La réussite du modèle turc, aussi bien sur le plan politique qu'économique, tient à la volonté politique de répondre aux attentes du peuple. Le processus de modernisation et de démocratisation entamé par les pays d'Afrique et du Moyen-Orient n'est plus réversible. La séparation de la politique et de la religion est impérative pour parvenir à une bonne gouvernance. Yasar Yakis, ex-ministre des Affaires étrangères de Turquie et l'un des fondateurs du parti politique aujourd'hui au pouvoir, revient sur les clés de réussite de la stratégie politique et économique turque. - Finances News Hebdo : «Le Sud : l'exigence d'un nouvel ordre mondial» est la thématique principale de cette 5ème édition du Medays. Quelle lecture faites-vous de cette approche ? - Yasar Yakis : Tout d'abord, je n'aime pas le mot nouvel ordre parce que j'estime que chaque société dans chaque pays est dans une évolution constante, même si le rythme est long. Le Sud est aujourd'hui dans un processus d'évolution et de développement considérable accéléré par les révolutions du printemps arabe. Actuellement, l'évolution dépendra plus des peuples que des autres pays tierces. - F. N. H. : Les révolutions ont permis aux islamistes d'accéder au pouvoir. Comment voyez-vous l'avenir du Monde arabe ? - B. B. T. : Le processus de modernisation et de démocratisation est un processus irréversible. La cadence de développement sera parfois lente, parfois rapide et connaîtra peut-être une stagnation, cependant il n'est plus possible de faire marche arrière. - F. N. H. : Les projecteurs sont braqués sur le modèle turc qui a montré ses performances aussi bien sur le plan politique qu'économique. D'après vous, quelle est la clé de réussite de votre politique ? - B. B. T. : Sur le plan économique, notre succès vient du fait que nous avons un gouvernement fort et stable. La stabilité politique d'un pays est l'un des piliers majeurs pour le développement économique, puisque c'est la stabilité et le climat des affaires favorable qui attirent les investisseurs étrangers. Le gouvernement du parti politique aujourd'hui au pouvoir, contrôle les deux tiers des sièges au Parlement. Une majorité très forte qui a permis l'implantation de la stabilité en Turquie. Il faut dire aussi que le parti au pouvoir a pu achever sa transition d'un parti d'origine islamique à un parti laïque, et ce suite à un sondage d'opinion publique que nous avons effectué auprès de la population avant de créer le parti. Les résultats du sondage ont révélé que 46% du peuple turc étaient mécontents des partis politiques existants à l'époque et qu'ils étaient à la recherche d'autres mouvements politiques pour répondre à leur attentes. Ce qui nous avait aussi interpelés, c'est que la question du port du voile, qui faisait polémique à l'époque, n'était pas une priorité du peuple. Les priorités étaient l'emploi, la Justice, la sécurité... Ensuite, nous avons élaboré notre programme en fonction du souhait du peuple pour répondre à son attente. J'avoue que lors de notre premier mandat, une partie de la population craignait que nous changions la Turquie en un pays de Charia, ce que nous n'avons pas fait. Bien au contraire, nous avons appliqué la laïcité d'une manière très ferme. J'ai été l'un des6 rédacteurs du programme du parti et nous n'avons fait aucune allusion à la religion. Nous estimons que c'est une relation entre l'individu et Dieu. - F. N. H. : L'histoire du XXIème siècle est marquée par les révolutions qu'ont connues les pays arabes, dont le Maroc. Comment percevez-vous la capacité de notre pays à avoir dépassé cette étape tout en maintenant la stabilité, contrairement à d'autres pays de la région ? - B. B. T. : Je crois que les autorités marocaines ont réussi un exploit qui tient des traditions marocaines depuis des siècles. Dans l'histoire, chaque fois qu'il y a eu des pressions, le Maroc ouvrait les vannes pour faire baisser les tensions et aspirer les pressions. Ce qui est extrêmement important pour assurer une transition plus souple et éviter l'explosion du peuple. - F. N. H. : Le continent africain est sélectionné pour être le continent de ce XXIème siècle. Pensez-vous que cela est possible dans la conjoncture actuelle toujours marquée par l'instabilité de certains pays africains, en l'absence de stratégies et d'intégration politiques et économiques, avec, en plus, des barrières artificielles entre les pays... ? - B. B. T. : Certainement, il ne sera pas facile d'atteindre cet objectif. Comme je l'ai évoqué, le processus se déroule très lentement. En Turquie, nous sommes entrés dans un système de démocratisation, de multipartisme en 1946 et il nous a fallu plus de 60 ans pour arriver à l'état actuel, tout en sachant que notre pays n'est pas un paradis de la démocratie. Nous avons toujours des lacunes qu'il faudra combler à l'avenir. C'est aujourd'hui le cas des pays en révolution; il faudra du temps pour réparer et aller de l'avant, même si cela ne va pas se faire avec la même lenteur que le développement de la Turquie, puisque les temps ont changé. Le monde connaît aujourd'hui une accélération fulgurante, notamment avec les nouveaux outils technologiques et la télécommunication, et il en va de même avec les changements. Dossier réalisé par L. Boumahrou