Moscou et Pékin dénoncent une escalade militaire après le tir de test américain effectué dimanche, une première depuis la fin de la Guerre froide. De leur côté, Washington et l'Otan accusent la Russie de développer depuis des années illégalement un missile de même type. La conséquence du retrait américain du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (dit traité INF), annoncé en octobre dernier et officialisé début août, ne s'est pas fait attendre: Washington a annoncé lundi soir avoir réalisé, avec succès, un test de missile de moyenne portée tiré depuis le sol. Dans le détail, cet essai a été effectué dimanche sur une île située au large de la Californie. Selon les autorités américaines, il s'agit d'une variante d'un missile sol-sol Tomahawk, qui a atteint sa cible après un vol de plus de 500 km. Bien que cela n'ait pas été le cas dimanche, une telle arme peut se voir équipée d'une charge nucléaire. » LIRE AUSSI – Les Etats-Unis se retirent d'un traité nucléaire, on vous explique pourquoi c'est important Ce lancement représente une première depuis la fin de la Guerre froide. Le traité INF avait été conclu en 1987 entre Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, après plus d'une décennie de crise dite des «euromissiles». Cette dernière avait éclaté après le déploiement en Europe de missiles nucléaires russes, auquel l'Otan avait répondu par l'installation de missiles Gryphon et Pershing II. L'accord conclu entre Américains et Soviétiques avait interdit le développement par les deux superpuissances de missiles intermédiaires sol-sol à la portée comprise entre 500 et 5500 kilomètres. Il avait contribué à la fin de la guerre froide. Vives critiques de Moscou et Pékin Face à cette remise en cause des équilibres, la Russie ne pouvait rester muette. «Les Etats-Unis prennent de manière flagrante le chemin d'une escalade des tensions militaires, mais nous ne céderons pas à la provocation», a ainsi réagi le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov. Mieux: Moscou tient à faire remarquer qu'elle n'est pas la première à franchir la ligne rouge. «En un temps si court, il est quasiment impossible de mener de tels tests, à moins de s'y être préparé à l'avance, affirme le ministre. Il s'agit d'une confirmation visible que Washington se préparait depuis longtemps à se retirer du traité.» Moscou a été rejoint par Pékin, qui a dit craindre de «graves conséquences négatives pour la sécurité régionale et internationale». La Chine estime que «le véritable objectif du retrait américain était d'avancer sans retenue vers le développement de missiles et de lutter pour la supériorité militaire unilatérale». Les Américains doutent depuis des années Les Américains avaient annoncé leur retrait du traité INF l'an dernier, au mois d'octobre 2018. Retrait devenu effectif le 2 août dernier. Pour justifier leur volte-face, ils avaient précisément invoqué l'absence de respect du traité par les Russes. «Nous n'allons pas les laisser violer l'accord nucléaire et fabriquer des armes alors que nous n'y sommes pas autorisés», avait ainsi dénoncé le président américain, Donald Trump. Cette ligne n'est pas une lubie de l'actuelle Administration. Les doutes américains, confirmés depuis par leurs alliés, concernant le développement de missiles russes prohibés, remontent au moins à l'année 2013, alors que Barack Obama était président. Les interrogations américaines portent sur le missile 9M729 (appelé SSC8 par l'Otan). L'engin, tiré depuis un véhicule à roues, aurait une portée bien supérieure aux 500 kilomètres autorisés par le défunt traité INF. Début juillet, le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, avait énergiquement protesté contre la violation par la Russie dudit traité, déplorant l'installation de missiles capables de frapper des villes européennes. La Chine en question Moscou a toujours affirmé que son missile ne pouvait pas dépasser 480 km de vol. Mais suite au retrait américain, le Kremlin avait immédiatement lancé l'adaptation de missiles intermédiaires, pour le moment uniquement déployés dans les airs ou dans les mers, ce qu'autorisait jusqu'alors INF. Dans le passé, la Russie avait déjà exprimé ses doutes quant aux limites du traité INF. Nicolas Roche, qui était alors directeur des affaires stratégiques du Quai d'Orsay,relatait lors d'une audition faite devant les députés à l'Assemblée nationale, que Vladimir Poutine exprimait dès 2007 ses premières critiques en public, dénonçant un accord se limitant strictement aux Etats-Unis et à la Russie et laissant de côté une puissance comme la Chine, qui développe un puissant arsenal de ce type. Justement: le nouveau missile russe ne menacerait pas que l'Europe. Avec la portée que lui prêtent les Occidentaux, il serait capable d'atteindre le territoire chinois.