* Le taux de chômage de 7,7% communiqué par le HCP est surprenant et suscite moults interrogations. * Parmi les arguments avancés par Mehdi Lahlou, économiste, le chômage déguisé figure en bonne position et biaise le calcul du taux réel de chômage. q Si le BTP a tiré l'emploi en avant, il aurait pu le faire depuis longtemps ; et pourquoi le malaise social persiste-t-il ? La dernière note du HCP indique que la population au chômage a affiché une nette baisse au cours du deuxième trimestre de l'année en cours par rapport au second trimestre 2005. En terme de chiffres, cette baisse est de l'ordre de 360.000 personnes, et en terme de pourcentage elle est de 7,7% contre 11,1% une année auparavant. L'information est certes réconfortante dans un contexte de réformes profondes, mais elle demeure néanmoins peu digeste. Comment le Maroc a pu parvenir à un résultat aussi intéressant en l'espace de quelques années ? Comment le Maroc aurait su réduire un taux de chômage qui, trois années auparavant, s'établissait à plus de 12,5% ? Un taux qui malheureusement n'était pas plus crédible selon les spécialistes. D'aucuns estiment qu'il ne faut pas oublier que le Maroc subit désormais une révolution sur le plan social. On assiste à de grands investissements dans des régions délaissées pendant longtemps telle que celle du Nord. Mais cela n'est que la partie visible de l'iceberg parce que ces réformes sont toujours à leurs premiers balbutiements et les fruits escomptés ne pourraient voir le jour dans l'immédiat. En effet, force est de constater que le chômage qui frappe notre pays est celui des jeunes diplômés. Il s'agit malheureusement d'un chômage dominé par ceux qui n'ont jamais travaillé et de longue durée. Un fait qui n'a pas pu se dissoudre par le peu de mesures mises en place par les pouvoirs publics telles que la création de l'Agence nationale de l'emploi, le programme action-emploi. Des mesurettes qui ont révélé deux grands problèmes, à savoir le manque de transparence et la faible capacité de gestion des politiques de l'emploi. En guise de rappel, il y a deux ans le HCP avait fait des projections relevant qu'à l'horizon 2009, avec un taux d'activité restant au même niveau qu'en 2003, le taux de chômage national atteindrait 13,2%. «Il faudrait, dans les mêmes conditions, un taux de croissance de 5,5% pour qu'il baisse à 7,1%». De nombreux observateurs estiment que pour espérer maîtriser le fléau du chômage, il faudrait un taux de croissance qui avoisine les 6 à 7%. Pourrait-on dire aujourd'hui : chose promise, chose due ? Si on part de telles hypothèses, on doit prétendre que le Maroc entame la véritable voie de la croissance. Or, le développement de l'investissement et de la croissance est tributaire de l'existence d'un environnement global favorable : opportunités d'investissement, infrastructures appropriées, Administration efficace et non corrompue, concurrence loyale, Justice qui fonctionne, une demande et un marché Un environnement qui reste toujours pointé du doigt, d'autant plus que la croissance est tirée par la bonne campagne agricole. Les prévisions tablent aujourd'hui sur un taux de croissance du PIB de 7,1% à fin 2006 et, par ricochet, un taux de chômage de 7,7%. Toutefois, si on y regarde de près, on remarque que, pour l'année 2006, le poids de l'agriculture est déterminant. Le HCP annonce que la baisse du taux de chômage est due au secteur agricole qui a connu au cours de l'année 2005-2006 une campagne exceptionnelle, et qu'elle est due également aux emplois créés par le BTP et aux actions de promotion de l'emploi. Un autre point mérite d'être soulevé ; c'est que cette baisse, aussi importante soit-elle, n'a pas suscité l'intérêt de nos politiciens, alors que sous d'autres cieux une hausse de cet ordre provoque un vrai tapage médiatique. Ce qui laisse supposer que les responsables ont perdu confiance. Taux de chômage : un jeu de calcul D'après Mehdi Lahlou, économiste et spécialiste en matière d'emploi, le chiffre annoncé de 7,7% est très surprenant et soulève des questionnements. «La véracité de ce taux est tributaire des concepts utilisés pour la situation du marché de l'emploi au Maroc». souligne-t-il. A ce titre, Lahlou annonce que le taux de 2,5% en milieu rural cache une part appréciable de chômage déguisé. Ce qui laisse penser que même lors d'une bonne campagne agricole, la variation ne serait pas aussi importante. «Qu'il pleuve ou qu'il ne pleuve pas, l'impact ne serait pas aussi important sur un taux de chômage en milieu rural qui est bas». L'autre argument qui, selon Lahlou, biaise le calcul du taux de chômage au Maroc c'est l'impact timide de l'activité agricole sur celles non agricoles qui, au cours de l'exercice 2005-2006, est de 3%. Et donc, pour que l'impact sur le taux de chômage soit important, il faut que la productivité de ces activités soit importante. Au Maroc, d'après la dernière note publiée par le HCP, le nombre de chômeurs s'élève à 879.000 pour une population active de 11.200.000. Or, d'après le recensement général, la population en âge de travailler 15 à 60 ans s'élève à 19 millions. Ce qui laisse supposer qu'il y a erreur sur les bases de calcul. D'après Lahlou, le taux prend en considération dans son calcul l'emploi non rémunéré. En 2005, ce taux est de 31% de la population active en milieu urbain ; alors qu'en milieu rural, il est de l'ordre de 53,7%. A fin juin 2006, la part de l'emploi non rémunéré dans la population active occupée est de 29,7%. L'économiste s'interroge sur la justesse de considérer une population ne percevant pas de salaire comme étant occupée. Selon lui, si on assiste à un quasi-plein emploi en milieu rural, essentiellement chez les femmes, qu'est-ce qui explique leur migration massive vers le milieu urbain pour faire le travail domestique ou d'autres activités ne nécessitant aucune formation ? «Donc, il y a quelque chose qui sonne faux !» Selon un économiste qui désire garder l'anonymat, les chiffres au Maroc sur l'emploi restent de l'apanage du ministère de l'Emploi qui demeure habilité à nous fournir des statistiques plus fiables. Pour disposer de chiffres reflétant la réalité, l'ANAPEC est appelée à jouer le rôle qui lui est dévolu : tous les chômeurs demandeurs d'emploi doivent être obligatoirement inscrits sur le registre de l'ANAPEC qui a pour rôle d'assurer l'intermédiation sur le marché de l'emploi. Par ailleurs, tout employeur est amené à informer l'Inspection du travail de sa circonscription de toute embauche et de tout licenciement. Et tout employeur est exhorté à déclarer son employé à la CNSS. Des obligations qui relèvent souvent de la théorie dans la mesure où elles restent sans suite. «Donc, à défaut d'informations auprès des sources habilitées, nous n'avons d'autres alternatives que de nous fier à celles existantes», confie la même source.