs ministres au Maroc qui ne savent pas s'exprimer devant les Marocains. Il y a toujours eu une distance plus ou moins importante entre la langue de l'élite qui respecte un certain nombre de règles, et qui est encrée, beaucoup d'ailleurs, pour former une langue d'élite, et la langue du peuple.