Au moment où nous mettions sous presse, les montants déclarés ont dépassé les 12 milliards de DH. Le dernier délai pour procéder aux déclarations est maintenu au 31 décembre 2014. A quelques jours de la date butoir, les banques sont plus que jamais mobilisées pour faire face au rush dans leurs agences. Ceux qui refusent de rentrer dans le droit chemin s'exposent à des sanctions très lourdes, dans un contexte international marqué notamment par la fin inéluctable du «no man's land fiscal». Contrairement aux doutes qui ont subsisté lors du lancement de l'opération d'amnistie fiscale et de change, elle est couronnée de succès. «Au 24 décembre, le montant global des déclarations s'est élevé à plus de 12 milliards de DH», affirme Jawad Hamri, DG de l'Office des changes. Ce montant est réparti entre les actifs immobiliers, comptabilisés à leur valeur d'acquisition, les actifs financiers et les liquidités bancaires. «Nous avons été surpris de voir que les liquidités sont plus importantes, représentant 60% du montant total. Mais nous nous acheminons progressivement vers 40% pour l'immobilier, 30 à 35% pour les liquidités et le solde en actifs financiers», précise Hamri. Et les montants récoltés auraient pu être plus importants si les délais étaient prorogés. Sur ce point, Hamri est néanmoins formel : «la date butoir pour procéder aux déclarations est maintenue au 31 décembre», les rapatriements pouvant, eux, s'effectuer, jusqu'au 31 janvier 2015. Plus que quelques jours donc pour... se libérer de l'illégalité. In fine, le gouvernement pourrait donc récolter le double du montant sur lequel il tablait. C'est inespéré, mais cela peut s'expliquer. Car, le temps aidant, et avec la communication et les garanties de confidentialité qui accompagnent la contribution libératoire, plusieurs personnes ont pris conscience de l'énorme opportunité qui leur était offerte : revenir dans «le droit chemin» à moindre frais et pouvoir gérer leur patrimoine en toute sérénité. Partenariat exemplaire Il faut relever, histoire de rendre à César ce qui appartient à César, que si le gouvernement peut actuellement s'enorgueillir de la réussite de cette opération, c'est parce qu'en amont, il y a un formidable travail qui a été effectué. D'un côté, il y a l'Office des changes et l'administration fiscale qui n'ont pas fait d'économie dans l'effort pour expliquer et réexpliquer la contribution libératoire dans tous ses aspects. Ce travail pédagogique de longue haleine, mené dans toutes les villes du Royaume pendant plusieurs mois et à l'étranger (auprès des banques étrangères), aura permis de donner aux différents acteurs concernés les clés nécessaires pour comprendre le sens de cette mesure, tout comme ses différentes dispositions. D'un autre côté, il y a la forte implication des banques qui ont été les caisses de résonance de l'amnistie fiscale et des changes, d'abord à travers une communication soutenue, ensuite en mobilisant d'importants moyens humains et matériels afin de répondre efficacement aux attentes de la clientèle. Tout ce travail a été effectué dans le cadre d'une collaboration parfaite, l'Office des changes ayant fait preuve de disponibilité et de pragmatisme pour répondre aux interrogations des établissements bancaires sur certains dossiers complexes. D'ailleurs, Idriss Maghraoui, Directeur exécutif du Groupe Attijariwafa bank, ne dit pas autre chose. «Pour un dispositif aussi lourd et complexe qui a pu être déployé en seulement quelques mois, les équipes de l'Office des changes ont su faire preuve de réactivité et d'efficacité pour faciliter au mieux le déroulement de l'opération», relève-t-il. Il faut dire que la partie n'était pas gagnée d'avance, surtout pour les banques qui ont eu à faire face à des cas très hétérogènes. Cette hétérogénéité les a poussées à s'organiser en conséquence. «Chez Attijariwafa bank, un dispositif spécial et complet a été mis en place : les canaux de contact et de prise en charge de la clientèle ont été segmentés et nos experts accompagnent, conseillent et orientent les clients dans le cadre de cette opération», confie Maghraoui pour qui les banques s'inscrivent toujours dans une logique d'accompagnement des initiatives de l'Etat. Cette opération aurait pu donc tourner au fiasco si les banques n'y avaient pas été associées. En effet, leur maillage du territoire national, à travers un réseau de pratiquement 5.600 agences, et la proximité qu'elles ont développée avec leur clientèle en ont fait des maillons indispensables pour sa réussite. «Le client a nettement plus d'aisance à s'adresser à son banquier qu'à l'institution qu'est l'OC», fait remarquer Maghraoui. A voir leur forte mobilisation, on peut se demander cependant ce qu'elles y gagnent vraiment. Ce n'est certainement pas du bénévolat. «L'intérêt des banques est d'abord de servir les clients. Bien évidemment, cela permet aussi de régler une partie du manque de liquidité et de consolider davantage les dépôts, surtout en devises», note Maghraoui, sans omettre de préciser, avec une pointe d'humour, que «chaque banque s'est évertuée en premier lieu à fidéliser ses clients; après, si elle réussit à en piquer à la concurrence, c'est tant mieux : cela rentre dans le cadre d'une émulation saine». Cette concurrence est en tout cas appelée à se poursuivre jusqu'au 31 décembre. Et en attendant, les candidats au repentir se bousculent aux portillons des agences bancaires. «Ces derniers jours, nos agences ont enregistré une demande croissante et les ressources mobilisées sont obligées de travailler tard pour traiter et finaliser les dossiers», conclut Maghraoui. Des sanctions plus lourdes Les coupables d'infractions fiscales et de change qui n'auront pas régularisé leur situation au 31 décembre 2014 tomberont sous le régime de droit commun. Ce dernier comprend deux aspects, dont l'un concerne le texte de loi de 1949 qui prévoit des sanctions financières extrêmement lourdes et des peines privatives de liberté. L'autre aspect confère un pouvoir transactionnel à l'OC. Ainsi, au lieu qu'un dossier contentieux soit envoyé au tribunal, l'Office privilégie un accord transactionnel (à l'amiable) avec la personne concernée, selon des procédures et un barème bien définis. C'est aujourd'hui la solution la plus utilisée. «Mais à partir du 1er janvier 2015, ceux qui n'auront pas régularisé leur situation seront sanctionnés plus durement, même à travers le système transactionnel, d'autant que le barème qui était en vigueur avant la contribution libératoire va être augmenté», avertit Hamri. «D'où l'intérêt d'effectuer sa déclaration dans les temps, au regard notamment des avantages accordés (voir page 13) pour bénéficier de l'amnistie», ajoute pour sa part Maghraoui. D'ailleurs, les banques étrangères avec lesquelles l'OC a pris contact incitent leurs clients à régulariser leurs situations, d'autant qu'elles estiment que le dispositif mis en place au Maroc est l'un des meilleurs, si on le compare notamment à ceux initiés dans certains pays (Belgique, Espagne, Italie...). Pour dire que la contribution libératoire est une opportunité que les personnes concernées doivent impérativement saisir. «Il n'y en aura pas d'autre et, s'ils n'y souscrivent pas, l'évolution du contexte réglementaire international les mettra dans une posture dramatique avec, entre autres conséquences, le risque d'une importante perte de patrimoine», relève le DG de l'OC, qui insiste sur la double peine, notamment fiscale et de change. Comment en est-on arrivé là ? Vu les montants rapatriés, il paraît légitime de se poser la question. Il faut croire que les textes régissant la réglementation des changes ont beaucoup contribué à pousser des personnes à frauder, certaines volontairement, d'autres par ignorance. Trop anciens et très contraignants, ils ne sont plus en phase avec les réalités économiques actuelles du Maroc, malgré les nombreuses mesures d'assouplissement initiées par l'Office des changes. Mais cette rigidité décriée justifie-t-elle pour autant d'ignorer la réglementation et de se mettre dans l'illégalité ? Assurément non. «Ce n'est pas parce qu'un feu rouge est mal placé qu'il faut le griller», lâche avec humour Hamri. Autrement dit, les textes de loi, quand bien même ils sont restrictifs, doivent être respectés... Ce que n'ont pas fait beaucoup de citoyens qui ont constitué des avoirs à l'étranger. Raison pour laquelle l'OC et le gouvernement se sont engagés dans une double action : moderniser et assouplir les textes, mais aussi rappeler parallèlement aux citoyens les obligations qu'ils ont envers l'Administration. La fraude sera de plus en plus difficile Grâce aux systèmes d'information, des progrès énormes ont été faits en matière de recoupement de l'information et de contrôle. L'OC travaille ainsi en étroite collaboration avec les intermédiaires agréés qui lui fournissent, quasiment en temps réel, les informations sur les flux de capitaux entrants et sortants, et veillent sur l'application de la réglementation des changes. L'Office collabore aussi étroitement avec l'administration fiscale et la Douane. Tout ce dispositif est en train d'être amélioré pour plus de fluidité et d'efficacité. Parallèlement, l'OC a accès à certaines données financières agrégées par des cabinets spécialisés, outre les informations qu'il peut recevoir de pays avec lesquels le Maroc a signé des accords de libre-échange. Par ailleurs, rappelle Hamri, «le dernier sommet de l'OCDE a consacré le principe de l'échange automatique d'informations qui va être opérationnel, selon les pays, à partir de 2017-2018». Cela va permettre aux différentes administrations de ces pays de savoir automatiquement ce que détiennent leurs ressortissants à l'étranger. Il sera donc beaucoup plus difficile de frauder ! Autrement dit, «l'on s'achemine vers la fin du no man's land fiscal», conclut Hamri.