Suite à l'abandon de quelques mesures d'exonération, la pression fiscale ne peut que s'accentuer. Dès que l'assujetti note une inadéquation entre la contribution et la rétribution, il recourt à l'évasion fiscale. El Houssaine Houssifi, expert-comptable DPLE et commissaire aux comptes, nous éclaire sur les raisons d'une non corrélation entre la fiscalité et la croissance. - Finances News Hebdo : Au cours de la dernière décennie, le Maroc a connu de profondes transformations de son système fiscal. Le but étant de faire jouer à la fiscalité le rôle d'un véritable levier de politique économique et de compétitivité. Peut-on savoir quelle place occupe le Maroc aujourd'hui en matière de compétitivité fiscale ? - El Houssaine Houssifi : La décision d'investissement est une équation à plusieurs variables. Celle fiscale est prépondérante dans le choix des investisseurs. Elle constitue un facteur déterminant dans les décisions d'implantation des investisseurs étrangers. Elle joue donc un rôle primordial dans l'accélération de la croissance économique. Une fiscalité favorable se traduit de façon positive sur les investissements pourvoyeurs de l'emploi et de la création de richesse. La fiscalité est une carte attrayante dans la politique de rapatriement et de sauvegarde des investissements. Une concurrence ardue est engagée par tous les pays pour proposer des menus alléchants. Cette concurrence permet sans doute d'alléger la pression fiscale et contribue à la rentabilisation des projets. Dans ce cadre et eu égard au rôle reconnu à l'investissement comme producteur de la croissance, le Maroc a entrepris plusieurs réformes à trait fiscal. Ces réformes vont des régimes fiscaux sectoriels jusqu'aux mesurettes introduites par les différentes Lois de Finances. L'évaluation de l'impact de cet arsenal fiscal a permis de conclure sur l'effet non significatif sur l'investissement. Suite à cette évaluation, les avantages sectoriels ont été abandonnés et les mesurettes ont été abolies suite à l'émission du rapport sur les dépenses fiscales. L'Etat marocain préfère traiter au cas par cas dans le cadre des commissions d'investissement. Avec la disparition de ces mesures d'encouragement, il faut reconnaître que la pression fiscale ne peut que s'accentuer. - F. N. H. : Aujourd'hui, les effets de la crise posent avec acuité la question des ajustements à opérer dans le système fiscal. A quels types de réformes faut-il penser dans l'urgence ? - E. H. : La fiscalité constitue un moyen de financement des projets entrepris par l'Etat marocain. Les réformes ne doivent pas épouser l'accentuation des déséquilibres budgétaires. Seulement, les efforts devant être entrepris doivent contribuer à la fixation de taux d'imposition pouvant entraîner l'optimisation fiscale. En effet, il est possible de réduire la pression fiscale et d'assister à une augmentation des recettes fiscales. Cette théorie développée par les économistes est devenue une réalité de l'économie marocaine. En effet, la revue à la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés n'a pas eu pour droit-fil la baisse des recettes fiscales. Au contraire, les assujettis, avides d'équité et de justice fiscale, ont réagi favorablement à la nouvelle grille fiscale. Il est temps d'étendre cette expérience aux autres impôts et taxes. La révision du taux de la TVA permettra sans aucun doute de faire fructifier les recettes y afférentes. Le gouvernement est attendu dans ce cadre en vue de permettre à la fiscalité d'être équitable et juste et de participer à une meilleure distribution des richesses. La fiscalité peut apporter des réponses à des problèmes particuliers en matière d'emploi. Ainsi, on peut prévoir des exonérations fiscales pour les entreprises qui embauchent des personnes à mobilité réduite ou font leurs achats auprès des entreprises dont l'effectif est composé de cette catégorie. Des exonérations doivent être également accordées aux entreprises qui font des achats auprès d'entreprises artisanales ou qui développent le commerce équitable. Le gouvernement est également attendu pour la réalisation d'un équilibre entre la fiscalité du facteur travail et celle préconisée pour le facteur capital. Un équilibre doit être assuré entre les deux afin de sauvegarder l'équité fiscale entre les deux pôles. A titre d'exemple, sur le plan de la protection de l'environnement, il est souhaitable que des exonérations fiscales soient prévues pour les entreprises réalisant des projets verts ou contribuant à la protection de l'environnement comme la réalisation de stations internes de traitement des eaux usées. - F. N. H. : Valeur aujourd'hui, on constate que notre fiscalité reste faiblement corrélée à la croissance économique. Pourquoi, à votre avis ? - E. H. :: Il est vrai que le suivi de la distribution statistique des recettes fiscales n'est pas corrélé avec celui de la croissance économique. On peut même assister à un défaut de corrélation. En effet, la fiscalité n'est pas exploitée comme pourvoyeur de croissance économique mais comme génératrice de recettes. On note une instabilité du dispositif fiscal, ce qui crée une confusion chez les investisseurs qui ne peuvent arrêter des business plans sur des horizons lointains. La fiscalité se trouve donc conditionnée par la situation financière du pays. Le Maroc adopte la démarche classique en matière de budgétisation. Selon cette démarche, les dépenses s'imposent aux recettes. L'Etat doit chercher les recettes pour financer les dépenses. Cet acharnement sur la fiscalité conduit à l'aggravation de la pression fiscale et à la minoration des investissement. Il existe un autre facteur qui doit rendre à la fiscalité son rôle de pourvoyeur de croissance : il s'agit de la dotation de l'administration fiscale de ressources humaines pouvant assurer les contrôles et éviter l'évasion fiscale. Enfin, il est temps de mettre en place une fiscalité par région. On ne peut traiter le Maroc de manière uniforme en raison des disparités spatiales et sociales. - F. N. H. : Le Maroc se trouve aujourd'hui face à un dilemme : réduire les taux d'imposition sans pour autant détériorer davantage les finances publiques. Comment pourrait-il résoudre une telle équation ? - E. H. :Il est possible d'y arriver en identifiant les taux optima d'imposition par branche fiscale. En effet, les augmentations des taux d'imposition génèrent des augmentations des recettes fiscales jusqu' à ce que le taux optimum soit atteint. Toute augmentation ultérieure se traduira par une chute de la recette fiscale en raison de l'invasion fiscale. Cette invasion est interprétée comme une réaction négative de la part des assujettis vis-à-vis de la pression fiscale. Payer un impôt sur les sociétés au taux de 30% signifie que l'Etat est actionnaire dans toutes les sociétés à hauteur de 30%, voire plus. Cette contribution constitue les dividendes de l'Etat en raison de sa participation au capital. Cette participation est matérialisée par les efforts déployés pour l'ouverture des marchés, la production de compétences humaines, le développement de la logistique. Lorsque l'assujetti note une inadéquation entre la contribution et la rétribution, il recourt à l'évasion fiscale pour procéder aux régularisations spontanées. Il en découle que l'Etat doit développer un climat des affaires permettant de redorer son image auprès des assujettis. Dossier réalisé par Soubha Es-siari