Chaque année, un certain nombre d'enseignants sont mandatés pour remplacer d'autres en arrêt de travail. Les conditions de désignation des remplaçants soulèvent des questions de transparence. À chaque rentrée scolaire, ses soucis. Les enseignants retrouvent leurs vieux démons. C'est le cas de le dire encore cette année. Il ne s'agit pas des augmentations, ni des affectations encore moins de la réforme, mais du système de remplacement temporaire des enseignants par d'autres. Si ce problème concerne une poignée d'enseignants par ville, il n'en demeure pas moins qu'il leur envenime la vie ainsi qu'aux leurs. Il s'agit en fait d'enseignants titulaires et non pas vacataires, qui sont appelés chaque année à remplacer d'autres enseignants dans d'autres établissements scolaires en cas de longue absence de ces derniers pour maladie ou autre motif. Ainsi, ces enseignants sont chargés ou mandatés par les délégations régionales du ministère de l'Education nationale pour enseigner dans des établissements autres que les leurs. L'objectif étant d'assurer la continuité des cours pour les élèves. Une noble cause, cependant elle crée bien des désagréments pour les enseignants remplaçants. En effet, ces derniers, souvent les derniers à avoir rejoint un établissement scolaire, se voient ainsi chaque année bachotés dans un établissement différent. «C'est un vrai calvaire pour moi ! Chaque année j'appréhende ce moment où je m'attends à être affecté ailleurs que dans ce collège où je travaille depuis plus de 15 ans. Mais à chaque fois, on me sort le prétexte que je suis le dernier enseignant à avoir rejoint l'établissement où j'enseigne de manière officielle», déplore cet enseignant du premier cycle dont la vie s'est transformée en enfer depuis 5 ans. En effet, depuis des années qu'il mène une vie paisible et vit tout près de son lieu de travail, il se retrouve obligé d'aller assurer des cours aux élèves d'un autre établissement à plusieurs dizaines de kilomètres de chez lui. Un vrai calvaire de ce père de famille qui doit chaque matin sortir très tôt de chez lui, traînant avec lui ses enfants pour les déposer à l'école avant de parcourir un long trajet pour aller remplacer une enseignante partie en congé de maternité. «Je vais rester tiraillé pendant 3 mois, avant de rejoindre mon établissement et reprendre une vie normale. Cela va sans dire que la déstabilisation morale que je subis impacte directement mon rendement mais aussi ma vie personnelle», s'emporte ce professeur qui a plus d'une vingtaine d'années d'expérience dont plus de 15 ans dans le même établissement. Ce remplacement se traduit également par une surcharge de l'emploi du temps pour les enseignants de la même matière dans leur établissement initial. En effet, ses collègues doivent récupérer ses classes, ce qui se traduit pour eux par des heures supplémentaires sur l'emploi du temps. Autant dire que ce n'est pas la joie ! Mais cette année est bien exceptionnelle pour lui et pour beaucoup d'autres. En effet, le motif de sa colère est que cette opération de sélection des professeurs remplaçants se fait, selon lui, de manière arbitraire et sans aucun contrôle du ministère de tutelle. «Ces remplacements sont décidés à l'échelle des délégations régionales et doivent répondre à un certain nombre de conditions notamment l'ancienneté, la proximité géographique, comme le souligne clairement une circulaire du ministère de tutelle … Mais cette année, je m'estime lésée puisque des enseignants moins anciens que moi n'ont pas été appelés à faire de remplacement et d'autres ont été mutés provisoirement dans des établissements tout près de leur zone de travail habituel», déplore une autre enseignante ayant plus de 20 ans d'ancienneté et qui refuse d'être un bouche-trou. Des profs en surnombre ? L'un des arguments avancés par les délégations régionales aux enseignants mandatés vers d'autres établissements scolaires est qu'il y a des profs en surnombre. C'est-à-dire qu'ils ont rejoint leurs établissements alors que ces derniers n'avaient pas besoin de nouveaux profs. Un argument que rejettent les enseignants concernés. En effet, comment peut-on rester en surnombre 20 ans plus tard avec tout le développement démographique que connaît le Maroc et l'augmentation du nombre des élèves par établissement ? Les enseignants en «surnombre» estiment qu'ils travaillent au même titre que les autres professeurs ayant le même nombre d'heures de cours par semaine. «Je suis en surnombre quand il s'agit de remplacer les autres ailleurs, mais à la rentrée, je me vois attribuer le même emploi du temps qu'un autre prof qui n'est pas en surnombre. Et depuis quelques années déjà je fais 24 h par semaine, comment dans ces conditions peut-on encore me dire que je suis en surnombre ?», se plaint cet autre enseignant mandaté lui à enseigner dans un établissement dans le périurbain alors qu'il est officiellement affecté à un collège en centre ville. «Autant vous dire que j'ai été choqué le premier jour de mon mandat ! Sans oublier que mes propres élèves vont être perturbés puisque mon départ implique un changement de prof pour eux, mais également un chamboulement de leur emploi du temps», insiste-t-il. Perturbation, choc, déception, indignation, humiliation, sont les maîtres mots évoqués par ces enseignants. L'un d'eux évoque le cas significatif d'un enseignant à Kénitra qui, avec 30 ans d'ancienneté dont 16 ans dans le même établissement, a été mandaté pour remplacer un autre prof. Et l'aurait très mal pris. «M. D. était cardiaque mais personne n'a prêté attention à son état de santé ni à la tristesse que lui a causée ce changement d'établissement et qu'on le déplace comme un pion. Il décédera quelques jours plus tard de complications cardiaques dans une clinique privée de la ville», se remémore tristement un enseignant d'arabe. Bien qu'une relation de cause à effet entre la nouvelle affectation et la mort de cet enseignant ne peut être établie, il est légitime de se poser la question de la qualité de l'enseignement et du moral de l'enseignant dans pareilles conditions. Quid de la pédagogie ? À l'heure où l'on parle de réforme et d'amélioration de la qualité de l'enseignement, il paraît très difficile de concevoir qu'un certain nombre de nos élèves se trouve avec deux enseignants, voire plus, pour une matière avec une différence entre les deux et d'assimiler le programme d'une année. Il est encore plus difficile de croire que le rendement et le moral des enseignants eux-mêmes ne soient pas affectés par pareille perturbation. Mais la question qui persiste est : pourquoi maintenir un système aussi décrié ?