«Au Maroc, on se cache pour aimer», explique, la cinquantaine bien installée, Khalil Hachimi Idrissi, le Directeur de la publication et de la rédaction dAujourdhui le Maroc en évoquant ses passions. Notamment, pour les voitures. Lui, en général, ne se cache pas pour déclarer sa «flamme» pour lautomobile, le design, les arts, les idées, la culture Et il est amoureux de sa ville natale, Casablanca. «Cette ville est la dernière frontière, cest la côte ouest, la Californie du Maroc. Elle réunit tous les talents et toutes les ambitions. Elle donne cet avantage de vivre ses rêves et de réaliser ses projets -les plus fous- et, surtout, elle assure lanonymat comme toutes les grandes métropoles internationales». Son enfance, à la fin des années cinquante, se déroule paisiblement au quartier mythique de la ville, les Habous. Il en garde encore en mémoire des traces vives, des sons, des lumières et des fragrances. Famille nombreuse, famille heureuse, Khalil Hachimi Idrissi se souvient dune famille liée et dune fraternité à toute épreuve. Avec pour arrière-plan une époque agréable dinsouciance, de souvenir de vie facile. Un Maroc libéré, libéral, qui se construisait sur des valeurs démancipation et de modernité. «Je pense quon vivait dans une société où la conflictualité était très faible, le pays plus paisible». Et il sest particulièrement imbibé du personnage de son père. «Mon père était fonctionnaire à la RTM, il était dailleurs parmi les pionniers, les premiers à avoir intégré la RTM en 1957». La radio a bercé son enfance ; il garde même en mémoire des images, lodeur des studios de la place des Nations Unies juste derrière le théâtre qui, «tous les deux nexistent plus». Un studio que lui a fait visiter son père alors que Khalil Hachimi Idrissi devait avoir lâge de 6 ans. Cette ambiance la marqué à tel point quintégrer le monde des médias semblait être une évidence. «La radio était un média mûr et efficace à lépoque. Elle exprimait dune manière formidable la vie culturelle et artistique du pays. Nous étions en contact permanent avec linformation, les artistes et tout ce qui se passait au Maroc». Pas étonnant que le choix de son prénom (Khalil) se soit retrouvé sublimé dans une chanson de la diva libanaise, Asmahane. Enfant, il fait ses études à la mission française et décroche un Bac en philo et lettres. «Jétais un assez bon élève et assez bon sportif». Il a accordé dailleurs une grande importance à ancrer la lecture et le sport dans léducation de ses enfants : «Comment peut-on éduquer des enfants sil ne sont pas intéressés très tôt par le monde du sport». Son sport favori est la balle ovale ; oui, il a joué longtemps au rugby avec ses camarades, constituant un cercle fermé où les adversaires partagent leur repas juste après sêtre confrontés sur la pelouse. Un sport fait damitié durable, délégance et de sens de la dignité. «Cest un sport de voyou, joué par des gentlemen. Ainsi, cest un sport qui inculque des valeurs particulières, notamment la ténacité et le fair play». Pour lui, il ne sagit pas dun passé sublimé, mais lidée qui peut paraître contradictoire est que le Maroc de lépoque était, paradoxalement plus moderne, plus «laïc» et plus libre quaujourdhui. Dans ce sens où la ville de Casablanca, que notre personnage porte dans son cur, était plus urbaine. «Elle est à lorigine de lurbanisation du Maroc, par son grand patrimoine Art Déco reconnu mondialement. Maintenant, cest une ville qui se ruralise et où le conservatisme est rampant. Elle est devenue régressive, polluée et énervée». Khalil Hachimi est également nostalgique du temps où les gens se souciaient les uns des autres, des valeurs quil a essayé de transmettre au mieux à ses enfants. «Aujourdhui, cette capacité de se mettre à la place de lautre est devenue quasi nulle». Enfance heureuse, insouciante, les choses deviennent néanmoins plus sérieuses pour Khalil après lobtention de son Bac. Il décide de partir en France pour ses études, pour y rester près de deux décennies. «Tout finit par glisser sans avoir à décider». La vie parisienne le subjugue. Une ouverture sur un nouveau monde qui lui fait découvrir sa propre identité. «Cest dans la différence que tu commences à connaître ta propre identité, ce que cest que dêtre Marocain, Arabe et Musulman. De même que cette ville est un grand carrefour des idées et de la culture. Jai appris ce que cest que la liberté mais aussi dêtre responsable de sa vie». Il a découvert une autre société. Cette nouvelle expérience, cette nouvelle vie, disons, lui apprendra à relativiser toute chose. «On nest plus dans labsolu, dans lOrient». Ses études en sciences humaines le passionnent. Il décroche un diplôme de 3ème Cycle à lUniversité Paris I à lInstitut de géographie de la rue Saint-Jacques. Avide de savoir, il suivra dautres formations, et démarrera sa vie professionnelle sur place. Mais son épanouissement, il le trouve dans la vie active et dans une vie communautaire intense, dans une société de débat de laquelle il fait désormais partie. Il est vite rattrapé par ses passions denfance. Les médias lattirent et il sengage ainsi dans la vie médiatique et culturelle de la cité. Il devient de plus en plus impliqué et visible par son engagement. «Dans les années 81, nous avons vécu lalternance en France. Nous étions dans les premières lignes». Ces premières lignes quil ne quittera plus désormais, décidé à traquer linfo là où elle se trouve, à monter des médias, et agir dans le domaine de linformation, de la culture. Et toujours par glissement, il retourne au Maroc au début des années 90. Sans vraiment lavoir décidé et sans vraiment résister à la tentation du pays. «Cétait une période où le Maroc séveillait et sortait dune espèce de glaciation ; il sy passait des choses et je me suis retrouvé en train de participer à cette évolution. Naturellement.». Il arrive donc avec son expérience et son vécu. Il se retrouve rapidement en avant poste. «Politiquement, on est plus construit et on nest plus un enfant de chur». Il avait rencontré Mohamed Selhami par le biais de Chakib Laroussi qui avait fait du bureau de la MAP à Paris, un lieu riche et fécond pendant plusieurs années. Un ami très proche. «Selhami et moi avions le même langage professionnel ou la même syntaxe du métier. Nous avons donné à Maroc Hebdo sa vitesse de croisière et une place de choix dans le paysage médiatique marocain. Cétait une expérience formidable et nous avons participé à la création de la presse indépendante. Je suis parmi les rares personnes à bien connaître cet homme sur le plan du métier, il a apporté beaucoup à ce secteur. Il devrait avoir une case qui correspond à son mérite». Sil se défend dêtre un dur à cuire, il reconnaît néanmoins être quelquun qui sait mener les combats et les finir quand il le faut ; ses idées, ses équipes et ses principes, il les défend jusquau bout sans être intimidé. Et Dieu sait quà lépoque, être journaliste nétait pas une mince affaire. Il fallait savoir manier la subtilité, contourner la censure. «On pouvait nous faire un procès dintention sur la respiration quimposait une phrase. La vie nétait pas rose tous les jours». Khalil Hachimi pouvait se contenter de ce quil avait, mais il voulait apporter un plus à la presse, notamment quotidienne, et cest ainsi quil lance Aujourdhui le Maroc. «Au Maroc, on semble dire que le misérabilisme est gage dhonnêteté, que la pauvreté rime avec vertu, que lhypocrisie, cest du savoir-vivre. Cest de la démagogie !». Pour lui, il y a une fierté dans ce métier, il faut défendre une image collective. Elu depuis peu à la tête de la Fédération Marocaine des Editeurs de Journaux, Khalil est conscient du rôle que doit jouer la presse «Cest un secteur économique important qui emploie 35.000 salariés. Les entreprises de presse ont fait preuve de transparence, de leur volonté de mise à niveau en investissant quelquefois avec beaucoup de risques dans le secteur. La presse est un partenaire inévitable et incontournable de la démocratie et contribue de manière incontestable à lévolution de la société. Nous ne devons pas souffrir comme nous souffrons aujourdhui». Il fait référence au manque de ressources humaines, mais accorde de limportance à valoriser le métier et à bien considérer les journalistes. Khalil naime pas lamateurisme et estime également quun journaliste doit avoir de lhumilité dans lexercice de son métier. «La prise de parole exige une maîtrise du métier. Le journaliste doit toujours se poser la question : quest-ce que jai comme pertinence pour écrire, madresser aux gens, aux lecteurs ? La prise de parole doit participer à animer le débat dune manière utile et constructive, sinon ce nest que bavardage». Pour lui, le journaliste doit sastreindre à une forme dexemplarité sans sériger en donneur de leçon. Exigeant, Khalil a appris à calmer ses ardeurs, mais quand il est en colère, ça lui prend environ 2 jours pour se calmer. Il se moque pas mal du quen dira-t-on ou quen pensera-t-on ; pour lui, limportant est que son discours soit au diapason de son engagement ! «Ma vie me ressemble, jai donné et reçu des choses formidables, mais je nai jamais rien eu gratuitement». Il na jamais cru au hasard mais au travail, à leffort et à la ténacité, en simposant une logique dexcellence !