D'une idée, issue il y a vingt-cinq ans, mûrie et déployée avec ardeur - celle de l'UMA -, on en vient à déplorer, outre la mise en veilleuse, les dangers potentiels qu'elle enfante : la rivalité et la haine. Le Maghreb est un idéal, mais c'est aussi un mirage au grand malheur de ses peuples. Deux de ses Etats sont en conflit, Maroc et Algérie. Ils n'ont pas enterré la hache de guerre, ni mis en sourdine leur rivalité. La géographie les condamne à cohabiter et même à coexister, l'histoire, la langue, la colonisation les unissent, mais la realpolitik les sépare d'autant plus qu'ils sont poussés à s'affronter et, maintenant, à s'armer lourdement. Pour quel but ? Se faire la guerre ? Il est impossible d'imaginer de nos jours un deuxième conflit armé entre le Maroc et l'Algérie, sans mesurer les conséquences politiques, économiques et humaines, bien entendu, qui en découleraient. Si, comme le dit Carl von Clauzewitz, théoricien allemand de la polémologie, «la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens», ici la parabole est inversée, on se prépare à la guerre pour faire la politique. Et on fait la politique par les moyens de ce qu'on appelle «la graduation militaire» ! Il existe une tension réelle entre le Maroc et l'Algérie qui a mis en péril la stabilité rêvée du projet de l'UMA. Elle est devenue non seulement le marqueur, mais le seul trait caractéristique d'une évolution en dents de scie depuis la création de l'UMA, renvoyant les uns et les autres à une rivalité historique des deux pays. En 1969 déjà, le Roi Hassan II saisissait le secrétaire général des Nations unies de l'époque, le birman U-Thant, de la menace que faisait peser sur la région le surarmement algérien par l'Union soviétique de l'époque. C'était donc six ans après la sinistre «guerre des sables» de 1963 qui opposa le Maroc à l'Algérie, nouvellement indépendante. Cinq ans avant le déclenchement de l'affaire du Sahara et la Marche verte qui exaspéra les dirigeants algériens, notamment Houari Boumediene et son ministre des Affaires étrangères de l'époque, Abdelaziz Bouteflika. Le silence et une muette politique se sont substitués à ce qu'on pouvait espérer de l'idée fédératrice d'un Maghreb arabe uni, à savoir l'aplanissement ou, mieux encore, l'apurement du contentieux maroco-algérien. Il n'en fut rien. Les frontières sont demeurées fermées, les échanges suspendus, l'hostilité nourrie sur fond d'une rivalité d'autant plus aberrante qu'elle ne repose sur aucun critère valable, est désormais la triste règle d'or d'une vision bilatérale, vouée à dominer et à miner des années encore les relations entre les deux pays. C'est le Maghreb qui en paye le prix exorbitant, ce sont les peuples qui sont maintenus dans l'irascible ignorance et une méprise montée de toutes pièces. Un spectre hante le Maghreb, celui d'une indifférence sournoise et périlleuse. L'Algérie, dépensant une folle bagatelle en dollars pour s'armer au détriment de ses populations, ne trouve pas mieux que de tirer des plans sur la comète pour affirmer un leadership dans la région. Elle s'allie au pouvoir militaire du maréchal égyptien Sissi, au motif qu'il combat les islamistes, elle déstabilise la Libye en attisant les rivalités tribales, sous peine de favoriser une partition géopolitique et ethnique qui relève d'un ancien dessein colonial. Elle tente de reprendre désespérément la main au Mali, au détriment du Maroc dont la présence - historique et civilisationnelle - remonte à des temps immémoriaux. La dernière visite de Laurent Fabius à Alger, après celle de Le Drian, respectivement ministre des Affaires étrangères et ministre de la Défense, met en évidence la volonté de la France de favoriser ce qu'on appelle un éventuel «axe Paris-Alger» au Mali...Une vision qui corrobore une hausse de tension et donc le péril au Sahel.