Décidément, la simplification des procédures administratives n'est pas une mince affaire. Lancé en grande pompe, le programme Tabsite, censé faciliter la vie des citoyens, n'est toujours pas prêt, en tout cas pas entièrement. Retour sur les raisons d'un retard. L'annonce avait de quoi réjouir: fini les copies certifiées conformes, fini la légalisation des signatures, fini les documents demandés en plusieurs exemplaires, fini les incohérences administratives… Les usagers des services publics, c'est-à-dire tout un chacun, allaient enfin expérimenter une nouvelle relation avec l'Administration marocaine. L'annonce ? C'est le programme Tabsite porté par la loi n° 55-19 relative à la simplification des procédures et des formalités administratives. Publié au bulletin officiel le 6 mars 2020, le texte est entré en vigueur le 18 septembre 2020 après la publication d'un décret d'application et donnait un délai de 6 mois à toutes les administrations afin de se conformer aux nouvelles dispositions. Concrètement, toute entité fournissant des services administratifs devait recenser exhaustivement ces derniers, vérifier leur conformité avec la loi, lister l'ensemble des documents nécessaires à leur obtention et communiquer le tout à une instance nouvellement créée, la Commission nationale de simplification des procédures et des formalités administratives (CNSP), sous la présidence du Chef du gouvernement. Cette dernière joue le rôle de centralisation afin de valider le tout et le publier sur le Portail national de l'administration (PNA), un site internet qui regroupe l'ensemble des services et actes administratifs. Pierre angulaire de la réforme, ce portail regroupe la totalité des procédures dans un répertoire des actes administratifs (RAA) ainsi que les parcours administratifs destinés aux usagers, investisseurs, entreprises…
Un délai trop ambitieux face à la quantité des procédures
Seulement voilà, plus de 10 jours après la fin du délai réglementaire, le PNA n'est toujours pas opérationnel et les administrations ne savent plus sur quel pied danser. Si certaines n'ont pas attendu et se sont déjà conformées à la loi, comme la Douane qui vient de publier une circulaire annonçant la suppression de la légalisation des signatures et des copies conformes ainsi que la réduction du nombre de copies des documents à fournir à un seul exemplaire, d'autres n'ont pas encore franchi le pas et sont, de facto, dans l'illégalité. Mais alors qu'est-ce qui explique ce retard ? « Vous n'êtes pas sans savoir que la mise en œuvre de toute réforme pourrait être confrontée à certains obstacles. La principale contrainte que nous avons rencontrée réside dans le volume des procédures à transcrire dans un délai de six mois. La Commission technique (CNSP,ndlr) n'a commencé à recevoir les répertoires des actes administratifs que fin janvier », nous confie Sarah Lamrani, directrice des études, de la communication et de la coopération au ministère de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'Administration. Véritable reflet de la lourdeur de la machine administrative marocaine, le volume des procédures à transcrire était tout simplement énorme et disproportionné par rapport au temps alloué, jugé en effet trop ambitieux pour un chantier d'une telle ampleur. C'est ce qui avait d'ailleurs poussé le Chef du gouvernement à adresser une circulaire le 22 mars dernier à tous les départements ministériels afin de les inciter à accélérer la mise en œuvre des dispositions.
« L'usager a toujours été considéré de mauvaise foi »
À l'heure où nous écrivons ces lignes, la CNSP a reçu, lors de sa dernière réunion, plus de 123 répertoires administratifs, correspondant à plus de 3.000 actes afférents à plus de 230 administrations et établissements publics…dont seulement 638 actes ont été approuvés ! « Le vrai problème dans ce chantier de simplification vient surtout du fait que l'Administration a toujours baigné dans l'arbitraire. Ses relations avec l'usager étaient basées sur le principe que ce dernier était de mauvaise foi et qu'il fallait contrôler et inspecter. C'est ce qui a donné lieu à des aberrations comme le certificat de vie », souligne une source administrative qui a travaillé avec les collectivités territoriales. Une critique dont ne se défend pas notre contact au sein du ministère. « La question des soubassements juridiques des pièces demandées fait partie des contraintes ayant ralenti le rythme de validation des actes soumis par les administrations. En effet, nombre des pièces demandées pour les actes administratifs ne disposent pas d'une référence juridique, car c'était l'administration qui fixait la liste des documents. La nouvelle loi vient donc mettre fin à cette pratique et, par conséquent, au pouvoir discrétionnaire des administrations », explique Sarah Lamrani. Ainsi, pour le cas des collectivités territoriales par exemple, plusieurs documents seront amenés à disparaitre, comme le fameux certificat de vie ou le certificat de non travail. Ce grand ménage administratif chez les uns impliquera inévitablement du changement chez les autres (la CNSS dans notre exemple) et ces va-et-vient entre les différentes administrations allongent d'autant le délai de mise en place de cette grande réforme.
Lancement effectif dans les prochains jours
Mais faudra-t-il attendre encore longtemps pour le lancement effectif du portail ? « Quelques ajustements techniques sont en cours de finalisation pour pouvoir lancer le PNA qui sera mis en ligne dans les prochains jours », nous assure Sarah Lamrani qui ajoute que « la publication en ligne des procédures administratives n'est qu'une étape dans le chantier de la simplification des procédures administratives. » Le but ultime du programme Tabsite étant la dématérialisation complète de toutes les procédures. Actuellement, ce sont quelque 453 services publics qui sont numérisés dont 23% le sont entièrement. Le reste suivra progressivement jusqu'à en finir avec l'usage du papier. « L'ensemble des administrations publiques préparent des plans d'action de transformation numérique visant à dématérialiser les procédures à l'horizon de cinq ans conformément aux dispositions de la loi 55-19 », annonce Sarah Lamrani. Il reste, ainsi, plus que quatre ans et demi pour atteindre cet ambitieux objectif.