Entre le Maroc et l'Algérie subsiste un vieux contentieux qui dépasse de loin celui du Sahara, créé «ex nihilo» dans les années 70 par les dirigeants algériens, en l'occurrence Houari Boumediene et les généraux. Il s'agit des frontières et des territoires spoliés du Sud-Est marocain qui, pour n'avoir jamais été déterminés de manière définitive, contiennent les germes d'une contestation virtuelle. Le traité d'Ifrane, signé le 15 janvier 1969 entre le Roi Hassan II et le président Houari Boumediene, concluait à une entente entre les deux chefs d'Etat sur les frontières qui longent l'Ouest algérien et l'Est marocain, comprenant des territoires d'origine marocaine mais que la France coloniale avait, en 1962, cédés tout bonnement à l'Algérie. Deux phases marquent le processus de négociations sur l'indépendance et les frontières du Maroc : 1956 et 1962. La première date correspondant à la proclamation de la libération du Maroc, était aussi celle où le gouvernement français de l'époque, dominé par les caciques de la 4ème République, de la SFIO et les radicaux de gauche, les Guy Mollet, Max Lejeune, Gaston Deferre, Maurice Bourgès-Maunoury et autres, lançait le fameux projet de l'Organisation commune des régions sahariennes (OCRS). Il englobait d'office le Sahara algérien, une partie de la Mauritanie, du Soudan français (Mali d'aujourd'hui), le Niger et le Tchad. L'OCRS était en réalité la mise en oeuvre du projet ambitieux qu'un Erik Labonne, ancien résident français au Maroc, avait lancé pour un «Sahara industriel» qui suscitait, tambour battant, un engouement sans précédent de l'éstablishment français. A ce projet funeste, tendant à dépecer le territoire algérien notamment et l'englober dans un ensemble incohérent, le Maroc opposait son veto. Par principe et par solidarité ! Lors des négociations maroco-françaises en novembre 1956, à la Selle Saint-Cloud entre Mohammed V et Antoine Pinay, le Roi du Maroc, que l'on appelait le Sultan, avait insisté pour que «l'intégrité territoriale du Maroc soit respectée» d'autant plus qu'elle était garantie par les traités internationaux. Il avait exigé que «fût déterminée et proclamée la souveraineté exercée sur ces régions et leur délimitation». La date de 1956, celle où le Maroc accède à son indépendance par la négociation, est aussi celle où il pose formellement la revendication de ses territoires occupés à la fois par la France et par l'Espagne. La France au début du XXème siècle avait occupé le Maroc en 1912 par l'Est, en provenance de l'Algérie. Mais elle n'avait pas trouvé un territoire vide, une «terra nullius», bien au contraire, les régions du Sud-Est marocain relevait toujours de l'autorité et de la souveraineté du Maroc : Bechar, devenue Colomb Bechar du nom de l'officier français, Saoura, Aïn Salah, Aïn Safra, Touat, Kenadssa, Tindouf (appelée Tindifs), tous territoires placés jusqu'en 1962 sous l'autorité coloniale française après leur conquête entre 1912 et 1930, mais dont l'appartenance au Royaume du Maroc, on disait le Royaume chérifien ou l'Empire chérifien, n'avait jamais été contestée. Il suffit de rappeler qu'à la fin du XVIIème siècle, le Sultan Moulay Ismaïl, intronisé en 1672 à l'âge de 26 ans, développait déjà une vision saharienne plus que stratégique, renforçant la présence du Maroc jusqu'à Chenguite, devenue Mauritanie. Il avait nommé ses fils comme gouverneurs à la tête des régions sahariennes : Moulay Cherif avait la charge du territoire qui va du Souss à la Mauritanie, Moulay Mansour, mort peu après et remplacé par son frère Moulay Youssef qui gouvernait le Tafilalet, Sijilmassa jusqu'à Tinbouctou ( Tombouctou), incluant le Touat... Jusqu'après la libération de l'Algérie en juillet 1962, alors que la France lui octroyait à la grande colère du Maroc, ces territoires, Tindouf relevait de la province de Marrakech et les populations ne cessaient de se soulever pour proclamer leur appartenance au Maroc dont ils brandissaient les symboles, les drapeaux, la monnaie, l'effigie du Roi du Maroc en défiant une sanglante répression de l'armée algérienne... Une solidarité marocaine bafouée Rétrospectivement, on est en droit de souligner que le gouvernement marocain s'était fait flouer par les dirigeants algériens. En 1962, quand la France après l'avoir fait avec Mohammed V en 1956 proposa au Roi Hassan II de négocier le statut des territoires marocains du Sud-Est, ce dernier répondit «qu'il préférait négocier ce dossier avec les frères algériens, une fois devenus indépendants...» ! Non seulement ces derniers, une fois indépendants, avaient bafoué tous leurs engagements, mais ils avaient lancé en 1963 une guerre contre le Maroc, la sinistre «guerre des sables», l'armée nationale populaire algérienne (ANP) ayant lancé des agressions contre Hassi Beida, Tinjoub, Figuig et Ich. Il convient de rappeler qu'en juillet 1961, une délégation du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), avec à sa tête Farhat Abbès, s'était rendue au Maroc pour signer le seul accord maroco-algérien sur les frontières, soit une année avant la libération de l'Algérie. Il y est dit solennellement que «tous accords qui pourront intervenir suite aux négociations entre la France et le GPRA ne sauraient être opposables au Maroc quant aux délimitations territoriales algéro-marocaines». Autrement dit, les dirigeants algériens ne s'opposeraient jamais à la perspective de récupération de ses territoires du Sud par le Maroc... Ifrane en 1969, Tlemcen en 1970, Tanger en 1972... ce sont trois étapes significatives du processus de négociations sur le tracé et le bornage des frontières. Allal Al Fassi, leader du parti de l'Istiqlal, avait dénoncé à la fois le principe de négociations et leur finalité et, revendiquant la configuration du «grand Maroc» que d'aucuns lui reprocheraient non sans moquerie, avait adressé une lettre aux Jeunesses istiqlaliennes pour attirer leur attention sur le mauvais tournant que cette politique d'abandon semblait générer. Toujours est-il que si l'Algérie a ratifié le traité d'Ifrane en... 1973, assorti d'autres accords, le Maroc ne l'entérinera jamais et se contentera d'une promulgation par le biais d'un Dahir royal en juin 1922... Tant et si bien que le contentieux sur les frontières et les territoires spoliés du Maroc reste entier...