Dans la société marocaine, la mort n'est pas seulement appréhendée comme un évènement strictement individuel, mais elle se place au cur du groupe social. La mort provoque un retour sur soi, la communauté mesure sa vulnérabilité et se défend par la cohésion, les pleurs et les prières. La perte irréparable d'un individu est repoussée «magiquement» par le groupe tout entier aux moyens d'un essaim de symboles. Toutefois, la disparition d'un individu dans le groupe n'est tolérable que dans la mesure où ce dernier intègre la mort dans un cycle vie-mort sans fin où les vivants remplacent les défunts et où l'on associe naissance et décès. Le deuil est une sorte de riposte collective au mécanisme d'énergie visant à atténuer le désarroi consécutif à l'événement, ainsi que le sentiment de froid que véhicule la mort lorsqu'elle survient. Tout un arsenal de symboles réconfortants se met en place pour repousser, voire anéantir l'aspect terrifiant de la mort. Par la croyance et le côté sacré, le rite acquiert une fonction hautement apaisante et sécurisante. La mentalité marocaine face à la mort est directement encadrée par l'enseignement religieux. La foi devient donc le soutien naturel du Musulman pour qui tout se résume dans la phrase : «c'est à Dieu que nous appartenons et c'est à Lui que nous retournons». En outre, la mort est perçue comme désordre social car elle perturbe et entame l'agencement et la cohérence du groupe. La conscience grégaire pousse la communauté à se sentir coupable une fois affectée par la disparition d'un de ses éléments. Selon la tradition et dès que le décès est survenu, la famille en avertit les amis, les gens vertueux de la communauté et les proches parents. La maison du défunt est alors ouverte aux visiteurs pour les condoléances. Les femmes reçoivent les femmes et restent à domicile. Les hommes reçoivent les hommes, la plupart du temps chez un voisin. Il faut dire que la durée des visites au domicile est indépendante des délais prescrits pour organiser les funérailles proprement dites. Les condoléances se pratiquent pendant trois jours et pas au-delà, sauf dans le cas où quelqu'un se déplace de loin. Le visiteur emprunte souvent la formule de politesse : «Que Dieu augmente ta récompense, t'accorde l'endurance et pardonne à ton regretté». Et à la famille de répondre : «Amen, que Dieu te récompense et t'évite tout mal». Souvent, les familles organisent un «festin» au retour du cimetière. À la maison la famille ne lésine pas sur les moyens. Des fois les repas sont comparables à ceux des fêtes. Ce genre d'attitude est mal compris par les autres communautés musulmanes, car les dépenses sont alors perçues comme des actes destinés à se faire remarquer. En la matière, spontanéité et sincérité sont de règle. À ce repas est convié l'imam qui a présidé aux funérailles. Le repas est destiné à l'âme du défunt. L'imam fait la prière et le fils pour le père décédé, ou la fille pour la mère décédée, entame le repas en mémoire du défunt. Il est alors courant, en tant que plus proche par le sang, qu'il ou elle appelle alors symboliquement le défunt. Cela crée en général un moment d'émotion. Le repas consacre le remplacement du défunt dans sa place au sein de la famille et de la société par son représentant le plus proche. Celui-ci veille alors à remercier tous ceux qui se sont associés à la peine de la famille. Un repas pour l'âme du défunt est ensuite organisé le 7ème jour, le 40ème jour, le 7ème mois, puis au premier anniversaire du décès. La mort a véritablement une dimension communautaire très forte au Maroc. Elle provoque une mobilisation générale autour des endeuillés, visant à les aider pendant les premiers jours en les déchargeant de tout souci. Toujours selon la tradition, les voisins veillent eux-mêmes à ce que le domicile du défunt soit propre, font la cuisine, reçoivent les visites pour que les proches soient le moins possible dérangés. Ils nettoient de fond en comble l'appartement du défunt dès que le convoi mortuaire part vers le cimetière. Ce sont généralement eux qui préparent le repas de retour du cimetière. Il faut noter cependant que le phénomène d'isolement dans les grands centres urbains commence à toucher également les foyers musulmans. La charité est moins forte, moins spontanée, la modernité finira par avoir raison du deuil dantan.