Malgré l'existence d'une loi, le harcèlement sexuel en milieu professionnel est loin de décroître. Les victimes se tournent toujours vers le milieu associatif pour trouver soutien et réconfort. Dans l'espace public, le danger peut venir de partout, même des enfants. Le tabou persiste au plus haut niveau puisque les autorités n'ont toujours pas donné d'autorisation pour la marche contre le harcèlement ! Il y a un peu moins d'une année, quand un groupe de femmes avait lancé un appel pour organiser le Slutwalk Morocco, une marche contre le harcèlement affiliée au Slutwalk monde, autrement dit la marche des salopes, la réaction de la société marocaine fut virulente. Arguant qu'on veut reproduire au Maroc une marche comme le Slutwalk de Toronto où des femmes avaient défilé à moitié nues. Pourtant, il n'était pas question de reproduire fidèlement ce genre de marche au Maroc. Mais, la société est moins praillard quand une femme, contre son gré, est prise à partie par un individu qui lui fera subir regard insistant, geste hasardeux, compliment à connotation sexuelle ou carrément le viol… Aujourd'hui, le constat est là : le phénomène empoisonne la vie des femmes et ni la loi ni la société n'aident à rétablir les victimes dans leur dignité. En effet, au Maroc, dans la majorité écrasante des cas, ce sont les femmes qui font les frais de pareils agissements. Des actes auxquels on ne prêterait pas attention, mais qui peuvent être les éléments annonciateurs que la femme est une cible de harcèlement sexuel. Tabou et secret de polichinelle à la fois, le harcèlement, pratique courante et malheureusement banalisée, va donc de la simple drague, «Nouggane» en dialecte marocain, à parfois carrément le viol aussi bien dans l'espace public que privé. Les pages des faits divers relatent régulièrement des affaires odieuses. En milieu professionnel, la situation n'est pas meilleure, la plupart des hauts postes étant occupés par des hommes, ce sont essentiellement les femmes qui peuvent être victimes de ces agissements. Et selon certains acteurs associatifs, cela se produit aussi bien dans des emplois précaires que dans les multinationales. Qu'elle soit ouvrière ou haut cadre, la femme marocaine encaisse souvent dans le silence les sévices qu'elle subit, qu'ils soient physiques ou psychologiques. En témoigne le nombre de plaintes déposées pour harcèlement sexuel qui avoisine le zéro. En effet, en 2012, aucune plainte n'a été déposée à Casablanca selon un substitut du procureur. Un avocat de la place renchérit : «J'ai eu une seule fois une cliente qui n'a pas voulu lancer la procédure pour motif qu'elle était mariée». Et pourtant, voilà bientôt huit ans que c'est un fait incriminé par la loi, notamment en milieu professionnel. En effet, le code du travail appliqué depuis le 7 juin 2004 incrimine pour la première fois pareils actes. «La preuve étant à la charge de la victime, il est très difficile de prouver qu'on a été victime de harcèlement. De plus, la procédure est lente, on vous pointe d'un doigt accusateur; et pendant toute la durée de la procédure vous devez vous procurer de l'argent, car vous perdez votre travail quand vous portez plainte pour harcèlement ou bien vous êtes contrainte de quitter votre poste. Et vous avez également votre famille sur le dos. C'est une épreuve qui marque, mais je suis heureuse de ne pas avoir baissé les bras. Je suis réconciliée avec moi-même et depuis j'ai plus de respect envers ma personne», explique K. B., jeune femme victime de harcèlement sexuel de la part de son patron. Un courage que beaucoup de femmes n'ont pas, préférant quitter leur travail au lieu d'aviser leur famille ou leurs collègues pour dénoncer la violence morale ou physique dont elles sont victimes. Si dans le milieu professionnel le harcèlement implique une relation d'autorité, dans l'espace public le danger peut venir de partout, à tel point que beaucoup de femmes ont déserté la place publique de peur d'être humiliées… parfois même par des gamins mal élevés ou tout simplement élevés dans une société où la femme est perçue comme un objet, un être dominé, un être faible… Aujourd'hui comme hier, les centres d'écoute et les associations continuent de recevoir de manière inquiétante des plaintes de la part de femmes, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, qui disent avoir été victimes de harcèlement basé sur le genre. Avec bien évidemment toutes les conséquences néfastes que ce harcèlement peut avoir sur les victimes. Pire encore, jusqu'à présent, le Woman-Choufouch, dont l'affiliation aux causes SlutWalk Monde ne se fait qu'au niveau de la dénonciation des agressions morales, verbales et physiques que subissent les femmes au quotidien, n'a toujours pas reçu l'autorisation pour la marche qui est prévue début avril 2012 où hommes et femmes manifesteront contre toutes formes de violences et agressions dont la femme marocaine souffre ! C'est dire que ce tabou a de beaux jours devant lui tant que les mentalités ne changeront pas et à tous les niveaux: au sein des autorités mêmes qui entretiennent une certaine culture qui culpabilise systématiquement la femme !