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Développement : Sécheresse ou pas, le modèle économique est à revoir
Publié dans Finances news le 08 - 02 - 2016

Une croissance peu inclusive, des inégalités très frappantes... La libéralisation a réduit peu ou prou la pauvreté monétaire, mais pas celle multidimensionnelle. A la veille des élections et des crispations politiques, des tensions sociales risquent de surgir. Les principaux maillons faibles de la chaîne économique sont la lenteur des transformations structurelles et, par ricochet, les faibles gains de productivité. Repenser le modèle économique est la recommandation-phare sur laquelle se sont attardés Larabi Jaïdi et J-P Chauffour, respectivement professeur-chercheur universitaire et économiste principal de la Banque mondiale au Maroc, invités de la Fondation Attijariwafa bank.
Regarder dans le rétroviseur, faire une pause et se projeter dans l'avenir, tout en émettant quelques pistes de réflexion, est en résumé l'exercice auquel se sont livrés Larabi Jaïdi et Jean-Pierre Chauffour, respectivement professeur universitaire et Chef économiste de la Banque mondiale, lors de la conférence de presse relative aux perspectives économiques 2016, organisée récemment par la fondation Attijariwafa bank. L'art et la délicatesse de cet exercice exigent des profils très pointus, en les personnes de Larabi Jaïdi et de Jean-Pierre Chauffour, qui ont résumé avec doigté les défaillances structurelles de notre économie. Les deux économistes partent du même constat : l'année 2016 s'annonce difficile, très difficile, mais il ne faut pas trop s'alarmer. Dans une conjoncture atone, le plus grand souci pour les décideurs politiques et les observateurs serait plutôt de revoir le modèle économique.
Le PIB non agricole ne décolle pas
Les dernières prévisions du HCP enfoncent le clou et augurent d'une décélération importante et d'une division du taux de croissance (prévu au départ) par 2, soit un pourcentage oscillant autour de 1,3%. Un signal rouge est ainsi émis ! Voulant atténuer les prévisions du département de Lahlimi, L. Jaïdi rassure : «Lorsque nous gravissons les échelons, nous remarquons que la croissance économique n'est jamais linéaire. Aussi, l'effet de la sécheresse ne sera-t-il pas aussi dramatique grâce au Plan Maroc Vert, qui va permettre d'atténuer les conséquences». Il reste cependant conscient que l'agriculture pèse de tout son poids dans le PIB, se caractérise par une diversification à faible impact et, surtout, se traduit par une diminution des dépenses des ménages. A ce titre, il rappelle qu'une bonne campagne agricole permet la revalorisation des salaires et l'augmentation de la consommation des ménages. «La demande intérieure est un véritable moteur de croissance économique», précise-t-il. Dans la même foulée, la structure économique montre que depuis les années 2000, le PIB non agricole évolue moins vite. Elle est surtout dominée par le tertiaire, qui reste à faible valeur ajoutée. Depuis deux ou trois ans, le secteur du BTP connaît une certaine décélération. En matière d'industrie, les exportations brillent par une faible valeur ajoutée et ce, malgré le bon comportement de l'automobile et de l'aéronautique. En cause, leur poids dans la balance commerciale reste inférieur à celui des industries traditionnelles, telles que le textile-habillement, l'agroalimentaire ou l'industrie manufacturière. Une chose est sûre : le Maroc reste ainsi cantonné à une configuration où le PIB non agricole ne décolle pas. Toutes ces caractéristiques témoignent de l'importance d'une révision du modèle économique en vigueur. Et la grande interrogation qui se pose est celle relative au fonctionnement des structures, au comportement des agents économiques et, surtout, à la marge de manoeuvre dont dispose l'équipe au pouvoir pour accélérer les réformes. Les réformes économiques existent et sont nombreuses, mais restent parfois sans grand impact sur la structure économique. «L'incertitude de l'environnement incite à l'accélération des réformes et à l'évaluation de l'effectivité de la loi. Une loi n'est réellement efficace que lorsqu'elle est absorbée par les acteurs», clame L. Jaïdi. Les transformations de certaines structures sont bien réelles, l'ouverture de l'économie est véridique et la libéralisation de certains acteurs économiques l'est aussi, mais pour quelle finalité ? Une question de plus en plus récurrente chez les économistes. «La croissance économique n'est pas en convergence avec celle des pays émergents. Or, dans une compétition mondiale, ce qui compte, ce n'est pas le taux atteint, mais celui réalisé par rapport à ses compétiteurs», martèle L. Jaïdi. Qu'on le veuille ou non, le modèle économique marocain reste très volatile. Ce qui reflète l'état de la transformation des structures qui est lent. L'analyse des grands blocs (primaire, secondaire et tertiaire) montre que les diversifications sont insuffisantes. Y a-t-il eu des transformations ? Oui, mais elles sont relativement lentes. «Sachant que depuis un certain nombre d'années, l'orientation fondamentale du Maroc est de s'ouvrir sur l'extérieur et de s'arrimer sur l'Europe, notre modèle reste drivé par la demande intérieure», annonce-t-il à juste titre. Un constat qui ouvre le débat sur la sempiternelle question liée aux enjeux des accords de libre-échange, les mesures d'accompagnement, la compétitivité des produits et, in fine, sur comment manier la défense nationale conformément aux normes. Parce qu'il existe des normes commerciales dont l'intégration à la politique commerciale a pris énormément de temps.
Autres écueils...
L'une autre pierre d'achoppement sur laquelle bute notre économie est celle de la compétitivité. Désormais, le problème ne se pose plus en termes de coûts, mais, surtout, en qualité et en différenciation. Notre tissu économique national a du mal à se positionner sur la scène internationale face à d'autres pays concurrents. Sur un autre plan, le taux d'investissement public par rapport au PIB suscite des divergences. D'aucuns considèrent que ledit taux ne cesse de baisser au cours des dernières années. D'autres, par contre, prétendent qu'il s'agit d'un taux convenable, sauf que comparativement à d'autres pays émergents, ses retombées sont limitées sur la croissance économique. L'idée sous-jacente est que la FBCF est tirée essentiellement par l'investissement public, orientée essentiellement vers les infrastructures, dont les retombées dans l'immédiat sont faibles. Ajoutons à cela, le lien entre investissement public et privé qui n'est pas très optimisé. Au sein même du secteur privé, avec ses multiples composantes, il faut réfléchir à des relations interentreprises. «Si l'on n'intègre pas la PME dans les nouveaux secteurs ou ceux qui sont communément appelés les métiers mondiaux, cette dernière restera fragile parce qu'elle n'est pas adossée à un ensemble solide et, du coup, quel que soit le dispositif, en termes de financement ou de garantie mis à sa disposition, elle restera dans l'incertitude», explique davantage le professeur universitaire.
Faibles gains de productivité
De son côté, l'économiste en Chef de la Banque mondiale annonce que, compte tenu du déficit de la pluviométrie, une révision des prévisions initiales de l'institution est prévue (un taux inférieur à 2%) lors de la prochaine réunion annuelle. Au lieu de s'attarder sur cette année de sécheresse, un peu particulière, il pose un certain nombre de questions : quel a été le modèle de développement économique au cours des années 2000 ? Comment le pays a-t-il négocié la période difficile de la crise financière 2008 ? Comment cela s'est-il traduit par une aggravation des déficits pendant la période 2008-2012 ? Depuis 2012, des efforts ont été consentis pour consolider la situation budgétaire et restaurer la situation économique du Royaume. «Par rapport à d'autres pays de la région MENA, le Maroc a enregistré des taux de croissance tout à fait respectables. Mais il y a des urgences à gérer», explique le Chef économiste de la Banque mondiale. Il cite en premier le problème des jeunes sans emplois et la nécessité de trouver des mécanismes pour accélérer une croissance de manière durable et inclusive. Les jeunes marocains sont conscients de ce qui se passe de l'autre côté, que ce soit en Asie, aux Etats-Unis ou en Amérique latine... et de ce fait, des attentes se créent chaque jour. Des attentes qui risquent de se traduire par des mécontentements, si rien n'est fait. On ne peut plus clair ! Le Maroc a besoin d'un modèle de développement économique soutenable. Dans la même lignée, il rappelle que la Banque mondiale effectue régulièrement un travail de fond pour comprendre la composition de la richesse des pays. La conclusion qui se dégage est : les pays se différencient dans l'accumulation de richesses, non par rapport aux investissements réalisés, mais surtout dans les dimensions immatérielles de ces investissements, notamment le capital humain et l'éducation. En matière d'investissement, le Maroc se trouve dans une situation «capitalivore» comparable à celle des dragons asiatiques, durant les années 70. Sauf que ces derniers affichaient des taux de croissance de 7 à 8%. C'est dire qu'un maillon manque à la chaîne. Et ce maillon faible n'est autre que les gains de productivité. Pour y parvenir, l'économiste en Chef insiste sur la bonne gouvernance et l'amélioration du climat des affaires. Il partage l'avis de L. Jaïdi sur la transformation structurelle qui, dans le cas de notre économie, reste assez lente. «Pour pouvoir créer des emplois, il faut en fermer d'autres. Ce qui est assez délicat lorsque la conjoncture n'est pas assez bonne», précise-t-il. J.P Chauffour attire l'attention sur la dette du Trésor qui a atteint 65% en l'espace de cinq ans. Elle reste élevée par rapport à des pays à développement comparable. Il en découle ainsi une capacité d'augmentation de la dette limitée et une marge de manoeuvre assez faible. L'autre levier important est celui de la fiscalité, consistant à élargir l'assiette sans pour autant que les taux soient dissuasifs et handicapent l'entrepreneuriat. Et pour ce qui est de la politique monétaire, elle est conduite avec la volonté d'accompagner la croissance dans la mesure du possible : des taux d'intérêt assez bas, une inflation structurellement basse... avec de moindres effets sur la croissance économique.
Transformations structurelles : C'est un peu délicat !
Pour réaliser des gains de productivité, il faut qu'il y ait des transformations structurelles du pays; il faut que des emplois disparaissent pour que d'autres soient créés. Et si possible, ces emplois créés devront permettre aux mêmes travailleurs d'avoir une plus grande contribution à l'échelle du pays. Si l'on regarde de près les pays émergents (Turquie, Brésil, Chine...), on voit nette­ment ces transformations structurelles. Le Maroc se trouve dans une situa­tion où 40% de sa population se trouve dans le monde rural, 17 à 18% est une valeur ajoutée agricole. C'est vrai, nous assistons à une succession des plans d'industrialisation, de volontarisme industriel et l'émergence de nouveaux métiers (automobile, aéronautique). Toutefois, le pays n'arrive pas à engen­drer, avec le temps, un processus de transformation structurelle.
Emploi : Le grand dilemme
Le modèle marocain connait un certain nombre de dilemmes non résolus jusqu'à présent : bon an, mal an, il enregistre une croissance économique faiblement génératrice d'emplois; un point de PIB procure un nombre limité d'emplois par rapport à l'effectif qui arrive sur le marché du travail. Pis encore, le statut de ceux qui s'insèrent dans le marché du travail (autoentrepreneur, salarié, informel...) suscite des interrogations. Et pour cause, l'économie formelle absorbe peu par rapport à cette masse qui afflue sur le marché du travail. Une donnée extrêmement importante à laquelle il faut donner de l'importance. Parce que si la croissance économique ralentit, il faut s'attendre à la montée des tensions sociales, surtout que nous sommes à la veille des élections.


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