Le président américain Donald Trump a accusé mardi le Qatar, pourtant allié des Etats-Unis, de financer les extrémistes, prenant fait et cause pour l'Arabie saoudite et les pays qui ont rompu avec ce riche émirat du Golfe. Sur Twitter, M. Trump a écrit que l'isolement du Qatar marquerait « peut-être le début de la fin de l'horreur du terrorisme », ajoutant que « tous les éléments pointent vers le Qatar » dans le financement de l'extrémisme religieux. Il a aussi établi un lien entre son discours en mai à Ryad et la décision d'isoler le Qatar: « Durant mon récent voyage au Moyen-Orient, j'ai affirmé que le financement de l'idéologie radicale devait cesser. Les dirigeants ont montré du doigt le Qatar. Et regardez ! ». La décision lundi de l'Arabie saoudite, de Bahreïn, des Emirats arabes unis, de l'Egypte et du Yémen de cesser toute relation avec le Qatar, qu'ils accusent de « soutenir le terrorisme », a provoqué un séisme dans la région. Elle a entraîné une suspension de vols aériens, la fermeture des frontières terrestres et maritimes avec le Qatar ainsi que des interdictions de survol aux compagnies qataries et des restrictions aux déplacements des personnes. La Jordanie a annoncé une réduction de sa représentation diplomatique, et le retrait de la licence de la chaîne Al Jazeera sur son territoire. La Mauritanie a à son tour rompu ses relations diplomatiques avec le Qatar, selon son agence de presse officielle. Médiation du Koweit Face à cette crise inédite, le Koweït a entrepris une médiation et l'émir Sabah Al-Ahmad Al-Sabah est arrivé à Jeddah, dans l'ouest saoudien, pour rencontrer le roi Salmane. Après avoir d'abord réagi avec colère, le Qatar a appelé à un « dialogue ouvert et honnête ». S'exprimant sur la télévision Al Jazeera, le chef de la diplomatie qatarie, cheikh Mohamed ben Abderrahmane Al-Thani, a assuré qu'il n'y aurait « pas d'escalade » de la part de son pays et répété notamment le caractère « stratégique » des relations avec les Etats-Unis. Il n'y a « aucun élément prouvant que le gouvernement du Qatar soutient des islamistes radicaux », a-t-il aussi plaidé à l'antenne de la BBC. Al Jazeera, basée au Qatar, a de son côté dénoncé la fermeture « injustifiée » de son bureau à Ryad. Grave crise Il s'agit de la plus grave crise depuis la naissance en 1981 du Conseil de coopération du Golfe (CCG – Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Qatar, Koweït, Oman). Le souverain saoudien a reçu un appel du président turc Recep Tayyip Erdogan qui selon son porte-parole, a entrepris « des efforts diplomatiques ». « Permettez-moi de dire d'emblée que nous ne trouvons pas bonnes les sanctions prises contre le Qatar », a ensuite déclaré M. Erdogan lors d'un discours devant des ambassadeurs à Ankara. « Nous allons poursuivre et développer nos relations avec le Qatar », a ajouté le président turc, qui s'est cependant abstenu de critiquer Ryad. Lors d'un entretien téléphonique avec l'émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, le président français Emmanuel Macron a appelé « à l'unité » entre les pays du Golfe et s'est dit prêt à soutenir « toutes les initiatives pour favoriser l'apaisement ». Le président russe Vladimir Poutine a lui aussi eu une conversation téléphonique avec l'émir du Qatar, durant laquelle il lui a demandé de régler la crise « par la voie du dialogue ». 10.000 militaires US stationnés au Qatar Donald Trump, lui, a durci le ton. Ce faisant, il a instillé un doute sur l'avenir de la plus grande base aérienne américaine dans la région, située près de Doha, où environ 10.000 militaires sont stationnés. Siège du commandement militaire chargé du Moyen-Orient, cette base d'Al-Udeid est cruciale pour la lutte contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI) en Syrie et Irak, menée par une coalition internationale dirigée par Washington et dont Doha fait partie. Le Pentagone a toutefois assuré que les opérations militaires américaines au Qatar n'étaient « pas affectées » par la crise. Réagissant aux tweets de M. Trump, le ministre allemand des Affaires étrangères a accusé le président américain d'attiser les conflits au Moyen-Orient en prenant le risque d'une nouvelle course à l'armement. « Une telle «trumpisation» des relations dans une région de toute façon en proie aux crises est particulièrement dangereuse », a fustigé Sigmar Gabriel, dans le quotidien des affaires Handelsblatt à paraître mercredi. L'effet des mesures contre le Qatar a commencé à se faire sentir. Six compagnies du Golfe, ainsi qu'EgyptAir, ont suspendu « jusqu'à nouvel ordre » leurs vols vers ou depuis Doha. L'Aviation civile saoudienne a par ailleurs interdit aux compagnies aériennes du Qatar de survoler le royaume, ce qui devrait entraîner des déroutements, des retards et des surcoûts d'exploitation. Les autorités saoudiennes ont aussi annoncé avoir annulé la licence de Qatar Airways et décidé de fermer les bureaux de la compagnie « d'ici 48 heures ». Qatar Airways a indiqué avoir suspendu sine die tous ses vols vers l'Arabie, les Emirats, Bahreïn et l'Egypte. Le directeur général de l'Association internationale du transport aérien (IATA), Alexandre de Juniac, a réclamé le rétablissement au plus vite des liaisons avec le Qatar. Riche pays gazier, le Qatar a toujours poursuivi sa propre politique régionale, affirmant son influence par le sport -il accueillera le Mondial 2022 de football- et par les médias avec Al Jazeera. Il est aussi accusé d'entretenir des liens avec les réseaux jihadistes Al-Qaïda et EI, ainsi que les Frères musulmans classés « terroristes » par certains pays arabes. Mardi, le chef de la diplomatie saoudienne Adel Al-Jubeir a affirmé à Paris que l'émirat devait « changer de politique », « arrêter de soutenir les groupes extrémistes » et cesser de « s'ingérer » dans les affaires de ses voisins.