Le capital immatériel joue un rôle essentiel dans le fonctionnement de l'économie et peut être une importante source de création de richesses, s'il est bien valorisé. La richesse immatérielle du Maroc est significative (78% du PIB), mais le pays doit investir davantage dans son capital humain pour ne pas se retrouver en marge du nouveau monde qui se dessine : un monde où l'économie du savoir et de la connaissance prend irrémédiablement le pas sur les richesses matérielles conventionnelles. La réflexion sur le capital immatériel au Maroc bat son plein. Alors que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ainsi que Bank Al-Maghrib planchent sur la manière de valoriser ce capital, le monde universitaire n'en oublie pas d'apporter sa contribution au débat. La faculté polydisciplinaire d'El Jadida a ainsi organisé récemment le 2ème Congrès international de l'économie de la connaissance et de l'immatériel, sous le thème : «Regards croisés sur le capital immatériel dans les pays de la région MENA et de l'OCDE». Durant cette rencontre, experts et autres chercheurs étaient unanimes pour dire que le capital immatériel, sous toutes ses formes, joue un rôle capital dans le fonctionnement de l'économie et doit être le fondement de toutes les stratégies de développement et d'accroissement de richesse. Cela est d'autant plus vrai pour le Maroc, qui est richement doté en capital immatériel, comme le rapporte la Banque mondiale. L'institution de Bretton Woods estime le poids de la richesse immatérielle dans l'économie marocaine à 78%. C'est beaucoup plus que la moyenne des pays de la zone MENA, et tout proche de celle des pays développés. Selon Tarik Kasbaoui, directeur du laboratoire de recherche en gestion, Largess, organisateur du colloque, «il est nécessaire de valoriser ce capital immatériel pour développer l'attractivité du pays, mieux orienter les politiques publiques et aussi permettre la création de richesse pour les entreprises, surtout dans une économie mondiale de plus en plus tournée vers la connaissance». Si tout le monde s'accorde à donner à la richesse immatérielle l'importance qu'elle mérite, la question du «Comment» reste entièrement posée. La question de la quantification de l'actif immatériel d'un pays ou d'une entreprise n'est en effet toujours pas résolue. «Il faut mettre au point une comptabilité qui mesure le capital immatériel que ce soit pour les Etats ou les entreprises», préconise Kasbaoui. Plus facile à dire qu'à faire. Car, comme le souligne Abdellatif Fekkak, professeur des universités, «Comment mesurer le bien-être ? Comment mesurer la stabilité politique ?». Là réside toute la difficulté. «Nous manquons aujourd'hui d'outils statistiques pour mesurer notre capital immatériel, notre savoir-faire et notre capital «réputationnel»», indique Larbi Hanane, professeur des universités. Pour avoir une réalité «approchée» de notre capital immatériel, il faut prendre en compte tout ce qui fait la richesse intangible du Maroc, que ce soit le patrimoine culturel, les coutumes, le patrimoine social, la gouvernance politique, ou encore le degré de confiance dans les institutions, poursuit L. Hanane. La première phase des travaux du CESE est d'ailleurs consacrée à la quantification des richesses immatérielles du Maroc. Infos riches vs infos pauvres Aujourd'hui, il est acquis que l'intégration du capital immatériel dans le modèle de développement d'un pays n'est pas un luxe et ne concerne pas uniquement une poignée d'experts et d'intellectuels. Le capital immatériel s'érige de plus en plus en moteur déterminant de la croissance, et le monde s'en trouve profondément bouleversé. «On assiste à une transition mondiale, à un changement de paradigme. L'économie industrielle fondée sur l'accumulation de richesses laisse place à une économie du savoir à la conquête des esprits, dotée d'une charge émotive et cognitive», analyse L. Hanane. «L'irrésistible montée du capital immatériel» est décuplée par l'avènement des technologies de l'information et de la communication (TIC). «Les TIC jouent aujourd'hui le rôle que jouait autrefois l'électricité au moment de la révolution industrielle. La notion de propriété est remplacée par la notion d'accès», souligne L. Hanane. Ce qui fait qu'aujourd'hui, on parle de moins en moins de pays développés et de pays en développement mais plutôt «d'infos riches» et «d'infos pauvres». Que dire des pays de la zone Mena dans ce monde en mouvement sinon que le diagnostic n'est guère réjouissant. Le système éducatif n'est pas à la hauteur des exigences de la mondialisation. Selon un rapport de la Banque mondiale, avant le choc pétrolier, la région MENA comptait 8% d'analphabètes, aujourd'hui elle en enregistre 21%. Il y a une régression des systèmes éducatifs et pas assez d'attractivité pour investir dans le savoir. «Il y a trop de savoir et de savoir-faire éparpillés qui ne sont pas dans nos écoles», déplore L. Hanane. Le Royaume est condamné à investir dans le savoir, la connaissance, l'immatériel, et faire du système éducatif un levier de croissance pour ne pas rater le train en marche. Il a certes accusé un important retard, mais le rattrapage est encore possible, comme ce fut le cas de la Malaisie, grâce à la qualification de l'emploi, selon L. Hanane. Comment évaluer l'intangible ? La question de l'évaluation de l'intangible se pose également pour les entreprises. Il existe bien la notion comptable d'actifs incorporels, mais elle ne représente qu'une partie des intangibles, comme la marque, les brevets ou le fonds de commerce. Elle n'évalue pas l'humain ou la matière grise. «Aujourd'hui, on ne sait pas évaluer directement le capital immatériel d'une entreprise. On le fait par soustraction», précise Abdelghani Bendriouch, professeur des universités à l'ISCAE. En réalité, plusieurs actifs immatériels ne sont pas pris en compte dans les bilans des sociétés, à l'image des ressources humaines, des actionnaires, du système d'information, de l'organisation, la gouvernance, et le capital environnemental. Pour ces actifs se pose le problème de leur juste évaluation quand ils ne sont pas tout simplement ignorés par le système comptable. «La méthode PVA (people value added) est une ébauche de méthode prometteuse», estime A. Bendriouch.