Le secteur s'est assaini depuis 1980, jusqu'à devenir l'une des premières places africaines de l'assurance. Et il a réellement montré une forte résilience face aux aléas financiers mondiaux. Aujourd'hui, le contrat-programme, qui a nécessité deux années de travail, marque un tournant dans le développement du secteur. Un autre défi est celui de l'assurance islamique. Le point avec Abdelaziz Erchidi, consultant senior et formateur auprès de Cnia Saada et auteur du livre «Tout sur le domaine des assurances au Maroc». Finances News Hebdo : Comment qualifieriez-vous le secteur des assurances post contrat-programme ? Abdelaziz Erchidi : Le secteur des assurances, après avoir connu une période peu reluisante en 1980 avec la liquidation de cinq compagnies d'assurances, s'est assaini depuis. En 2009, et afin de donner un nouveau souffle à ce secteur, des travaux ont vu le jour à l'initiative des assureurs qui ont diligenté plusieurs études menées par deux cabinets de renom, Valyans et Acturia, pour élaborer un contrat-programme. Ce dernier s'étale sur la période 2011-2015 et a été signé le 12 mai 2011 : d'une part, par le gouvernement représenté par neuf ministères (Intérieur, Economie et Finances, Justice, Santé, Education nationale, Emploi et Formation professionnelle, Commerce et Industrie, Habitat, Equipement et Transport), et, de l'autre, par la Fédération marocaine des sociétés d'assurance et de réassurance et la Fédération nationale des agents et des courtiers du Maroc. C'est l'aboutissement d'un chantier qui a duré un peu plus de deux ans, période durant laquelle ont travaillé conjointement le ministère de l'Economie et des Finances et la FMSAR sur un peu plus de 75 mesures. L'ambition du contrat-programme est, entres autres, de couvrir au moins : 50% de la population urbaine en assurance multirisques habitation, au moins 70% des habitations et bureaux avec la tous risques chantier et en RC décennale, 20% des professions à risque, et 40% des établissements ouverts au public. L'assurance accidents du travail est également visée. L'Etat s'est engagé à réfléchir à la possibilité d'étendre la couverture aux fonctionnaires et au personnel des collectivités locales et du secteur public. Au moins 500.000 personnes et 400.000 étudiants sont concernés par des formules de couverture. Le contrat-programme vise également l'assurance contre les risques catastrophiques dont il fait son cheval de bataille. F. N. H. : Sur l'ensemble de ces mesures, lesquelles vous semblent les plus urgentes à mettre en place ? A. E. : Il y a lieu de signaler que parmi les 75 mesures que compte le contrat-programme, certaines sont en vigueur, mais bien d'autres attendent d'être mises sur pied. L'implémentation a dû être légèrement ralentie pour plusieurs raisons. En effet, le contrat-programme, compte tenu des mesures très diversifiées qu'il prévoit et le fait qu'il touche à plusieurs domaines et à plusieurs intervenants, semble pécher par ses objectifs très ambitieux et demande encore du temps. Sur un autre plan, il faut préciser que le changement de l'Exécutif a fait en sorte que l'ordre des priorités a changé et que les nouvelles équipes demandent plus de temps pour mieux connaître et mieux appréhender les dossiers. S'il est vrai que nous sommes en présence d'un chantier colossal nécessitant des syndications de longue haleine entre plusieurs forces vives de la nation, il faut savoir attendre l'échéance de 2015. Il est certain que les 75 mesures s'appliqueront au fur et à mesure car tout le monde y gagnera. Positivons ! Ne dit-on pas : «Tout vient à point à qui sait attendre» ? F. N. H. : Depuis le déclenchement de la crise, le secteur des assurances s'est doté de nouvelles règles prudentielles. Quelle est votre propre appréciation de ce cadre réglementaire nouveau? Peut-on dire que, désormais, le secteur présente une forte résilience face aux aléas financiers mondiaux? A. E. : En 2008, et au niveau international, la crise des «subprimes» a entraîné des faillites et des mises en difficulté de plusieurs opérateurs financiers. Pour y remédier, et pour éviter une telle situation à l'avenir, il était plus que nécessaire, pour les Occidentaux, de mettre sur place de nouvelles règles prudentielles appelées : SOLVENCY II, BALE II. Bien que cette crise internationale n'ait pas eu au Maroc un impact négatif outre-mesure, sur le secteur financier en général et sur le secteur des assurances en particulier, étant donné que les placements en représentation des engagements des entreprises d'assurances sont dans la quasi-totalité situés dans notre pays, l'Administration de tutelle, s'inspirant fortement de cette directive, a dû s'y conformer en imposant de nouvelles exigences en matière de gestion des risques et de contrôle interne. Ainsi, le 26 août 2008, la DAPS a diffusé la circulaire relative au contrôle interne des compagnies d'assurance au Maroc. Ceci a constitué une première étape dans la convergence du secteur vers les normes européennes en matière de gouvernance et de gestion des risques. Bien que ces nouvelles règles semblent contraignantes pour les entreprises marocaines, celles-ci ont accueilli favorablement ces mesures, sachant qu'elles les mettaient et les mettraient dorénavant à l'abri des aléas liés spécifiquement à ce secteur très névralgique. Conscientes de l'intérêt de telles mesures, certaines compagnies ont, d'ores et déjà, mis sur place des structures d'audit interne - relevant directement du Conseil d'administration ou de surveillance - ayant essentiellement pour mission la vérification de l'efficacité du système du contrôle interne et l'évaluation de ses processus de management des risques. Le Maroc est donc prêt à s'ouvrir – prudemment bien entendu et en toute sérénité - à la mondialisation et à la globalisation, sachant qu'en adoptant lesdites nouvelles règles prudentielles propres à ses spécificités, le secteur des assurances présente réellement une forte résilience face aux aléas financiers mondiaux. Ce qui est tout à notre honneur. F. N. H. : Une nouvelle inconnue semble perturber un peu le secteur, à savoir le projet relatif à la finance islamique qui prévoit la création de compagnies d'assurance spécialisées dans le Takaful. L'importance de l'investissement que pourrait générer cette spécialisation une telle disposition ne risquerait-elle pas de dissuader les compagnies nationales, ? A. E. : Attakafoul est un concept trouvant son origine dans les normes et les règles de la charia al islamia. La Kafala signifie en arabe : «Se garantir l'un l'autre» ou d'une autre manière, créer une «garantie conjointe» entre les personnes. Il s'agit donc d'une mutualisation au niveau des personnes. A l'instar des mutuelles d'assurance, une compagnie Takaful, répartit les pertes éventuelles entre l'ensemble des assurés en mutualisant les risques sur la base de trois principes de fonctionnement : modèle Moudaraba: après déduction de toutes les charges techniques, les frais de gestion et les autres frais généraux, un pourcentage dans les profits est réparti entre l'opérateur et le fonds des sociétaires, modèle Wakala : exprimée en pourcentage des primes, décidée annuellement et d'avance et rémunérant directement les frais de gestion de l'opérateur, et la combinaison des deux : il s'agit de la plus utilisée au Moyen-Orient. Aussi, les membres d'une compagnie Takaful sont-ils les propriétaires des fonds gérés et, en même temps, les bénéficiaires en cas de sinistre. En cas de résultat positif entre les fonds récoltés et les sinistres payés, les souscripteurs des contrats d'assurance bénéficient de dividendes sur les opérations réalisées. Par contre, et en cas de résultat négatif, les souscripteurs sont tenus de recapitaliser la compagnie Takaful. La compagnie Takaful est tenue, en tant qu'institution financière islamique, d'effectuer des investissements en se conformant aux préceptes de la charia. Il y a lieu de signaler qu'il n'existe aucune réglementation qui régit le Takaful et qu'il s'agit, pour l'instant, d'un projet. Des produits d'assurance verront bientôt le jour avec la bénédiction du Conseil des Oulémas. Des compagnies Takaful seront donc créées et autorisées à exercer. Quant à celles déjà existantes, elles peuvent solliciter des agréments supplémentaires pour étendre leur champ d'application à cette nature d'assurance. Au début, le Takaful ne sera destiné qu'aux personnes physiques. Quant aux personnes morales, elles seront visées ultérieurement. Il est certain que ces nouvelles compagnies, ainsi que les entreprises préexistantes, ne pourront qu'adopter le Takaful car il y va de leurs intérêts. En effet, le Takaful, qui est un concept musulman, possède d'énormes potentialités dans le domaine de l'assurance en faisant appel à des millions de nos compatriotes, sachant pertinemment que notre société est avant tout musulmane et que notre pays est encore sous-assuré dans l'ensemble. Propos recueillis par Imane Bouhrara Multirisques habitation : le contrat-programme vise à couvrir au moins 50% de la population urbaine L'assurance multirisques habitation a été créée par les assureurs pour les personnes qui occupent un lieu destiné exclusivement à l'habitation. Les personnes ciblées peuvent être des propriétaires, des copropriétaires ou des locataires. Les lieux peuvent donc être occupés par leur propriétaire ou destinés à la location. L'avantage de cette assurance, c'est que, moyennant des primes très abordables, à compter de 280 DH, elle offre une panoplie de garanties : incendie, explosion, dégâts des eaux, bris de glace, vol, recours des voisins et des tiers...En moyenne, il s'agit de plus de vingt garanties. Les garanties accordées concernent les biens des assurés à savoir: Le contenant, autrement dit la construction, que ce soit les gros œuvres ou les seconds œuvres, Et le contenu, autrement dit les meubles, les appareils ménagers, les effets vestimentaires, les bijoux, les ustensiles..,se trouvant dans les lieux. En sus, elle offre également d'autres garanties dans le cadre de la responsabilité civile: responsabilité du chef de famille vis-à-vis des tiers qui ont subi des dommages matériels, immatériels ou corporels: voisins, invités, passants..., et même des domestiques dans le cadre des accidents du travail... Cette assurance s'intéresse aux biens achetés au comptant comme à crédit. Dans ce dernier cas, le prêteur – organisme financier – pour préserver le montant du crédit accordé à son client, emprunteur, exige une hypothèque et la souscription de cette assurance avec une délégation en sa faveur. Ainsi, et en cas de sinistre grave, incendie par exemple, le montant de l'indemnité est versé au prêteur. Quand le bien immobilier a été acheté au comptant, l'acheteur certes n'a aucune obligation pour souscrire cette police, mais il est hasardeux de s'en passer. En effet, l'absence de cette assurance met l'acquéreur des biens dans une situation très périlleuse. En effet, personne n'est à l'abri d'un incendie, d'une inondation, d'un cambriolage ou, encore, de voir sa responsabilité engagée vis-à-vis d'un tiers, invité, voisin, passant..., suite à des dommages matériels ou corporels et parfois mortels, (cas d'un incendie ou de l'explosion d'une bouteille de gaz). Les propriétaires, comme les locataires d'un bien immobilier acheté à crédit ou au comptant, ont donc tout intérêt à souscrire cette assurance pour mettre à l'abri leurs biens et pour se prémunir contre tout recours amiable ou judiciaire exercé à leur encontre de la part d'un tiers qui a subi un préjudice. A ce sujet, il y a lieu de préciser que le contrat-programme rendra bientôt obligatoire la souscription de l'assurance multirisques habitation. Il est donc vivement recommandé d'opter pour cette assurance, d'autant plus que sa prime est à la portée de toutes les bourses.