Dans des écosystèmes à haut potentiel économique, la contribution de la forêt à l'économie nationale peut être supérieure à 5% du PIB. Désormais, il est important de réfléchir à la manière de définir les indicateurs de suivi socio-économiques et environnementaux pour les projets forestiers, en relation avec tous les bénéfices qu'ils fournissent à la société marocaine. Ludwig Liagre, conseiller de la Coopération Allemande au Développement (GIZ), nous éclaire sur les tenants et aboutissants de l'économie verte. • Finances News Hebdo : Quelle est la valeur des services fournis par la forêt et la biodiversité au Maroc ? Comment peut-on la mesurer ? • Ludwig Liagre : La forêt marocaine et la biodiversité qu'elle contient (environ 70% de la biodiversité terrestre vit dans la forêt) rendent à la société marocaine de nombreux services : la protection des bassins versants à travers la lutte contre les inondations et l'érosion, la lutte contre la désertification et la protection des terrains agricoles, la fourniture d'espaces récréatifs comme dans les forêts périurbaines, la purification de l'eau, le stockage du carbone dans la lutte contre le changement climatique, le potentiel d'écotourisme, la création d'emplois autour des produits forestiers non-ligneux comme les plantes aromatiques, cosmétiques et médicinales, la fourniture de pâturage, etc. Ces valeurs peuvent être calculées à travers des prix de marché comme le prix de la tonne de carbone stockée, ou des plantes aromatiques, cosmétiques et médicinales, ou bien à travers des méthodes pour calculer les coûts de dégradation évitée grâce aux forêts. D'autres méthodes visent à recueillir directement l'avis des populations usagères sur la valeur des ressources. Dans ce sens, il est aujourd'hui important de réfléchir comment définir les indicateurs de suivi socio-économiques et environnementaux pour les projets forestiers, en relation avec tous les bénéfices qu'ils fournissent déjà à la société marocaine. Cette reconnaissance des biens et services fournis par la nature est aujourd'hui l'enjeu de l'initiative internationale TEEB (L'Economie des Ecosystèmes et de la Biodiversité) soutenue notamment par le Programme des Nations unies pour l'Environnement (PNUE) et l'Union Européenne. • F.N.H. : Peut-t-on chiffrer la contribution de la forêt marocaine à l'économie nationale ? • L. L. : Si on prend en compte tous les biens et services fournis par la forêt marocaine, la contribution à l'économie nationale est conséquente, probablement supérieure à 5% du PIB, surtout dans des écosystèmes à haut potentiel économique comme l'arganeraie. Des initiatives sont d'ailleurs en cours actuellement pour préciser cette contribution. Le Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification a établi une convention de partenariat avec le Haut Commissariat au Plan en vue de travailler sur l'intégration des biens et services de la forêt marocaine dans la comptabilité nationale. • F.N.H. : Comment peut-on mieux capter cette valeur pour l'économie marocaine ? • L. L. : Il est vrai que mettre en lumière la valeur des écosystèmes forestiers et la reconnaître est une première étape, mais le plus important est de pouvoir la saisir et la capter pour la création de richesses et d'emplois. Le soutien aux petites et moyennes entreprises en milieu rural pour la valorisation des plantes aromatiques, cosmétiques et médicinales, l'investissement dans le tourisme durable en espace boisé et dans les aires protégées représentent un potentiel de croissance non-négligeable, potentiel qui devrait d'ailleurs être intégré dans les stratégies pour une Economie Verte. D'autres outils peuvent être explorés pour réaliser des investissements dans des projets bénéfiques pour les écosystèmes forestiers et la biodiversité, par exemple : les réformes fiscales écologiques, ou la création de fonds pour la biodiversité. Les entreprises, en particulier à travers leurs départements Développement Durable et de mécénat environnemental peuvent également contribuer positivement à des projets pour la conservation de la biodiversité. Par ailleurs, il existe des mécanismes dans les conventions internationales comme l'APA (Accès aux ressources génétiques et partage juste et équitable des bénéfices tirés de leur utilisation) sous la convention des Nations unies pour la Diversité Biologique (CBD). Ce système vise à améliorer la valeur ajoutée de ressources endémiques dans le pays d'origine, à l'instar des produits issus de l'arganeraie. Le mécanisme REDD (Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation des Forêts) sous la Convention-Cadre des Nations unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) offre également un potentiel de financement pour des projets forestiers qui doit être analysé. • F.N.H. : Y a-t-il au Maroc un potentiel pour ces mécanismes appelés «Paiements pour Services Ecosystémiques» ? • L. L. : Le concept de paiement pour services écosystémiques (PSE) se réfère à des mécanismes qui visent à rémunérer des acteurs qui fournissent un service environnemental, par exemple lorsque des éleveurs acceptent des changements de leurs pratiques de parcours pour favoriser la régénération de la forêt. Le Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification a, dans ce sens, développé sur cette thématique un mécanisme de compensation pour mise en défens pour le rachat temporaire des droits d'usage des populations rurales concernées organisées en association. En l'échange du respect de la mise en défens, un appui financier est apporté dans le compte de l'association pour un montant de 250 DH par hectare. Ce type d'exemple pourrait être mis à profit pour développer des mécanismes similaires pour la préservation des ressources en eau ou de la qualité de l'air. • F.N.H. : Quelles sont les initiatives soutenues par la Coopération Allemande au Développement (GIZ) sur ces thématiques ? • L. L. : La Coopération Allemande au Développement a travaillé de nombreuses années au soutien du Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification dans le domaine de la gestion des aires protégées et de la lutte contre la désertification. Actuellement sont développées des approches pour une intensification de la communication sur les nombreux bénéfices fournis par les écosystèmes forestiers marocains, ainsi que pour optimiser leur valorisation. Dans cette optique des approches de schémas PSE sont envisagés. Propos recueillis par S. Es-siari