Les pays arabes en mode de transition continuent de souffrir de plusieurs maux. Le taux de chômage global est de 13% en moyenne dans la région. Il a plus que doublé chez les jeunes, atteignant 29%. Une accélération de la cadence des réformes s'impose. Depuis qu'elle a mis les pieds au Maroc, la Directrice générale du FMI, Christine Lagarde a multiplié les rencontres avec les politiques et les décideurs pour débattre des enjeux socioéconomiques du Maroc dans un contexte empreint d'incertitudes. Le Conseil économique, social et environnemental a été le premier à avoir reçu dans ses locaux, une Christine Lagarde qui se tient droit dans ses bottes et déterminée à parler des problématiques, des réformes engagées et à parachever pour parvenir à une croissance durable et inclusive. En guise d'introduction, Nizar Baraka, président du CESE, a salué les efforts déployés par le FMI en faveur des pays arabes en transition durant le dernier round du G20. Aussi, C. Lagarde a-t-elle accueilli à Bercy les opérateurs marocains, leur adressant un message de confiance qui s'est traduit dans la réalité par des mesures concrètes de lutte contre les effets de la crise, tout en veillant à la gouvernance économique. N. Baraka n'a pas manqué cette occasion pour exprimer ses regrets quant à l'intégration maghrébine qui constitue un énorme manque à gagner pour les économies en question. C'est ce qui explique, entre autres, l'acharnement à développer la coopération Sud-Sud, et ce pour une diversification des partenaires. A son tour, C. Lagarde a rappelé qu'il y a trois ans de cela que le vent du changement soufflait sur le monde arabe. Nourris du même espoir, les peuples revendiquaient un avenir économique radieux, une société plus juste et, surtout, une vie plus digne. Aujourd'hui encore, les mêmes peuples continuent à se battre et aspirent au changement. Dans cette optique, la Directrice générale du FMI a donné à une salle archicomble, la primeur de son message destiné à la conférence régionale à Amman, en partenariat avec le gouvernement jordanien et le Fonds arabe pour le développement économique et social. Elle a par ailleurs annoncé la couleur des trois principaux thèmes qui seront traités. Il s'agit en premier des progrès accomplis à ce jour et les défis à surmonter. Le deuxième a trait au grand chantier de la prochaine étape de la transition : le renforcement du «pilier central», aussi bien au coeur de l'économie (TPE-PME) qu'au sein de la société (classe moyenne). Enfin, le troisième pilier concerne les politiques à mettre en oeuvre pour renforcer le pilier central dans toutes ses dimensions. Chômage des jeunes : un fléau endémique Contrairement à ce que pensent un bon nombre d'économistes et d'opérateurs, la Directrice du FMI avance que sur le plan économique, la situation s'est améliorée au cours des dernières années de transition difficile. Arguments à l'appui : la poussée des exportations, l'augmentation de l'investissement public et les signes précurseurs d'une reprise de l'investissement privé. «On le voit notamment dans les secteurs à forte valeur ajoutée comme les industries automobile, aéronautique et électronique», explique C. Lagarde. Tout cela n'est pas fortuit. Il est le résultat des avancées enregistrées en matière économique. Elle cite l'exemple de la Jordanie qui a décidé de s'écarter des subventions universelles aux produits énergétiques et la Tunisie qui a entrepris de réformer son système bancaire. Elle les qualifie comme étant impressionnantes, d'autant plus que la conjoncture extérieure était des plus hostiles. Toutefois, cela ne doit pas occulter le fait que ces réalisations sont fragiles, eu égard à la tourmente politique sévissant dans la région. Ajoutons à cela le risque d'un retournement de conjoncture en Europe ou dans les pays émergents qui pourrait, à son tour, déstabiliser lesdits pays. D'où la nécessité de solidifier les fondamentaux afin de pouvoir construire les édifices d'une croissance inclusive. Une croissance économique à même de créer plus d'emplois tout en surmontant les inégalités. Les pays arabes en transition font face aujourd'hui à une crise de l'emploi aux effets néfastes. Les chiffres laissent perplexes plus d'un : le taux de chômage global est de 13% en moyenne. Il a plus que doublé chez les jeunes, atteignant 29%. «Depuis 2010, le nombre de personnes sans emploi a augmenté de 1,5 million», confirme C. Lagarde. On ne cessera jamais de le répéter : le chômage des jeunes dont pâtit le monde arabe est un fléau endémique qui continue à prendre en otage les économies respectives. Toujours est-il que si on regarde le verre à moitié plein, on peut dire que cette frange de la population pourrait constituer un potentiel de gains de productivité et de progression des revenus. Une chose est cependant sûre : les défis pour la prochaine étape de la transition sont clairs : comment trouver les moyens de créer les emplois nécessaires pour répondre aux aspirations d'une nouvelle génération. Par un doublement du taux de croissance, répondront certainement les économistes les plus chevronnés. PME : l'épine dorsale d'une économie saine Pour relever ces défis, Christine Lagarde n'y va pas avec le dos de la cuillère. Vaille que vaille, la solution passe par le renforcement du «pilier central», celui de l'économie et celui de la société, et aussi par un juste équilibre du rôle que l'Etat doit jouer, sans pour autant bloquer l'économie réelle. «Il s'agit dans un premier temps de revitaliser la petite et moyenne entreprise du secteur formel, épine dorsale d'une économie saine et principale pourvoyeuse d'emplois», souligne avec insistance la Directrice du FMI. Elle illustre ses propos par des chiffres qui interpellent : dans l'ensemble de la région, le nombre d'entreprises pour 1.000 habitants n'est que le quart de celui de l'OCDE et la moitié seulement de l'Europe de l'Est et de l'Asie centrale. Elle s'alarme sur la configuration actuelle du tissu industriel : face à un nombre réduit de grandes entreprises opérant dans le secteur formel, on retrouve une multitude de petites entités dans le secteur informel. Pourquoi autant d'inquiétudes ? Parce que souvent les grandes entreprises appartiennent à l'Etat ou lui sont fortement liées. Elles sont ainsi en dehors du champ de la compétition à la faveur d'un réseau d'influences et de relations publiques. Ce qui réduit l'incitation à innover et à rester compétitif. «De ce fait, rares sont les entreprises de la région qui sont à même de s'attaquer à la concurrence sur les marchés internationaux», constate C. Lagarde. A l'autre bout, il existe un vaste secteur informel formé d'un groupement de petites entreprises. Dans la région, le taux d'informalité varie de 17% en Jordanie à 35% en Tunisie par exemple. La migration de ces petites entreprises vers le formel s'impose avec acuité. Certes, l'informalité leur procure certains avantages en restant en dehors du périmètre fiscal et réglementaire, mais elle engrange des inconvénients plus importants : moins de technologie, moins de capital, moins de main-d'oeuvre qualifiée, moins d'investissement... Résultat des courses : le nombre d'entreprises créées est insuffisant et celles qui existent manquent d'opportunités pour prospérer. L'autre pilier central de la société est la classe moyenne. S'inspirant d'Aristote qui écrivait : «les Etats bien administrés sont ceux où la classe moyenne est plus nombreuse...», la Directrice du FMI insiste sur le renforcement de la classe moyenne. Le sentiment qui se dégage aujourd'hui est qu'aussi bien dans les pays arabes en transition que dans d'autres régions du monde, la classe moyenne perd du terrain. C'est d'ailleurs ce qui explique les soulèvements ayant miné la région en 2011. A noter que dans cette partie du globe, la part de la classe moyenne dans la richesse sociale est plus faible aujourd'hui qu'elle ne l'était durant les années 1960. Sa position ne s'est pas améliorée depuis les années 1990, alors même que la croissance pendant au moins une dizaine d'années était nettement supérieure à celle observée aujourd'hui. Dire que les dividendes de la croissance économique ont bien profité aux riches est un secret de polichinelle. «Les pays doivent donc donner à leurs citoyens les moyens de gravir l'échelle sociale pour s'affranchir de la pauvreté, rejoindre la classe moyenne et poursuivre leur ascension», confirme C. Lagarde. Toutes ces étapes ne peuvent être franchies sans trouver un juste équilibre du rôle central de l'Etat. Il est temps de mettre un terme à un Etat trop envahissant où le secteur public joue un rôle prépondérant. Il est l'employeur de premier niveau : les jeunes diplômés souhaitent travailler dans la fonction publique parce qu'elle est plus sûre. Or, dans le contexte actuel, il est clair que l'Etat doit se retirer de certains secteurs et s'impliquer dans d'autres. Il doit surtout devenir un régulateur impartial et efficace dont la principale fonction est de créer un climat d'affaires propice à l'épanouissement du secteur privé. Comment y parvenir ? La maîtrise des fondamentaux macroéconomiques se veut une nécessité pour l'édification d'une structure économique solide et fiable. Il s'agit en fait de prendre les bonnes décisions et faire en sorte que les déficits n'entraînent pas une hausse de la dette publique qui menacerait la stabilité structurelle. Il est question de redéployer les dépenses publiques au profit des investissements dans les infrastructures et les ressources humaines, en réduisant ainsi les subventions tout en augmentant les dépenses consacrées à la santé, à l'éducation, aux dispositifs de protection sociale ciblés et à l'investissement public. En dehors de la stabilité macroéconomique, il est aussi important de promouvoir le climat des affaires avec une réglementation plus efficiente et une plus grande concurrence. Le processus de création d'entreprises est un vrai parcours du combattant pour les opérateurs avides de créer leur propre entreprise. Un environnement propice au secteur privé nécessite l'existence d'un financement adéquat. Autre indicateur : la région a le plus faible pourcentage au monde d'entreprises disposant de lignes de crédit ou de prêts, et moins de 10% des crédits vont aux PME. L'autre grand bémol dont continue de souffrir la région est l'éducation. Un tiers des entreprises de la région pointe du doigt le déficit des compétences comme une contrainte majeure. Avant de clôturer son discours, C. Lagarde a insisté sur la bonne gouvernance. D'après elle, une gouvernance fragile peut miner l'efficience de l'économie. Le fléau de la corruption ronge l'économie et dilapide de précieuses ressources. Et la solution passe par la facilitation de la part des gouvernements de l'accès aux informations budgétaires. Le secteur privé a également besoin d'une plus grande ouverture sur le plan des données financières et de se doter de normes d'audit. Les recommandations de la Directrice générale du FMI sont intéressantes à plus d'un titre. Encore faut-il émettre quelques réserves aux regard de la diversité des pays de la région. Le monde arabe n'est pas monolithique, d'où la différenciation des stratégies à mettre en place. Aussi, aurions-nous aimé que C. Lagarde mette l'accent davantage sur l'économie marocaine, ses particularités, sur les principales bombes à retardement et, surtout, comment relever les défis à même de résoudre les problématiques citées ci-dessus.