Le gouvernement a encore trouvé le moyen de se mettre à dos le patronat. La CGEM n'aurait pas du tout apprécié de ne pas avoir été impliquée ni consultée dans les préparatifs relatifs à la visite du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, effectuée dans le Royaume. Crime de lèse-majesté ou faute de débutant ? C'est l'un des deux. Car, au-delà de sa dimension politique, cette visite devait surtout revêtir une coloration économique très prononcée, au regard notamment de l'accord de libre-échange qui lie le Maroc et la Turquie. Et, sur ce registre, la CGEM avait réellement envie d'en «découdre» avec les opérateurs turcs. Car cet accord de libre-échange pose problème... à la partie marocaine. A fin mars 2013, la valeur des importations marocaines en provenance de la Turquie a atteint 2,66 Mds de DH, alors que les exportations marocaines vers la Turquie n'ont atteint que 768 MDH, selon les statistiques provisoires de l'Office des changes. La valeur du commerce extérieur entre les deux pays a certes enregistré une amélioration estimée à 100% au cours des cinq dernières années, mais le déficit commercial avec la Turquie flirte ainsi avec la barre des 2 Mds de DH. Quand les uns mettent en relief la compétitivité des produits turcs, d'autres, comme le patronat, fustigent les barrières non tarifaires mises en place par la Turquie. Et, bien avant l'entrée en vigueur de l'ALE, certains dénonçaient déjà le dumping des exportateurs turcs. Aujourd'hui, à l'évidence, il faut aller vers un rééquilibrage des relations commerciales avec les deux pays. Et, justement, la visite d'Erdogan devait être pour les patrons marocains l'occasion d'aborder les questions de fond avec leurs homologues turcs. Une occasion de gâchée qui laisse le problème entier. En tout cas, les politiques, eux, n'ont pas raté cette «occasion» et ont vite fait de s'engouffrer dans cette brèche ouverte par le gouvernement. Abdelkrim Benatiq, le secrétaire général du Parti travailliste, s'exprimant au forum de la MAP, a ainsi virulemment critiqué le gouvernement «qui a écarté le patronat marocain des préparatifs des réunions avec les opérateurs turcs, et favorisé une association proche du Parti de la Justice et du Développement (PJD)". Selon lui, cette attitude «dangereuse» met en péril la compétitivité de l'économie nationale et favorise la partie turque, d'autant plus que la balance des échanges est largement déficitaire au détriment du Maroc. D'ailleurs, à ce propos, une évaluation objective des différents accords de libre-échange signés par le Maroc risque de réserver bien des surprises. A l'évidence, au moment où couve une crise politique majeure au Maroc, Benkirane avait besoin de tout sauf d'irriter les patrons. Avec les vents frais qui circulent désormais entre la Primature et le Parti de l'istiqlal, et entre la Primature et la CGEM, c'est clair que Benkirane risque de prendre un coup de froid... en plein mois de juin.