* Dans sa version 2007, le code des marchés publics contient peu de choses. Il y a juste une disposition réglementaire qui évoque la possibilité de favoriser des critères de choix des offres dans le domaine environnemental. * La notion du moins disant peut nuire à la notion du développement durable dans le cadre de passation des marchés publics. * Le développement durable ne doit pas remettre en cause la finalité de lachat public. * Entretien avec Olivier Frot, consultant à OF Conseil SARL, Conseil et formation en achat public. - Finances News Hebdo : Peut-on savoir quelles sont les raisons sous-jacentes à cette soudaine prise de conscience du développement durable dans le cadre des marchés publics ? - Olivier Frot : Lidée en Europe et en France cest de dire que les préoccupations environnementales, économiques et sociales sont essentielles et que le marché économique de loffre des produits de développement durable a besoin dune demande significative pour décoller. La commande publique est très importante dans lensemble de léconomie. Elle représente, en France et en Europe, entre 10 à 15% du PIB. Cette demande importante de produits de développement durable doit générer loffre dans la mesure où les industriels vont y répondre et fabriquer ce type de produits qui, désormais, est attendu. Donc, lintervention volontariste de la commande publique doit avoir un effet stimulant sur le marché. Aussi, cela revient à conférer à la commande publique la qualité de politique publique. - F. N. H. : Est-ce que dans le cadre de vos missions effectuées au Maroc, vous avez pu constater que le code des marchés publics contient des dispositions relatives au développement durable ? - O. F. : Effectivement. Jai travaillé sur le code des marchés publics marocain. A lheure actuelle, ledit code dans sa version 2007 comporte des objectifs de développement durable dans son article premier, cest-à-dire au niveau des principes. Il sagit surtout dobjectifs environnementaux. Parce quil faut rappeler que le développement durable repose sur trois piliers : environnemental, économique et social. A vrai dire, il y a juste une disposition réglementaire qui évoque la possibilité de favoriser des critères de choix des offres dans le domaine environnemental. Donc, il y a assez peu de choses dans le code, ce qui, dun côté ne donne pas beaucoup doutils aux acheteurs publics marocains mais, de lautre côté, leur donne une grande liberté : ils peuvent librement mettre en place des objectifs de développement durable dans leurs achats, sous réserve de respecter les principes fondamentaux de larticle premier qui sont la liberté daccès à la commande publique, légalité de traitement des candidats, la transparence des procédures et le choix de loffre économiquement la plus avantageuse - F. N. H. : Quel type de dispositions devra-t-on mettre en place dans le code des marchés publics ? - O. F. : Ce que lon pratique habituellement en Europe, ce sont le plus souvent des clauses contractuelles qui vont imposer un certain nombre de contraintes dans le domaine environnemental et social aux candidats. Par exemple, dans le domaine social, nous avons des marchés de service qui vont prévoir un certain pourcentage dheures de travail dédiées à des personnes en insertion professionnelle. Dans dautres cas, par exemple pour les aspects environnementaux, lacheteur a une double lecture de la définition du besoin. A titre dexemple, lorsquon achète un produit ou que lon construit un ouvrage, on conduira lanalyse de définition du besoin, au départ ,sur lanalyse des flux tout au long du cycle de vie du produit ou de louvrage (cycle de vie : conception, fabrication, transport, exploitation, élimination). Et à chaque étape du cycle de vie, on va évaluer les flux nécessaires et générés pour sa réalisation. Lacheteur doit analyser : les flux entrants dune part (ressources consommées), les flux sortants, dautre part (rejets et déchets produits) . En ce qui concerne les flux entrants, il sagit dun prélèvement de ressources pour lequel lacheteur dispose dun levier quantitatif, et aussi qualitatif : lacheteur choisit de diminuer les ressources utilisées pour la conception ou pour le fonctionnement de louvrage. Il recherche, par exemple, à avoir un minimum de consommation énergétique pour un bâtiment. Il donne préférence à un procédé de climatisation naturel plutôt quà des systèmes de climatisation électrique. Laspect qualitatif des flux entrants tend à privilégier des ressources renouvelables plutôt que les ressources « finies » (pétrolières en particulier). On construit, par exemple, un bâtiment « passif », cest-à-dire qui produit plus dénergie quil nen consomme parce quil est bien isolé (double vitrage, matériaux isolants) et quil peut produire de lénergie grâce, par exemple, à une éolienne sur le toit ou à des panneaux solaires photovoltaïques, qui vont produire de lénergie, ou encore à des panneaux solaires thermiques qui vont permettre davoir de leau chaude sanitaire sans consommer de pétrole, ni de gaz, ni délectricité. Et pour les flux sortants, il sagit là des déchets générés tout au long du cycle de vie du produit ou de louvrage. Nous avons également une action quantitative et une autre, qualitative. Dans un premier temps, il sagit de limiter le plus possible les rejets, les déchets, par exemple en privilégiant des emballages minimaux et en promouvant lutilisation de produits recyclés ou recyclables. - F. N. H. : Tout ceci est, certes, extraordinaire, mais quelles sont les difficultés que lon risque de rencontrer en vue de mettre en place de telles dispositions ? - O. F. : Avant de parler de difficultés, il faut rappeler que le développement durable nest pas spécifique aux achats publics mais également aux achats privés. A lheure actuelle, en France, à loccasion dune enquête réalisée par la CDAF (Compagnie des dirigeants et acheteurs de France), il a été constaté que les achats responsables constituent la priorité n°1 des directeurs des achats des grandes entreprises. La difficulté cest quil ne faut pas perdre de vue que lorsque lon réalise un achat, quil soit public ou privé, la finalité de cet achat reste, avant tout, de satisfaire un besoin. Donc, on doit dabord satisfaire un besoin et, accessoirement à loccasion de cet achat, faire du développement durable. Ce que je veux dire par là cest que le développement durable dans un achat nest pas une finalité en soi, mais un élément de la qualitée de lachat effectué. La difficulté que lon peut avoir et que jai constaté, dans certains cahiers des charges en France, ce sont des acheteurs qui vont «se faire plaisir» sur le papier pour faire un bon achat «durable» en oubliant la finalité première du produit acheté (un produit de nettoyage, avant dêtre « bio », doit dabord nettoyer correctement avec un dosage suffisant). Aussi, il est important quun acheteur qui veut introduire le développement durable dans ses achats sinforme sur loffre existante en la matière sur le marché de manière à être raisonnable dans ses exigences. Le développement durable est un des éléments de la qualité dun achat, tout simplement. - F. N. H. : Quels sont les principaux enseignements que le Maroc pourrait tirer dun pays comme la France ? - O. F. : Le Maroc peut sinspirer de ce qui a été écrit dans le code des marchés publics français, qui donne à lheure actuelle tous les outils juridiques nécessaires aux acheteurs, pour réaliser des achats responsables en toute sécurité. Il existe aussi sur Internet des réseaux dacheteurs publics responsables qui échangent leurs expériences en toute transparence.