* La première édition du Womens Tribune a été clôturée ce lundi à Essaouira autour du thème des femmes en tant que coactrices du développement. * Bien que le Maroc ait enregistré un net progrès sur le plan législatif relatif aux droits de la femme, celle-ci est toujours confrontée à de grands obstacles au niveau politique et économique. * Le Womens Tribune Maroc se veut un espace de dialogue mixte et non élitiste. * Echanges didées avec Fathia Bennis, présidente et cofondatrice du Womens Tribune Maroc. w Finances News Hebdo : Comment évaluez-vous la participation de la femme marocaine à la vie économique et politique du pays ? w Fathia Bennis : Dans sa participation à la vie économique et politique, la femme marocaine a réalisé beaucoup de progrès, notamment des avancées certaines sur le plan légal. Il reste tout de même beaucoup à faire pour rétablir la femme dans ses droits et devoirs, notamment politiques et économiques. Je cite à titre dexemple que des objectifs ne sont toujours pas atteints, notamment le quota sur le plan politique. Il faut néanmoins soulever une remarque : si la femme est moins engagée dans la politique, il faut reconnaître quelle nest pas la seule, cest aussi le cas dhommes qui ne se sentent pas concernés par la politique au pays. Le problème ne se limite pas au droit de vote qui est garanti équitablement entre les deux sexes. Le problème est que les gens ne veulent pas voter, femmes et hommes compris, à cause de la décrédibilisation politique qui est dune épine énorme dans le pied du Maroc. Ce nest donc pas un problème propre aux femmes, mais aux citoyens marocains qui, je dirais, voudraient rester sur le bord et laisser les autres piloter. Pour revenir à la représentativité de la femme sur la scène politique, chacun y va de son argumentation. Certains disent que la réglementation des partis ne permet pas aux femmes de se présenter aux élections. Moi je dis que cest faux, il y a des femmes compétentes mais on ne leur donne pas la possibilité de le faire. w F. N. H. : Donc, les compétences politiques chez les femmes existent mais demeurent entravées par des obstacles w F. B. : Jirais même plus loin. Les compétences existent aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Alors quon nous ne dise pas que les femmes ne sont pas compétentes parce quil y a aussi des hommes incompétents sans que cela ne les empêche darriver au Parlement. Cela ne veut pas dire que jencourage la médiocrité ni quil faille être au Parlement juste parce quon est une femme. Mais cest un argument qui ne tient pas la route dans la mesure où les compétences féminines en la matière existent. w F. N. H. : Est-ce que cette approche genre est constatée également sur le plan économique ? F. B. : Cest une peu différent. Si une femme décide de créer sa propre entreprise, elle peut le faire. Il nexiste aucun texte qui puisse le lui interdire. Et dailleurs, il y a beaucoup de femmes qui se sont lancées dans lentrepreneuriat mais leur nombre reste assez réduit, du fait quil y a plus de femmes dans linformel que dans le formel. LAFEM, par exemple, compte entre 400 à 500 femmes chefs dentreprise et membres de lAssociation. Ce nest pas assez ! Autre observation sur la présence féminine dans la vie économique du pays : les femmes sont plus présentes au niveau du micro-crédit et des micro-projets pour se sortir de la précarité. Là encore, il ne faut pas du tout que le micro-crédit soit la panacée, sinon les femmes resteront toujours les dernières de la classe. Il faut que le micro-crédit ne soit quun passage pour accéder au crédit bancaire et développer leurs projets. w F. N. H. : Les femmes marocaines souffrent-elles de disparités salariales ou de contraintes liées à laccès aux postes de responsabilité ? w F. B. : Maintenant, au niveau des entreprises, il ny a pas assez de femmes dans les postes de décision dans la mesure où vous trouverez beaucoup dhommes occupant des postes-clés et pas assez de femmes. Et là, le Maroc nest pas le seul à être dans cette situation ; même dans les pays européens, ce verrou na pas encore sauté ou ne lest que de manière exceptionnelle. Sur le plan salarial, ça va vous étonner, mais le Maroc nest pas le moins bien loti ; au contraire ! Je crois quà compétence égale dans un poste de responsabilité, hommes et femmes ont les mêmes salaires en principe. w F. N. H. : Comparativement à dautres femmes de la zone, peut-on dire que la femme marocaine est mieux lotie ? w F. B. : On ne peut pas arrêter un classement ! Ça dépend des domaines, mais en tout état de cause et toute chose étant relative par ailleurs, disons quau niveau du statut personnel de la femme, la transmission de la nationalité par la mère à ses enfants, le Maroc et la Tunisie sont au top niveau Pour lentrepreneuriat, nous sommes probablement mieux lotis quailleurs, mais peut-être pas mieux que les pays du nord. De manière globale, le Maroc sen sort bien mais il y a encore beaucoup de chemin à faire parce que la femme rencontre encore beaucoup dobstacles pour accéder aux postes de responsabilité. w F. N. H. : Est-ce quon peut dire aussi que la responsabilité de lamélioration de la situation de la femme lui incombe et quelle y a une part de responsabilité à assumer ? w F. B. : Effectivement, cest une responsabilité partagée. Mais il ne faut pas perdre de vue que les femmes ont réalisé beaucoup de progrès dans différents domaines grâce au travail associatif où elles sépanouissent, car elles se sentent plus valorisées et souffrent moins de machisme. Dans les partis politiques, vous trouverez rarement des femmes dans les bureaux politiques des partis. Leur nombre est disproportionné par rapport au nombre de militants politiques, ce qui prouve toute la difficulté quelles éprouvent pour accéder aux commandes sur la scène politique. Lautre versant de la réponse est, effectivement, la responsabilité partagée. Cest pourquoi nous avons voulu être une association mixte. Aussi revendiquons-nous la mixité parce que les problèmes de la femme sont ceux de la société toute entière. Nous voulons quon nous écoute mais quon écoute aussi les hommes. Et qui dit avoir des droits dit aussi remplir des devoirs ! Nous, les femmes, avons une responsabilité dans la médiocrité de certains aspects de notre société que nous devons assumer. Et il est injuste également dans lautre sens que les femmes aillent à lécole et obtiennent des diplômes pour rester à la maison par la suite, cest un vrai gaspillage de compétences et dinvestissement de lEtat. De même quil est anormal que le stress de la vie retombe sur les épaules de lhomme. Aujourdhui, pour que la vie soit viable, il faut que les deux sentraident et participent à la vie quotidienne et au développement de la société. w F. N. H. : Dans quelle mesure des initiatives pour lUnion Pour la Méditerranée ou le Statut avancé, peuvent-elles créer des espaces déchange à même daméliorer la condition des femmes et leur rôle vis-à-vis de la société ? w F. B. : Nous avons des propositions de réseautage pour participer au changement et au rapprochement des deux rives. Dailleurs, des accords se préparent dans ce sens pour que les femmes de lUnion Pour la Méditerranée participent activement aux initiatives en cours. Notre ambition est de faire entendre la voix du Sud et jespère que nous allons franchir une nouvelle étape, celle de faire participer, avec nous des femmes et des hommes lambda parce que nous ne voulons pas être une association élitiste. Nous avons dailleurs la prétention dêtre les porte-parole des sans-voix aussi bien hommes que femmes.