Depuis11 ans, seulement 800 personnes sont inscrites sur la liste des dons d'organes après décès. La majorité des Marocains ignore la pratique de la greffe d'organes post mortem. Une relation de confiance et de transparence doit s'établir entre le citoyen et le système sanitaire pour aller de l'avant et sauver des vies humaines. Le don d'organes post mortem est une pratique ignorée par la majorité des Marocains. Et pour cause, le Maroc est encore au stade embryonnaire quant aux greffes d'organes à partir de personnes décédées, en état de mort cérébrale, en d'autres termes à partir de cadavre. Seulement 12 greffes d'organes retirés de 6 cadavres ont été réalisées au Maroc jusqu'à présent. Le Maroc se trouve en bas de liste en matière de greffes d'organes dans le Monde arabe. Malheureusement, nous ne disposons même pas de statistiques sur le nombre de malades en attente d'une greffe. Alors, pourquoi cette pratique peine à décoller ? Quelles sont les réticences des donneurs ? Quels sont les freins majeurs ? Que stipule la religion ? Que prévoit la loi ? Au moment où des milliers de vies dépendent chaque jour d'une greffe, des questions persistent quant au développement de cette discipline au Maroc. Plusieurs facteurs interviennent dans ce retard. Aspect social La sensibilisation du principal concerné, le donneur, sur les enjeux majeurs de cet acte humanitaire reste très limitée, voire inexistante. Rares sont les campagnes de sensibilisation sur le don d'organes après le décès. Si le débat refait surface aujourd'hui, c'est suite à la déclaration du ministre de la Justice et des libertés, Mustapha Ramid, qui a fait part de sa décision d'être donneur après sa mort dans une tentative de promouvoir le don d'organes au Maroc. Le don d'organes est un sujet tabou dans notre société. Afin d'en cerner la perception, nous avons procédé à une petite enquête en interrogant une dizaine de personnes. Seulement 5 ont accepté de se prononcer sur la question. 3 d'entre elles ignorent que cette pratique existe au Maroc et 2 ont refusé de faire don de leurs organes. Or, même les personnes ayant une idée sur cette pratique et qui souhaitent donner leurs organes après leur mort ignorent tout de la procédure à suivre. Une procédure qui stipule que le donneur donne, de son vivant, son consentement au don de ses organes après son décès en s'inscrivant sur un registre auprès du tribunal de première instance. Le donneur peut également exprimer sa volonté auprès de sa famille. Aujourd'hui, seulement 800 personnes sont inscrites sur les registres de dons d'organes après décès depuis 11 ans. Un chiffre alarmant comparativement à une population de 34 millions d'âmes. L'aspect religieux La majorité des Marocains croit que l'Islam interdit cet acte. Selon les croyances, il faut préserver l'intégrité du corps humain. Il est surtout question de préserver la dépouille du défunt. Or, l'Islam autorise le don d'organes quand il s'agit de sauvegarder une vie humaine, mais en interdit strictement le commerce. Au contraire, c'est une des formes de charité les plus élevées et les plus méritoires, car le corps vaut beaucoup plus que la fortune. D'après le docteur Mbarek El Alami, professeur à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines d'Aïn Chock, «l'Islam autorise le don d'organe après la mort à condition que le donneur en exprime le désir. La famille n'a pas le droit de s'opposer à cette décision après le décès». L'aspect réglementaire La loi no16-98 relative au don, au prélèvement et à la transplantation lève toute ambiguïté sur les questions de prélèvement et de transplantation au Maroc. Elle définit clairement les personnes susceptibles d'être donneurs, les receveurs en cas de don vivant et précise les structures qui sont agréées par l'Etat, dont le Centre hospitalier Ibn Sina de Rabat, le CHU Ibn Rochd de Casablanca, l'hôpital militaire Mohammed V de Rabat, les CHU de Marrakech et de Fès, et l'hôpital Cheikh Zaïd de Rabat. Les limites techniques La situation du Maroc en termes de greffe d'organes est très délicate. Mis à part les greffes de reins et de la cornée qui se font plus ou moins régulièrement, et la seule greffe de cœur réalisée au Maroc en 1994, aucune autre greffe d'organes n'est effectuée au Maroc. Malgré les avancées que le Maroc a enregistrées sur le plan médical, il y a encore un grand travail à faire sur le plan logistique, matériel médical, cellule d'urgence composé de professionnels qualifiés, prise en charge du corps, prise en charge de la famille du décédé, transport d'organes,… La greffe d'organes à partir d'un donneur en mort encéphalique est un processus complexe qui nécessite des moyens techniques et financiers complexes. Pour que cette pratique puisse prendre son envol au Maroc, il faudrait établir une relation de confiance et de transparence entre le citoyen et le système national de santé afin de sauver des milliers de vies qui dépendent d'une greffe. Dossier réalisé par L. Boumahrou