Parler d'épargne dans un pays où ses fonctionnaires souffrent du gel de leurs salaires est un leurre. Sous d'autres cieux, les crédits contractés par les ménages sont souvent utilisés dans l'achat des produits complémentaires ou d'actions et obligations. Au Maroc, les ménages se surendettent pour subvenir à leurs besoins... Dans un pays comme l'Hexagone, l'épargne des ménages a fait preuve ces dernières années d'un grand dynamisme, et ce en dépit de la baisse du niveau moyen des taux de rémunération et surtout de l'effondrement des indices boursiers. Le taux d'épargne des ménages français est remonté à 17% en 2002, soit le niveau le plus élevé depuis vingt ans. De plus, le dynamisme de l'épargne est allé de pair avec celui de la consommation. Cette dernière est devenue le principal moteur de la croissance, car après avoir ralenti à la fin de 2001, elle n'a cessé de progresser depuis le début de l'année 2002. Certes, de nombreux facteurs plaident actuellement en faveur d'une épargne abondante. La croissance appréciable du pouvoir d'achat, notamment au quatrième trimestre 2002 en raison des baisses d'impôts, a dynamisé à la fois consommation et épargne. Évolution démographique, perspectives alarmantes sur l'équilibre du système de retraite par répartition, hausse récente du chômage... sont autant de facteurs qui alimentent l'épargne de précaution. Cependant, ces arguments, si logiques soient-ils, sont circonstanciés et fragiles. Parce que dans le passé, nous avons observé de longues périodes de déconnexion entre l'évolution des revenus et celle de l'épargne. De nombreuses interrogations portent sur la mesure même de l'épargne : un indicateur simple comme le taux d'épargne peut-il rendre compte d'un comportement de plus en plus complexe ? En effet, le schéma keynésien qui considère l'épargne comme un résidu paraît de plus en plus contestable. Les biens durables et semi-durables représentent actuellement près de 22% de la consommation. Celle-ci est donc plus flexible qu'autrefois. Par ailleurs, les placements d'épargne contractuelle prennent une place grandissante. Au Maroc, le taux d'épargne demeure encore insuffisant eu égard aux potentialités dont dispose le pays. Cette faiblesse résulte essentiellement d'un pouvoir d'achat limité et d'un gel des traitements des fonctionnaires qui, désormais, constituent une masse salariale importante. Mieux encore, le citoyen marocain ne pense pas à l'épargne mais à son endettement auprès d'une société de financement pour subvenir à ses besoins. Force est de constater que ces dernières années, les sociétés de crédit à la consommation se sont substituées logiquement à l'État pour répondre aux besoins non pas conjoncturels, mais structurels des Marocains. Comment pourra-t-on parler d'épargne pour des fonctionnaires sous-payés et contraints de se surendetter pour survivre ? Une fuite en avant qui conduit à leur faillite. Le vide laissé par l'État vis-à-vis des besoins légitimes des fonctionnaires et son incapacité à maîtriser une répartition équitable a permis aux sociétés de financement de s'engouffrer dans un créneau lucratif et juteux et aux Marocains de faire de l'épargne le dernier de leurs soucis. Ainsi, chaque année, des milliards de DH sont transférés des caisses de l'État vers des sociétés de crédit à la consommation sous forme de prélèvements mensuels opérés sur les émoluments des fonctionnaires au détriment d'une épargne sur un compte bancaire. Les sociétés de crédit à la consommation ont ainsi apporté une réponse pour permettre à des milliers de fonctionnaires de survivre par l'endettement et le surendettement. Par leurs campagnes publicitaires, elles donnent l'impression qu'elles font des oeuvres d'utilité publiques ( frais de rentrée scolaire, achat d'un mouton à l'occasion de l'Aïd El Kebir, l'achat d'une voiture bas de gamme...). Une chose est sûre: nous ne pouvons nous comparer à un pays comme la France, mais toujours est-il que des efforts doivent être déployés de la part des pouvoirs publics pour une meilleure répartition des richesses et une sensibilisation à l'épargne, facteur indéniable pour assurer le développement.