Le président russe attend peu de sa rencontre au sommet avec le président américain mais espère briser son isolement international. En arrivant à Helsinki, lundi matin, Vladimir Poutine aura certainement à cœur de faire oublier la précédente rencontre organisée dans la capitale finlandaise entre un président américain et russe. C'était en septembre 1990, la guerre froide se consumait et un leader soviétique dépassé, Mikhaïl Gorbatchev, à la tête d'un empire en voie d'implosion, pliait devant son homologue George Bush au nom de la realpolitik. Il quémandait de l'argent à Washington et se révélait incapable d'empêcher l'invasion américaine de l'Irak qui suivrait en janvier 1991. Deux ans plus tard, en août 1993, le héros de la Perestroïka était débarqué par des putschistes et en 2018, seuls 15 % de ses compatriotes conservent de lui une bonne image. Son successeur, en revanche, est l'homme qui a fait revenir la Crimée dans le giron de la mère patrie et défie les Occidentaux à sa frontière ouest face à une coalition indécise et divisée. L'homme accusé d'avoir ordonné le lancement d'une vaste campagne de désinformation destinée à faire élire Donald Trump rencontre ce milliardaire fantasque qui, vu de Moscou, le menace un jour de bombarder ses installations militaires et le lendemain lui tresse des lauriers. Hier, à l'issue du sommet de l'Otan et à la veille d'Helsinki, Vladimir Poutine ne savait toujours pas sur quel pied danser. Tout en savourant les critiques de Trump contre l'Alliance atlantique, une organisation qu'il juge hostile et désuète, le président russe a entendu son homologue accuser l'Allemagne d'être «contrôlée» par la Russie parce qu'elle lui achète son gaz et vu douze de ses agents inculpés par la justice américaine pour avoir piraté les serveurs du Parti démocrate. Moscou attend peu d'avancées concrètes de ce sommet, à l'exclusion peut-être d'un appel au renforcement du dialogue sur le contrôle des armements et à la coopération militaire en Syrie. Vladimir Poutine répétera qu'il n'est mêlé en rien au scrutin américain de 2016, défendra fermement sa position vis-à-vis de l'Ukraine et n'est pas en mesure d'expulser l'Iran de Syrie pour les beaux yeux de son interlocuteur. Le reste est affaire de psychologie et d'image, comme dans un combat où le score final importe peu, à la différence du style des adversaires qui, lui, compte plus que tout. «Pour Poutine, cette rencontre est d'abord le moyen de montrer à l'opinion publique et à certains pays européens que la Russie n'est pas isolée», estime Alexandre Gabouev, analyste au Centre Carnegie. Ce dernier souligne les similitudes du rendez-vous d'Helsinki avec celui de Singapour réunissant Trump et Kim Jong-un. Sur l'affiche, le président russe a déjà affûté ses arguments, dont voici quelques morceaux choisis: Donald Trump est «plus moderne» car il utilise Twitter, a déclaré Poutine qui se vante pour autant de ne pas suivre le fil de sa messagerie et d'ignorer l'Internet à des fins personnelles. Cet «homme d'affaires» a une «très grosse expérience», possède des «qualités de leader» et adopte une «approche pragmatique», a-t-il ajouté ; bien que dépourvu d'expérience politique, «il apprend vite» ; en dépit «de son comportement extravagant», il «creuse les problèmes et écoute son interlocuteur... On peut se mettre d'accord avec lui». Les atouts du chef du Kremlin Dans une large mesure, le président russe possède les qualités qu'il attribue à son interlocuteur, agrémentées d'atouts personnels. «Comme Trump, il pense que tout peut être marchandé et son expérience d'espion lui a également appris à cultiver les liens personnels et à séduire ses interlocuteurs», rappelle Nikolaï Petrov, politologue à la Haute école d'économie. N'est-ce pas George Bush II qui s'était vanté, lors du sommet de Ljubljana en 2001, d'avoir «regardé Poutine dans les yeux et pris la mesure de son âme»? Par ailleurs, «Poutine nourrit le même mépris que Trump à l'égard des institutions sauf que lui n'en est pas prisonnier. Son statut d'autocrate fait qu'il est plus à l'aise dans les situations d'instabilité», poursuit l'analyste. Lui qui dispose d'une Douma à sa main peine sincèrement comprendre comment le Congrès américain peut contraindre Trump à adopter des sanctions contre Moscou. Sur le fond, les attaques récurrentes du président américain contre l'Otan et l'UE, ou ciblées contre certains pays, servent les intérêts du chef du Kremlin qui n'a jamais caché son aversion à l'égard du multilatéralisme occidental. «Ainsi, il peut facilement manœuvrer à travers les divisions qu'a lui-même créées son interlocuteur. De l'autre côté, il peut dire à la France, ou à l'Allemagne: "Vous voyez Trump est imprévisible, vous avez plutôt intérêt à traiter avec moi", explique Alexandre Gabouev, de Carnegie. C'est justement cette forme de protection russe qu'était venu rechercher Emmanuel Macron lors de sa visite d'Etat de Saint-Pétersbourg. De même, le Kremlin a volé au secours de Berlin après que Trump ait reproché aux Allemands d'acheter du gaz russe, sans oublier qu'Angela Merkel constitue le principal obstacle à une levée des sanctions européennes. Certains estiment que lors du sommet de Singapour, Donald Trump avait fait des concessions à Kim Jong-un sur le coup de l'émotion et pourrait répéter les mêmes erreurs à Helsinki. Un travers dans lequel Vladimir Poutine pourrait difficilement tomber, estiment les observateurs: il est trop discipliné pour cela. Pierre Avril (Correspondant à Moscou)