Seulement 12 greffes d'organes provenant de 6 donneurs cadavériques ont été effectuées au Maroc. Eclairage du Dr Abdelali Alaoui Belghiti, Directeur des hôpitaux et des soins ambulatoires et président de la Commission nationale de réduction de la mortalité maternelle et infantile du ministère de la Santé, sur le don d'organes post mortem. • Finances News Hebdo : Pourriez-vous, en premier lieu, nous faire le point sur la situation actuelle sur le don d'organes au Maroc ? • Abdelali Alaoui Belghiti : Le Maroc vit actuellement une transition épidémiologique, c'est-à-dire qu'il passe d'une situation où la morbidité était dominée par les maladies aiguës et les maladies transmissibles, à une situation où la morbidité est dominée par les maladies chroniques. La particularité de ces dernières est qu'elles nécessitent des traitements à vie, très coûteux et qu'après une baisse de la vigilance on passe à des stades où apparaissent des complications. A titre d'exemple, la maladie rénale terminale qui, en plus d'être une maladie chronique et silencieuse, exige des solutions très chères et complexes. Tout d'abord, il y a la barrière financière, puisque la séance de dialyse coûte entre 700 et 800 DH et que les malades sont tenus de faire 3 séances par semaine. Deuxièmement, les solutions sont complexes puisqu'on dépend d'une machine que l'on ne peut installer chez soi. La solution idéale est la greffe. Toutefois, cette pratique dépend d'un dispositif complexe qui suppose d'une part que le donneur, vivant ou cadavérique, soit compatible avec le récepteur et, d'autre part, en conformité avec le dispositif des hôpitaux universitaires. Classiquement, il y a le don vivant-vivant et le don à partir d'un cadavre. Nous avons aujourd'hui au Maroc 11.000 malades en situation d'insuffisance rénale chronique terminale dont la majorité est prise en charge par la dialyse. Actuellement, nous effectuons entre 30 et 40 greffes rénales par an à partir de donneurs vivants. Ce chiffre reste dérisoire par rapport au nombre de malades. La solution est évidemment d'augmenter le nombre de greffes pour accompagner l'évolution de la maladie et diminuer le nombre de malades dialysés. Dans notre plan d'action, nous avons fixé comme perspectives de réaliser 250 greffes par an dans 5 centres publics avec en moyenne 50 greffes par centre. Cet objectif est difficile à atteindre à partir d'un donneur vivant puisque la loi impose que seul un parent ou le conjoint est autorisé à donner son organe, en plus de la contrainte de la compatibilité. Donc, la solution à l'avenir, ce n'est pas la greffe à partir d'un vivant mais plutôt d'un cadavre. C'est une réalité mondiale car la grande majorité des pays n'investissent plus dans le vivant. C'est pour cela que nous avons convenu dans notre plan d'actions de passer au prélèvement d'organes à partir de cadavres afin de pouvoir régler non seulement la même problématique des reins mais aussi celle des autres organes. • F.N.H. : Quels sont les freins qui entravent l'évolution de cette pratique au Maroc ? • A. A.B. : Au début, nous étions confrontés à l'expertise vu que nous n'avions jamais fait de prélèvements à partir de cadavre. Nous avons à ce propos un projet avec l'Agence de la biomédecine, centre d'expertise français, qui a accompagné nos équipes l'an passé au CHU de Casablanca pour la première greffe à partir d'un cadavre. Le frein majeur est le donneur. Nous avons réalisé une étude qui a montré que la population marocaine présente deux réticences, la première du côté juridique et la deuxième du côté religieux. Sur le plan juridique, le Maroc dispose de textes réglementaires qui autorisent le don de vivant à vivant pour les parents et les conjoints mais également le don d'un mort encéphalique à un vivant, moyennent des conditions. Cependant, nous avons une lacune concernant les cadavres sans famille dont les prélèvements sont interdits. Je pense qu'il faudrait revoir ce point dans la loi. Sur le plan religieux, l'enquête a révélé que la population croit que cet acte n'est pas autorité par l'Islam. Pour cette raison, nous avons organisé l'année dernière une rencontre avec le ministère des Habous, celui de la Santé ainsi que les représentants du Conseil des Oulamas pour faire la lumière sur ce sujet et expliquer que la religion n'interdit pas ce geste humanitaire. Il faut donc une grande campagne de sensibilisation auprès de la population avec tous les moyens de communication. Nous comptons sur les médias pour faire valoir ce geste et le promouvoir. Nous développons également des cellules de communication en situation de deuil au sein des CHU avec des assistances sociales qui ont suivi des stages en France. • F.N.H. : Avons-nous pratiqué au Maroc des greffes d'organes issus de cadavres ? Quels sont les établissements agrées pour ce type d'intervention ? • A. A.B. : Il y a 6 établissements autorités à pratiquer les greffes, soit à partir d'un donneur vivant soit à partir d'un cadavre. Il y en a 4 : CHU Casablanca, CHU Rabat, CHU Marrakech, CHU Fès, l'hôpital militaire universitaire de Rabat et l'hôpital Cheikh Zaïd. Les 6 établissements ont déjà effectué des greffes à partir de vivants mais seulement 2, le CHU de Casablanca et celui de Marrakech qui ont réalisé des greffes à partir de cadavres. • F.N.H. : Combien de greffes avons-nous réalisées au Maroc avec des organes prélevés sur un cadavre ? • A. A.B. : Aujourd'hui, nous sommes à 12 greffes à partir de 6 cadavres. La particularité de la greffe c'est qu'elle représente la médecine et la technologie médicale par excellence. Il y a une compétition positive entre les CHU qui ont tendance à faire plus de greffes pour confirmer leur rôle de centres d'expertise. • F.N.H. : Quelles sont les greffes prioritaires au Maroc ? • A. A.B. : En termes de santé publique, nous avons 3 priorités de greffe. La greffe de la cornée qui se faisait essentiellement à l'hôpital Cheikh Zaïd et qui depuis de 2 ans se fait dans les hôpitaux universitaires avec une moyenne de 400 greffes par an. Récemment, nous avons signé une convention avec un institut américain pour importer près de 1.000 cornées pour atteindre 600 greffes par an pour le secteur public. À partir de cette année, nous avons signé un partenariat avec le secteur privé pour importer près de 400 cornées. Ce partenariat nous permettra de faire 1.000 greffes de cornées par an sans inclure l'hôpital Cheikh Zaïd qui lui seul effectue entre 300 et 500 greffes par an. A ce rythme, nous allons répondre largement aux besoins de la population. Deuxième priorité, la greffe de rein. Nous projetons d'atteindre une moyenne de 250 greffes par an à raison de 50 greffes par centre en attendant l'ouverture des autres centres. Troisième priorité, la greffe de moelle qui se fait au centre du 20 Août de Casablanca et qui bientôt se fera à Marrakech. Toutefois, nous encourageons les CHU à prendre des initiatives pour d'autres types de greffes tels le cœur, le foie,…. Nous avons un partenariat avec la France qui nous permet de faire des stages de formation concentrés pour les médecins spécialisés. • F.N.H. : Avons-nous des spécialistes capables de pratiquer des greffes à partir de cadavre à part celles de la cornée, des reins et de la moelle ? • A. A.B. : Nous avons de l'expertise uniquement pour des greffes du cœur et du foie. • F.N.H. : Combien de Marocains dépendent aujourd'hui d'une greffe ? • A. A.B. : Heureusement, pour toutes les maladies chroniques il n'y a pas de risque de décès puisqu'il y a des solutions alternatives même si elles ne sont pas très efficaces. Cependant, la transplantation reste la meilleure solution médicale pour un grand nombre de malades. • F.N.H. : Avez-vous un chiffre sur le nombre de malades ? • A. A.B. : Non, nous n'avons pas de chiffres à l'échelle nationale. Toutefois, nous avons 3 listes d'attente à l'échelle nationale pour les malades en attente d'une greffe de rein, de cornée ou de moelle. En terme de santé publique nous avons des programmes pour les maladies les plus fréquentes et non pas pour les cas isolés. • F.N.H. : La greffe à partir d'un cadavre est un processus très complexe qui nécessite des moyens techniques, logistiques et professionnels très précis. Les établissements agréés sont-ils équipés avec le matériel adéquat et le personnel qualifié pour procéder à ce type d'intervention ? • A. A.B. : Sur le plan dispositif, les CHU sont équipés. Cependant, il y a encore du travail à faire sur le plan logistique. Le processus de greffe à partir d'un cadavre est assez complexe. Après le décès, un dispositif d'urgence est déclenché pour transporter le cadavre, faire un bilan complet, convoquer la famille, chercher la liste d'attente, contacter la personne compatible… Ce qu'il nous faut c'est équiper les centres régionaux. D'ailleurs, c'est la politique du ministre actuel, qui consiste à installer des urgences médico-hospitalières complètes dans les hôpitaux régionaux. En plus de la mise en place d'un dispositif de 15 SMUR, ambulances de type A avec réanimation et réanimateur, nous allons initier le programme Hélismur qu'est le transport par hélicoptère avec réanimation et réanimateur. Donc, pour aller en dehors des hôpitaux universitaires nous avons besoin d'un dispositif d'intervention en situation d'urgence que nous allons mettre en place durant le mandat de l'actuel ministre. • F.N.H. : Le principal concerné par cet acte est le citoyen marocain qui ne fait pas du tout confiance au système national de santé et qui est d'ailleurs le plus critiqué. Comment comptez-vous mettre en confiance les gens pour qu'ils adhérent à cet acte ? • A. A.B. : Dans chaque CHU, nous avons un comité d'étique qui gère les listes d'attente où tous les demandeurs s'inscrivent. Aujourd'hui, nous voulons passer à un autre niveau, celui d'avoir une liste nationale pour plus d'équité entre les citoyens sur tout le territoire. Tous les demandeurs vont être centralisés à la direction des hôpitaux. Nous allons élaborer les critères, les valider et les distribuer au niveau national. À ce sujet, nous avons un partenariat avec la France pour tirer profit de son expérience en la matière. L'agence de biomédecine française dispose d'un système informatique qui gère les listes d'attentes centralisées. Pour le moment, nous n'avons pas encore le processus de gestion de cette liste à l'échelle nationale. Le problème qui va se poser en matière d'équité est la limite des centres greffiers comparativement au territoire. • F.N.H. : Les maladies chroniques pèsent lourdement sur le budget du ministère de la Santé ainsi que sur les malades qui n'ont pas de prise en charge; est-ce que les greffes à partir de donneurs cadavériques pourraient être la solution la plus efficace des points de vue santé et finance ? • A. A.B. : Dans le cas des malades en insuffisance rénale terminale la greffe à court terme paraît plus chère que la dialyse. Sauf qu'a moyen terme et plus précisément après la 4ème année, la greffe revient moins cher, sans parler du confort, de l'espérance de vie... • F.N.H. : Pour conclure, êtes-vous inscrit au registre des dons d'organes ? • A. A.B. : Non, pas encore mais je compte le faire. Nous avions un programme avec l'ancien ministre, Mme Baddou, pour organiser dans chaque ville une marche vers le tribunal avec les personnes du corps médical souhaitant s'inscrire dans le registre. Mais les circonstances que le Maroc à vécues ont perturbé le planning. Dossier réalisé par L. Boumahrou