Said Ida Hassan est analyste politique et chercheur à l'université Complutense de Madrid. Dans cette interview, il commente, pour H24Info, la décision du Polisario de suspendre tous les contacts avec les autorités espagnoles suite aux évolutions qu'ont connues les relations entre Rabat et Madrid. H24Info. Quelle lecture faites-vous de la décision du Polisario de suspendre ses relations avec l'Espagne? Said Ida Hassan: Ce n'est pas la première fois que les relations entre l'Espagne et le Front Polisario sont suspendues, depuis l'éclatement du conflit du Sahara en 1975. Il faut rappeler, à juste titre, que le 29 septembre 1985, le gouvernement de l'ancien Premier ministre socialiste Felipe Gonzalez, avait expulsé tous les représentants du Front séparatiste suite au mitraillage, au large des côtes sahariennes, du navire de pêche espagnol «El Junquito» et du patrouilleur de l'Armada espagnole, le «Tagomago». Bilan de cette attaque: un pêcheur et un soldat espagnols tués et six pêcheurs faits prisonniers aux camps de Tindouf, dans le sud-ouest algérien, avant d'être libérés suite à des pressions du gouvernement espagnol. Quelques mois plus tard, les relations entre les deux parties se sont normalisées et l'appui de Madrid et de différents secteurs de la société espagnole au front séparatiste s'est intensifié, avec comme arrière-plan l'intérêt stratégique de l'Etat espagnol de maintenir une carte de pression permanente sur le Royaume . Cette fois-ci, la décision du Front Polisario, annoncée le 9 avril 2022, intervient dans un contexte politique totalement différent: le Maroc a réussi au cours des dernières années une véritable percée diplomatique en faveur de sa position sur le conflit, à savoir, accorder au territoire une large autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine, comme solution au conflit. Il a obtenu ainsi l'appui de grandes puissances comme les Etats-Unis ou l'Allemagne et tout récemment l'Espagne, en plus de son traditionnel allié qu'est la France,. Lire aussi. Visite de Sanchez au Maroc: les 16 points de la déclaration conjointe (Texte intégral) Par ce revirement historique de la position espagnole sur le conflit du Sahara, l'actuel président du gouvernement socialiste, Pedro Sanchez, a brisé un tabou en Espagne, en mettant fin au « sacro-saint » soutien espagnol au Front Polisario, déguisé depuis de longues années sous l'appellation de «soutien au peuple sahraoui», avec des millions d'euros transférés depuis l'Espagne aux comptes bancaires de différentes organisations «civiles» sahraouies, mais gérées directement par la direction militaire du Polisario. L'Algérie qui s'est longtemps défendue d'être «partie directe» dans le conflit, a été la première à réagir à la décision du gouvernement espagnol, en rappelant son ambassadeur à Madrid. Une précipitation qui a trahi sa prétendue «impartialité» dans le conflit. Pour réparer cette erreur, les détenteurs du pouvoir au Palais Al-Mouradia à Alger ont poussé la direction du Polisario à annoncer «la suspension», bien suspension et pas «rupture», avec «l'actuel gouvernement espagnol». Les termes du communiqué du Front Polisario, trahissent son principal objectif: iisoler encore plus le gouvernement de Pedro Sanchez sur le plan intérieur, d'autant que la décision du Front séparatiste intervient après un vote de la Chambre basse du parlement espagnol contre l'alignement du gouvernement Sanchez sur la position marocaine. Avec cette décision, le Polisario ne risque-il pas de s'isoler de plus en plus, surtout au vu du rôle de l'Espagne dans la recherche d'une solution au conflit du Sahara? Le «soutien au peuple sahraoui» en Espagne, est une question très sensible surtout au sein des partis politiques de gauche et des organisations syndicales qui militent depuis plus de quatre décennies en faveur de «l'autodétermination du Sahara Occidental». Eu égard à cette sensibilité, le gouvernement espagnol n'a pas encore officiellement réagi à la décision du Front Polisario qui entreprendra, à mon avis, une campagne médiatique et de lobbying au sein des partis de gauche, surtout «Podemos» qui fait partie du gouvernement de coalition avec le Parti Socialiste et des partis nationalistes, notamment en Catalogne et au Pays Basque, pour tenter de constituer un «Front espagnol» contre le gouvernement de Pedro Sanchez. Lire aussi. Vidéo. Sahara: critiqué par l'opposition, Sanchez réitère son soutien à l'initiative marocaine Cette stratégie, si elle dépasse les limites, risquerait de provoquer une réaction du parti du président du gouvernement, d'autant qu'une campagne de pression à large échelle pourrait réduire ses chances lors des prochaines élections législatives, prévues en novembre 2023. Le Conseil de sécurité examinera à nouveau, ce mois d'avril, la question du Sahara. Quels seraient, d'après vous, les enjeux pour les uns et les autres? L'envoyé personnel du Secrétaire général des Nations Unies pour le Sahara, Staffan de Mistura, vient de commencer, dans le cadre d'une tournée dans la région en janvier 2022, ses contacts avec les parties au conflit, le Maroc et le Front Polisario, et les autres pays impliqués, l'Algérie, la Mauritanie et l'Espagne. Lire aussi. Visite de Staffan de Mistura: décryptage du politologue Mohamed Bouden Evidemment, l'envoyé du Secrétaire général de l'ONU est en train de préparer son rapport à soumettre au Conseil de sécurité qui, selon toute vraisemblance, prorogerait d'un an le mandat de la MINURSO pour donner au diplomate italien le temps de préparer le retour à la table des négociations, tant attendu. Le revirement historique de l'Espagne jouerait en faveur du Maroc et toute hypothétique nouvelle table ronde de négociations devrait prendre au sérieux le plan d'autonomie proposé par le Maroc.