Dès notre retour à Casablanca, nous partons à la rencontre des migrants subsahariens installés ici et pour qui le voyage n'est qu'une première étape de l'aventure migratoire. Alice, Sénégalaise, et Aïcha, Ivoirienne, nous racontent leurs conditions de vie et nous font comprendre la transition par laquelle passe le Maroc actuellement sur la question migratoire. Bab Marrakech est devenu à Casablanca ce que la rue Mohammed V est à Dakar. Un marché sénégalais a pris place et s'est imposé au fil des années au beau milieu des commerces marocains de la médina. Sur place, nous partons à la rencontre d'Alice, une figure emblématique de la communauté sénégalaise à Casablanca. Avec plus de 10 années passées au Maroc, elle connaît tout le monde et les problèmes que rencontrent les subsahariens au Maroc. Alice a un grand magasin avec un investissement important. Elle vend des produits sénégalais pour sa communauté. Tout le monde la connait et chaque Sénégalais qui passe la salue. Pour Alice, la vie au Maroc n'est pas facile. Elle a toujours des problèmes avec les commerçants marocains. «Ils sont jaloux parce qu'on vend plus et mieux qu'eux», explique-t-elle. Aussi, le racisme est présent. Cela va des insultes aux jets de pierres par des enfants. Par la force des choses, Alice a appris toutes les insultes raciales en Darija. Quelques mètres plus loin, nous rencontrons Aïcha, une Ivoirienne de 25 ans qui est au Maroc depuis 4 mois. Elle a traversé le Mali par différents moyens de transport avant d'arriver en Mauritanie où elle a pris place dans un camion frigorifique marocain jusqu'à Casablanca. Durant ce périple, ce sont les mœurs du conducteur marocain qui l'ont le plus marquée. «Il a essayé par tous les moyens de me toucher et, comme je refusais, il me faisait payer ses achats en cours de route», explique-t-elle. Pour Aïcha, le retour au pays est quasi certain. Elle, qui vit actuellement avec sa sœur, ne supporte plus le racisme dont elle est victime et veut retourner auprès des siens. Nous profitons de l'occasion pour parler à ses amis et comprenons que pour la majorité d'entre eux, le Maroc n'est pas perçu comme un pays de transit vers l'Europe. Cette époque semble révolue ! Mais le racisme des riverains revient souvent dans le discours. Aujourd'hui, il est difficile de connaître les chiffres exacts de la communauté sénégalaise établie au Maroc et encore moins ceux de la communauté subsaharienne dans son ensemble. «Cela est d'autant difficile que le Maroc, qui était au départ un pays de transit pour les candidats à l'immigration vers l'Europe, est devenu par la force des choses un pays d'émigration. Les Sénégalais qui sont tentés par l'Europe y restent souvent, s'accommodant de plus en plus de petits boulots dans l'espoir d'économiser de l'argent pour se payer le voyage à destination du Vieux continent. Cela est devenu, ces dernières années, un aspect problématique aussi bien pour le Sénégal que pour le Maroc. En exerçant certains métiers comme celui de marchands ambulants sur la voie publique, nos compatriotes sénégalais enfreignent la loi marocaine», explique le responsable de la division Afrique au ministère des Affaires étrangères du Sénégal. Ainsi, la situation, qui initialement devait être transitoire, perdure. D'où, la survenance de quelques problèmes liés à l'intégration de certains Sénégalais au Maroc. Pour autant, il faut aussi souligner que beaucoup de Sénégalais sont parfaitement bien intégrés au Maroc. Ils y occupent des postes de responsabilité ou du moins y gagnent leur vie légalement. Selon le responsable de la division Afrique, «les relations entre les deux pays sont historiques. C'est surtout cette nouvelle forme d'immigration qui pose problème, du fait que les personnes qui partent récemment au Maroc sont dépourvues de qualifications. Par contre, entre les deux pays, l'on dénombre une palette de programmes d'échange d'étudiants. A ce titre, il est important de rappeler qu'il existe 100 bourses par an destinées aux étudiants des deux pays établis sous conditionnalité de réciprocité. D'ailleurs, une commission se réunit annuellement pour statuer sur ce dossier. A noter que certains étudiants sénégalais, qui ont fait leurs études au Maroc, trouvent parfois des difficultés d'insertion professionnelle de retour au pays. La raison est que bon nombre d'entre eux optent pour des cycles très courts ou pour des formations professionnelles (2 ans, 3 ans). Par contre, les étudiants marocains au Sénégal s'inscrivent dans des filières longues (médecine, pharmacie) qui durent entre 5 et 7 ans, ce qui est bien plus avantageux lors du retour au Maroc». L'arroseur arrosé Bien avant son indépendance, le Maroc a toujours été un pays fournisseur de main-d'œuvre pour l'Europe. Des Marocains se déplaçaient en masse et continuent à le faire vers l'Europe à la recherche d'une vie meilleure. Seulement voilà, le Maroc ne s'est pas rendu compte qu'il devenait petit à petit l'eldorado des pays au Sud de ses frontières et que les migrants subsahariens y viennent pour s'installer. Décidément, l'arroseur est arrosé ! Paradoxalement, la société marocaine fait preuve de racisme envers ces migrants. Cette même société qui souffre du racisme envers ses enfants installés en Europe. Certes, sur le plan institutionnel, le Maroc consent beaucoup d'efforts, mais sur le plan sociétal beaucoup reste à faire. Le contraste est grand, flagrant même entre la volonté Royale de régulariser des dizaines de milliers de migrants en 2014 et le racisme ambiant que subissent ces mêmes personnes. Pourtant, les racines marocaines sont multiculturelles, avec un enracinement résolument africain. Peut-être nous devons réapprendre à vivre dans le pluralisme comme l'ont fait nos aïeux, car c'est à nouveau vers cela que nous nous dirigeons irrémédiablement. Lorsque nous étions au Sénégal, nous avions rencontré l'un des conseillers en communication du ministère de l'Intérieur. Il explique que de nombreux Sénégalais portent des noms de familles marocains et partagent une partie de leurs racines avec des Marocains. «Nous avons au Sénégal une très belle basketteuse qui est une icône locale de la réussite. Elle s'appelle Najat Benjelloun, originaire de la ville de Saint-Louis, ville où beaucoup de Sénégalais sont d'origine marocaine. Cette fille a la peau plus noire que la mienne», raconte-t-il avec émotion. Cela dit, tous les responsables politiques que nous avons rencontrés nous ont expliqué qu'ils constatent que les Marocains sont mieux accueillis au Sénégal que ne le sont les Sénégalais au Maroc. Vrai ou faux ? C'est du moins ce que ressentent les intéressés. Nous avons essayé de contacter le Consul général du Sénégal à Casablanca pour avoir plus d'informations officielles à ce sujet. Mais notre requête est restée lettre morte. Finalement, notre enquête a pris fin à Bab Marrakech. Avec Alice, on se remémore avec émotion ce sacré périple et la laissons vaquer à son business dans l'espoir de voir ses compatriotes et, disons-le, les hôtes africains convenablement accueillis au Maroc. A l'heure où nous mettions sous presse, elle était partie rendre visite à sa famille au Sénégal. Par avion bien sûr...