Après une deuxième année vécue à l'aune de la pandémie, comment se portent les Marocains? Réponses avec deux professionnels de la santé mentale: Dr. Hachem Tyal (psychiatre) et Reda Mhasni (psychologue). La plupart des professionnels de la santé mentale relate une hausse de la demande en accompagnement psychologique entre 2020 et 2021. « Partout dans le monde, les demandes pour troubles anxieux et dépressifs ont augmenté et augmentent de manière très sensible. Il y a des équipes qui ont constaté jusqu'à 25% de plus de demandes par rapport à l'an dernier pour ce type de problèmes, un taux qui a considérablement augmenté par rapport aux années précédentes », relate Dr Hachem Tyal, psychiatre, psychothérapeute et psychanalyste. « Le citoyen marocain, comme le citoyen du monde, vit dans l'expérience de ce covid, avec ce qui peut altérer l'équilibre psychologique et mettre à mal nos capacités défensives au niveau de notre psyché. Si celles-ci sont dépassées, on commence à souffrir de troubles psychosomatiques, d'anxiété, de dépression, parfois même d'états psychotiques », poursuit l'expert qui note aussi chez les jeunes l'augmentation du taux de suicide. « Ce sont les conséquences directes de ce que nous vivons et la manière avec laquelle nous subissons cette pression dans l'incertitude et les contraintes. Sans compter l'impact financier sur les familles qui détermine un stress important qui puise dans nos capacités défensives ». « Ambiance générale de déprime et d'anxiété » De son côté, Reda Mhasni, psychologue clinicien, psychothérapeute et professeur de psychologie à l'université de psychologie de Casablanca, constate « une ambiance générale de déprime et d'anxiété », « à cause de l'impact de la pandémie, mais aussi de celle de l'incertitude et de la peur », alors que l'être humain « est animé depuis toujours par une quête de sens qui permet de se projeter dans un futur proche ou moyen ». Le spécialiste mentionne « une déprime en hausse, un sentiment d'incertitude, des éléments communs aux personnes vivant avec la peur au ventre de perdre leur emploi, de ne pouvoir tenir jusqu'à la fin du mois », « il y a plus de crainte que de réalité tangible ». A travers l'expérience de son cabinet, Reda Mhasni observe « le plus souvent des troubles du sommeil, de l'appétit, des éléments qui relèvent de l'anxiété, des choses qu'on retrouve aussi fréquemment dans le témoignage des patients mais aussi sur les réseaux sociaux ou autres ». Concernant les jeunes, le professionnel constate qu'ils « ont de plus en plus de mal à retrouver les bancs de l'école, perturbés par la conjugaison des systèmes présentiel et distanciel ». Lire aussi : Santé mentale: un an après le début de la pandémie, comment vont les Marocains? Le psychologue souligne que cette hausse de la demande dans l'accompagnement psychologique n'est pas suivie d'une « offre thérapeutique adaptée à la réalité des Marocains et des Marocaines ». « Le service public n'a pas encore jugé nécessaire d'investir sur ce plan et créer des postes de psychologues, même pour le personnel de santé en première ligne de la lutte contre la pandémie. Il y a des initiatives bénévoles de la part de praticiens. Cela ne peut pas durer longtemps, ces personnes aussi ont leurs difficultés », regrette-t-il, avant de confier qu'il a dû lui-même « réduire le prix de ses consultations de moitié pour un certain nombre de patients qu'ils reçoit parfois gratuitement ». Et de soulever: « Le manque de communication pédagogique du gouvernement et le manque de visibilité font que les mesures restrictives, aussi bien fondées soient-elles, sont mal acceptées et vécues comme une agression. On se voit comme des objets plutôt que des sujets qui peuvent être consultés. » Résilience Malgré l'ambiance d'incertitude permanente et son lot de conséquences psychologiques négatives, les deux experts insistent sur la capacité de résilience et d'adaptation de l'être humain. « La résilience individuelle ou collective est très liée à la question du lien à l'autre. Quand on a été privé du lien humain, de voir nos proches, ceux qu'on aime, il y a quelque chose qui s'est fané en nous et qui est en lien avec cette capacité de résilience. Le fait de vivre seul ou isolé a eu des répercussions sur les plus fragiles », explique Mhasni. Quant au docteur Hachem Tyal, il se dit confiant quant à l'arrivée de la nouvelle année. « Je suis convaincu que demain nous aurons les ressorts nécessaires que ce soit dans notre vie relationnelle, professionnelle, et même dans notre rapport à soi pour réussir à vivre dans de bonnes conditions. L'humanité a connu d'autres expériences impossibles et qui ont duré ». Leurs conseils pour bien appréhender 2022? « Faisons nous confiance, sollicitons en nous ce qui peut et doit l'être, ne baissons pas les bras, permettons-nous de perdre des choses si on peut gagner au change par la suite, changeons notre rapport à l'autre et à nous-mêmes, tout cela doit nous permettre d'envisager un lendemain meilleur et ce lendemain ne pourra être que meilleur », répond Dr Tyal, optimiste. « La recommandation axiale à mon avis est de résister en maintenant le lien à l'autre, de prendre des nouvelles des plus solitaires parmi nous, résister en créant du lien que ce soit physique -c'est mieux- ou virtuels. Rencontrer nos proches tant qu'on peut avec les mesures barrières, ne pas se laisser abattre avec cette anxiété environnante, résister, aller jusqu'au bout de ses rêves, qu'on soit fraichement diplômés, en reconversion professionnelle… il est important d'aller au bout de nos ambitions. Maintenir une hygiène de vie, les insomnies et les trouble alimentaires nous guettent, mettre en place des habitudes saines comprenant de l'exercice physique, éliminer les facteurs de stress additionnels. Il est important de se prendre en charge chacun de son côté ainsi que nos proches », conclut Reda Mhasni.