Innovation, investissement, synergie... ce sont autant d'ingrédients pour asseoir sa position dans un marché qui bouge. Le point avec Samir Oudghiri Idrissi, Directeur général de Lesieur Cristal. Finances News Hebdo : En tant que brand maker et leader de l'industrie des corps gras au Maroc, comment évaluez-vous le marché marocain et comment se comporte-t-il actuellement ? Samir Oudghiri Idrissi : Le marché des corps gras, et plus précisément l'huile de table, est un marché mature avec un taux de pénétration de 100%. Tous les ménages utilisent de l'huile de table, donc il ne faut pas s'attendre à une croissance importante de ce marché. Cela fait maintenant quelques années que nous avons une très faible croissance liée notamment à la natalité qui se situe entre 1% et 2% par an. Sur ce marché, les prix de vente sont indexés sur la matière première cotée à Chicago qui fluctue de manière assez importante et, par conséquent, les prix de l'huile de table fluctuent de la même manière. F. N. H. : Vos nouveaux produits connaissent un net succès juste après leur lancement. Quel en est le secret ? S. O. I. : Nous considérons que nos facteurs clés de succès sont nos marques. Notre portefeuille de marques est assez large. Pour les huiles de table, notre premium est «Huilor», après nous avons «Lesieur» et «Cristal». Nous avons aussi des produits d'entrée de gamme puisque le marché est à 50% entrée de gamme et 50% sur les marques. Je dirais que nous sommes bien positionnés sur le segment des marques, ce qui nous permet de maintenir notre part de marché. Pour maintenir la notoriété de ces marques, nous avons un budget marketing conséquent, nous communiquons beaucoup. Cela nous permet d'apporter de la valeur à ces marques. Sans compter un circuit de distribution bien étoffé. Dans notre métier, ce facteur est fondamental. Nous avons une force de vente dotée de 400 véhicules et nous livrons 60.000 points de vente directement par nos propres moyens. Pour résumer, nous avons une excellente équipe et un outil industriel performant permettant de maintenir notre avance. F. N. H. : Après l'arrivée de Sofiprotéol dans le tour de table de Lesieur Cristal, quel bilan faites-vous de cette première année ? S. O. I. : Nous fructifions une grande synergie avec Sofiprotéol. La première synergie fondamentale est celle au niveau des achats. Sofiprotéol est un acheteur de très gros volumes de soja au niveau international. Aujourd'hui, nous avons la capacité d'améliorer nos achats grâce au groupe. Le deuxième point est le benchmark des résultats de nos outils de production, comparés aux 25 unités du groupe. Sur certains critères, nous sommes en tête, sur d'autres, nous avons des progrès à faire. Par exemple, sur la consommation Kwh par tonne, nous sommes parmi les premiers. Ceci est lié aux derniers investissements sur des unités modernes. L'unité de raffinage que nous avons mise en service en 2010 nous permet d'avoir les meilleurs ratios au niveau de cette activité. Concernant la partie marketing et produits, nous avons la chance, aujourd'hui, de faire partie d'un groupe leader en Europe sur notre branche, donc il nous est possible de piocher dans son catalogue. Le dernier produit lancé (les condiments) est un produit français, ce qui nous a permis d'étoffer notre gamme. Il y a d'autres synergies liées à l'export où nous utilisons les différentes plateformes de Lesieur Cristal et de Sofiprotéol pour exporter nos produits. Cette dynamique a pris son envol. F. N. H. : Le processus d'achat occupe une place prépondérante dans votre activité. Quelle est votre stratégie en matière d'approvisionnement ? S. O. I. : Le processus d'achat est très complexe. Nous nous approvisionnons par bateaux de 20.000 à 25.000 tonnes. La cargaison est achetée à terme, positionnée plusieurs mois à l'avance avec des couvertures. Grâce à l'effort de l'Office des changes, depuis 2004 cette opération est possible au Maroc. C'est très important pour notre compétitivité. Il y a 4 paramètres dans l'achat d'une tonne d'huile. Nous payons en dollars, donc notre premier paramètre est l'achat du Dollar. Il faut acheter cette devise au bon moment et se couvrir du risque de change. Le deuxième paramètre, c'est le fret, et là aussi, il faut faire un arbitrage. Concernant la partie huile, il y a deux composantes. Pour la matière physique, il faut trouver un vendeur, mais aussi la quote-part achetée au niveau du CBOT à Chicago. Ce sont quatre paramètres flottants qui ne bougent pas dans le même sens. Heureusement, nous avons une salle de marché avec des équipes qui travaillent 20 h par jour et un comité qui décide pour ces achats. La maîtrise des achats est la garantie de notre succès. Notre valeur ajoutée est assez faible. La matière première représente quasiment 75% du prix de vente. F. N. H. : Vous avez fait de l'innovation une priorité managériale. Quels sont vos motifs stratégiques ? S. O. I. : Ce choix est lié au marché qui est mature. Lorsque vous voulez faire de la croissance sur un marché mature, vous n'avez pas beaucoup de choix finalement. Vous ne pouvez qu'apporter de la valeur sur votre ligne et c'est forcément par l'innovation et les nouveaux produits. Nous avons la chance d'être sur deux métiers différents. Cela nous permet d'innover et de nous donner un challenge d'avancer d'une manière équitable. Cette année, nous avons fait deux innovations sur la partie huile de table et trois sur la partie savon. Nous essayons de garder cet équilibre qui permettra aux deux familles d'avancer de la même manière. A travers notre stratégie d'innovation, nous cherchons toujours à être crédibles dans ce que nous lançons. Nous n'irons pas sur des métiers où nous n'avons rien à faire et où nous n'avons pas raison de gagner. A chaque fois que nous innovons, nous nous assurons que sont réunis tous les facteurs pour réussir. Très souvent, nous allons domicilier le nouveau produit sur une de nos marques. Ce sont nos marques qui nous portent. Pour cette année, l'ensemble des innovations a été domicilié sur nos marques sauf l'huile d'olive «Al Horra» qui a nécessité la création d'une nouvelle marque. Nous n'avions pas la marque qui pouvait porter toutes les valeurs que nous voulions mettre dans ce produit là. La troisième méthode d'innovation, c'est de piocher dans le catalogue de nos partenaires français. C'est le cas pour les condiments. Il n'était pas question de recommencer à zéro puisqu'ils ont une longue expérience dans ce domaine. Par contre, nous avons adapté le goût au consommateur marocain. Notre formule est moins sucrée que la formule française. Ce qui est également intéressant au niveau de la synergie, c'est que nous avons fait une campagne de publicité au Maroc avec nos partenaires français, mais qui sera utilisée aussi en Algérie et en Tunisie. F. N. H. : Vous avez honoré votre promesse de lancement de 4 nouveaux produits sur le marché cette année. Y a-t-il d'autres nouveautés dans le pipe ? S. O. I. : Nous essaierons de maintenir le même rythme avec trois à quatre innovations majeures chaque année. Les produits de 2014 sont déjà en état de test, mais pas d'industrialisation pour l'instant, et ceux de 2015 sont sur les papiers. F. N. H. : Lesieur Cristal maintient une politique soutenue d'investissement. Pouvez-vous nous décliner votre plan d'investissement pour les prochaines années ? S. O. I. : Notre stratégie d'investissement a pour but de nous maintenir dans un niveau de compétitivité satisfaisant. Nous investissons dans des unités de plus en plus performantes, par exemple l'unité de raffinage nous a coûté 100 MDH. Nous investissons aussi pour accompagner les innovations. Pour fabriquer la pâte «El Kef», il a fallu construire une usine. Dans l'amont agricole, nous avons investi dans une unité de trituration de qualité qui a coûté 28 MDH. Dans le volet environnement et sécurité, nous étions parmi les premiers, dans notre métier, à investir, en 2004, dans une unité de traitement des eaux. Cette année, nous sommes certains de doubler sa capacité. Il y a aussi des investissements dans la logistique : nous avons 400 véhicules qu'il faut continuer à renouveler. Globalement, l'investissement soutenu que nous faisons est une garantie pour nos actionnaires et nos partenaires pour rester toujours dans le haut du peloton. F. N. H. : Quels sont vos projets dans la filière oléicole, notamment dans le cadre du contrat-programme ? S. O. I. : Dans la branche des olives, nous avons eu une première ferme à Kalaat Sraghna de 600 Ha. Nous en sommes à la 3ème année de production, mais il faut attendre 2 ans pour atteindre la pleine capacité. La ferme abrite aussi l'usine de trituration. Dans la région de Meknès, nous avons une autre ferme de 500 Ha qui a été plantée, mais qui ne produit pas encore. Nous avons 130 Ha à côté de la ville de Fès qu'il faut aménager. Ce sont des terres que nous avons eues grâce aux appels d'offres de la Sodea. Autour de chacune des fermes, nous avons été les premiers agrégateurs de l'huile d'olive. Cela nous donne comme devoir d'accompagner toutes les fermes avoisinantes pour leur apporter notre savoir-faire. Dans les graines oléagineuses, aujourd'hui, nous dépendons des importations. Il faut absolument que le Maroc produise une partie de ses huiles. L'histoire a montré que notre pays est capable de le faire. Dans les années 90, nous avions produit jusqu'à 180.000 tonnes de grains de tournesol. On est passé aujourd'hui à 3.000 tonnes ! Le besoin du Maroc est de l'ordre de 450.000 tonnes d'huile, et comme une tonne de graines donne à peu près la moitié en huile, vous imaginez combien il nous faut de graines ! Le contrat-programme qui a été signé avec le gouvernement est basé sur le fait que nous garantissons un débouché au produit. C'est-à-dire tout producteur qui plantera du tournesol ou du colza n'aura absolument aucune difficulté à le commercialiser. Le prix de vente est également assuré. Cette année, il est de 5.000 DH la tonne. Nous allons beaucoup plus loin dans ce programme en ce qui concerne les graines hybrides. Sur ce point, le groupe Sofiprotéol nous apporte tout son savoir-faire. Pour les graines de colza, nous avons obtenu une remise de 50% de la part des fournisseurs de semences que nous avons répercutée immédiatement sur le prix de vente aux agriculteurs. D'autre part, nous avons signé un contrat tripartite avec le Crédit Agricole pour financer les projets des agriculteurs.