D'après Maître Naoui Saïd, avocat au Barreau de Casablanca, doctorant en droit et agréé près la Cour de cassation, la lenteur de la procédure des indemnisations des sinistres corporels ne dépend pas uniquement de l'acte juridique, mais également des compagnies d'assurance chez qui les dossiers traînent des mois et des mois, voire des années. • Finances News Hebdo : Que dispose la loi dans le cas de dégâts corporels provoqués par un accident automobile ? • Maître Saïd Naoui : Malheureusement, le législateur marocain n'a pas établi une définition précise du sinistre, mais en se référant à la doctrine française, on peut le définir comme la réalisation de ce risque de nature à entraïner la garantie de l'assureur. La réalisation de l'événement constitutif du sinistre oblige l'assureur à verser la prestation prévue. Constitue un sinistre tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l'assuré, résultant d'un fait dommageable. Et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations. Selon les termes de cette définition avancée par le législateur français, trois éléments participent à la définition du sinistre : d'abord, un dommage causé à un tiers, ensuite, un fait dommageable engageant la responsabilité de l'assuré et enfin, une réclamation qui constitue pour l'assuré la mise en cause de sa responsabilité. Pour revenir à la législation marocaine, l'article 17 du nouveau code des assurances dispose que «les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans le contrat. Toutefois, l'assureur ne répond pas, nonobstant toute convention contraire, des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive». Et «l'assureur est garant des pertes et dommages causés par des personnes dont l'assuré est civilement responsable», précise l'article 18 du même code. Pour satisfaire à cette condition le législateur oblige aussi chaque personne physique ou morale de souscrire à une assurance qui couvre le risque. À défaut de se soumettre, il sera passible de poursuites. Ainsi, selon l'article 120 du nouveau code des assurances «toute personne physique ou morale dont la responsabilité civile peut être engagée en raison des dommages corporels ou matériels causés à des tiers par un véhicule terrestre à moteur non lié à une voie ferrée ou par ses remorques ou semi-remorques, doit être couverte par une assurance contractée auprès d'une entreprise d'assurance et de réassurance». Et selon l'article 131 du même code «est passible d'un emprisonnement d'un mois à six mois et d'une amende de deux mille deux cents à six mille dirhams ou de l'une de ces deux peines seulement quiconque aura sciemment contrevenu aux dispositions de l'article 120 ci-dessus…le maximum de l'amende peut être porté au double en cas de récidive». L'assurance de la responsabilité civile automobile étant obligatoire le législateur a prévu des dispositions spéciales sanctionnant le défaut d'assurance, ainsi que le défaut de sa justification. • F. N. H : Que faut-il faire en cas d'un accident ayant provoqué des dégâts corporels ? • S. N. : Parmi les obligations qui incombent à l'assuré, l'obligation d'informer son assureur de la survenue de l'accident. Il doit l'informer, selon la décision du ministre de l'Economie et des Finances concernant les conditions générales types des contrats d'assurance de la responsabilité civile sur les véhicules terrestres à moteur, du numéro de la police d'assurance, la date et l'heure de l'accident, ses circonstances et ses conséquences. Ainsi, le nom du conducteur et si possible les noms et les adresses des victimes et les témoins doivent être déclarés. De même, il lui notifie dans les plus brefs délais les courriers et les avis ainsi que les convocations, les demandes de présence et tous les documents extrajudiciaires ou les documents et les diligences judiciaires qui lui peuvent être notifiés personnellement ou à une autre personne sous son autorité. Chose qui n'est pas toujours fréquente puisque le législateur n'a réservé aucune sanction au cas d'abstention ! Le but de cette information est de mettre l'assureur au courant de l'accident et ses circonstances, et qu'il est devenu obligé de régler l'indemnisation qui sera due à la victime ou ses ayants-droit, ainsi pour qu'il prenne les mesures nécessaires pour défendre ses intérêts. La forme de cet avis doit être faite par une lettre recommandée avec accusé de réception ou une déclaration verbale contre récépissé. Ces démarches peuvent s'avérer être des garanties suffisantes quand à la preuve de cette déclaration. Le délai de cette déclaration ne peut être inférieur à cinq jours de la survenue de l'accident. Et je tiens à préciser que le tiers lésé ne dispose pas d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur, mais doit assigner le responsable du dommage et ce dernier fait appel à son assureur qui couvre ces dommages • F. N. H : Quelles sont les différentes voies de recours en cas de dommage corporel? • S. N. : Soit que la victime, ou ses ayants-droit, se constitue partie civile en se joignant à l'action publique devant le tribunal correctionnel où le conducteur est poursuivi par le procureur du Roi pour demander, après la désignation d'un expert en la matière, des dommages et intérêts. Ou bien, si l'action publique est achevée, la victime est tenue, avant d'entamer une action judiciaire en dommages et intérêts devant le tribunal de première instance, de demander à la compagnie d'assurance l'indemnisation des dommages subis. Cette demande introduite par lettre recommandée avec accusé de réception, notifiée par voie extrajudiciaire ou déposée auprès de la compagnie d'assurance contre un accusé, doit être assortie des documents permettant l'évaluation de l'indemnisation, à savoir : une copie du procès-verbal constatant l'accident, un extrait de naissance de la victime et, le cas échéant, de ses ayants-droit, les pièces justificatives du salaire ou des gains professionnels, une copie des rapports d'expertise médicale ou tout autre document nécessaire à l'évaluation des dommages. Si la compagnie d'assurance procède directement au règlement qui résulte d'une expertise amiable, si la victime toujours en vie, ou si cette dernière, ou ses ayants-droit, refuse la proposition de la compagnie d'assurance, elle peut introduire une action pour fin de dédommagement devant le tribunal compétent. Toutefois, si l'action publique est toujours en cours, la juridiction civile doit surseoir au jugement tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. Quand la partie lésée a déjà exercé son action devant la juridiction civile compétente, elle ne peut la porter devant la juridiction répressive sauf lorsque la saisine de cette dernière est le fait du ministère public et à la condition qu'elle intervienne, avant qu'un jugement sur le fond n'ait été rendu par la juridiction civile. • F. N. H : Les dossiers des accidents automobiles avec préjudice corporel traînent pendant des années dans les tribunaux ; comment expliquez-vous la lenteur de l'acte juridique ? • S. N. : Malgré les efforts entrepris par certains juges pour réduire les délais de traitement, leurs efforts restent modestes à cause du manque de moyens qui entache nos tribunaux. La lenteur n'est pas dans l'acte juridique seulement, mais dans l'exécution de cet acte, puisque le dossier traîne des mois et des mois voire des années même chez la compagnie d'assurance avant que celle-ci procède à son exécution. Et certaines compagnies d'assurance profitent de cette situation pour retarder au maximum le règlement. • F. N. H : Une fois le jugement prononcé et le dossier transmis à la compagnie d'assurance, à quel délai la compagnie d'assurance est-elle tenue de verser les indemnités aux sinistrés ? • S.N : En principe, l'assureur ne dispose d'aucun délai pour exécuter son obligation et régler l'indemnité d'assurance. En cas d'accord amiable, la compagnie d'assurance doit immédiatement verser le montant des indemnités au bénéficiaire ou si une décision judiciaire définitive est notifiée à la compagnie d'assurance, cette dernière doit procéder immédiatement à l'exécution de ce jugement. • F. N. H : Que prévoit le législateur en cas de retard de paiement? • S. N. : Lorsque la compagnie d'assurance n'a pas payé l'indemnité due au bénéficiaire, ce dernier peut l'aviser en lui octroyant un délai de quarante-huit heures pour exécuter le jugement. Cet acte permet de constater que le débiteur n'exécute pas, alors qu'il devrait le faire. Cette mise en demeure doit être préférablement faite par un huissier de Justice. Face à ce constat, la victime, ou ses ayants-droit, ont droit à des dommages et intérêts dans la limite de cinquante pour cent des sommes indûment retenues selon l'article 21 du dahir du 02 octobre 1984. A cet effet, l'article 263 du code des obligations et contrats dispose que «les dommages et intérêts sont dus soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution et encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de la part du débiteur». • F. N. H : À votre avis, comment peut-on assouplir la procédure pour minimiser le temps de traitement sachant qu'en général les personnes lésées ont besoin d'un traitement et d'un suivi qui peuvent être coûteux ? • S. N. : Cela entre dans le grand projet de la réforme de la Justice que chaque gouvernement, une fois investi, prétend ouvrir, jusqu'à maintenant sans succès. Mais, le législateur marocain doit revoir d'une façon urgente les délais qui figurent dans le dahir du 02 octobre 1984 en supprimant l'obligation d'effectuer une conciliation avec la compagnie d'assurance avant d'engager une action judiciaire en dommages et intérêts. Et de restaurer, au moins, l'exécution provisoire du jugement de la première instance, omis par les tribunaux de première instance ces dernières années, si l'une des parties relève appel à ce jugement. Ou une offre d'indemnité doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximum de huit mois à compter de l'accident. En cas de décès de la victime, l'offre est faite à ses héritiers et, s'il y a lieu, à son conjoint comme c'est le cas en France. Propos recueillis par Lamiae Boumahrou