Interviewé par Imane Bouhrara | La révélation des détails du PLF 2022 a dévoilé l'écart entre les promesses électorales, le programme gouvernemental avec comme principal orientation l'Etat sociale. Si le changement attendu ne sera pas immédiat, faudra-t-il pour autant attendre jusqu'à la fin du mandat pour voir les engagements aboutir ? L'analyse avec Mohammed Jadri, économiste et Directeur de l'Observatoire du Travail Gouvernemental. EcoActu.ma : Les ambitions se réduisent entre les promesses électorales, le programme gouvernemental et le premier PLF de ce mandat. Est-ce que l'on peut confirmer aisément qu'il y a un véritable décalage entre les intentions et les mesures concrètes contenues dans le PLF2022 ? Mohammed Jadri : A la lecture du PLF 2022 et en comparaison avec les promesses électorales et le programme gouvernemental 2021-2026, nous constatons un véritable décalage. Déjà, il y a une forte domination des promesses du RNI et une quasi absence des promesses du PAM et PI, puisque nous nous ne retrouvons ni l'intégration des enseignants contractuels, ni le plafonnement des prix des produits pétroliers. Ainsi que des contradictions flagrantes pour le taux de croissance. Si le programme électoral du RNI parle de 4.4% en 2022, le programme gouvernemental parle plutôt de 4%, pire encore, le PLF 2022 table sur seulement 3.2%. Par ailleurs, l'emploi de 250.000 personnes via des contrats provisoires auprès des associations et des coopératives en collaborations avec les communes territoriales constitue une vraie forme de précarité à la fois pour les jeunes et aussi pour les associations et coopératives qui ont besoin plutôt de jeunes compétents... Sincèrement, tout le monde a salué l'ambition d'Etat social sur laquelle a insisté le chef de gouvernement dans la déclaration devant les deux chambres. Mais concrètement, le PLF2022 contient-il des mesures ou une ébauche de mesures vers l'instauration de cet Etat social ? Sa Majesté le Roi Mohamed VI a insisté à plusieurs reprises sur l'Etat Social, ainsi, les outputs du NMD parlent concrètement d'un Maroc prospère, d'un Maroc des compétences et d'un Maroc inclusif et solidaire. Certes, le chef de gouvernement a déclaré devant les deux chambres que son gouvernement va continuer le grand chantier de couverture sociale pour toutes les marocaines et marocains. Par contre, tous les autres points à caractère social, nous ne les voyons pas dans le PLF 2022 tels que, l'instauration d'une carte de santé intelligente pour couvrir la prise en charge de quelques soins médicaux, analyses médicales et médicaments, ou encore la pension pour les retraités de plus de 65 ans, les écoles communautaires... Pour être également objectif, toutes les mesures nécessaires pour concrétiser le choix de changement exprimé lors des élections du 8 septembre, nécessitent-elles des ressources financières ? A contrario, quelles décisions à portée sociale peuvent dès à présent être prises sans forcément peser sur les ressources de l'Etat ? Effectivement, le changement souhaité nécessite des ressources financières colossales, il suffit de savoir que le chantier de couverture sociale par exemple nécessitera plus de 50 milliards de dirhams par an. En revanche, nous pensons que la finalisation du registre social unifié est devenue une évidence pour avoir une cartographie réelle des classes sociales des Marocains, ainsi, qu'une réforme pour revaloriser l'école publique vers une école de qualité et gratuite pour les classes sociales pauvres et moyennes. Faudra-t-il attendre de voir le contenu du pacte national de développement pour voir réellement les prémices de changement du modèle de développement du Maroc ? Nous avons déjà perdu presque 2 ans à cause de la crise sanitaire, nous pensons qu'il faut accélérer la vitesse pour relancer l'économie. Le PLF 2022 prévoit une enveloppe de 245 milliards de dirhams pour l'investissement, du jamais vu au Maroc, par contre, nous attirons l'attention du gouvernement sur la nécessité d'injecter ces fonds dans des investissements de grande valeur ajoutée, aussi de faire un suivi régulier pour lutter contre la corruption, si non, nous mettrons en otage les générations futures pour payer les dégâts de l'endettement. Vous avez déjà publié un premier rapport sur l'action gouvernementale, la nomination des membres de l'exécutif et du programme gouvernemental et vous préparez un deuxième rapport sur le PLF2022. Quelles en seraient les grandes lignes ? Effectivement, nous avons lancé au sein de l'Observatoire du Travail Gouvernemental ''OTRAGO'' notre 1er rapport sur le nouveau gouvernement et son programme pour 2021-2026. Ce rapport vise à fournir un suivi objectif sur la nature de la formation du gouvernement, sa structure humaine et politique, en plus de son programme de gouvernement, loin de toute position ou alignement politique spécifique. Ce rapport constitue une contribution civile sérieuse au développement de la pratique démocratique dans notre pays, à la consolidation de ses mécanismes et de ses accumulations positives, et à la stimulation des énergies et des cadres sociétaux, à prêter une attention à la chose publique, à s'engager dans la vie politique, et à contribuer efficacement à répondre et à suggérer diverses politiques publiques. Ce rapport était basé sur une approche participative, qui a réuni un groupe de cadres et d'observateurs des affaires gouvernementales et politiques, à travers des discussions et des séances de travail approfondies, dont les conclusions ont constitué les thèmes et observations les plus importants, qui sont inclus dans le rapport. Dans le même sens, nous sommes en train de travailler sur notre 2ème rapport sur le PLF 2022, qui aura pour objectifs de dévoiler les points positifs et alerter notre gouvernement sur quelques points de défaillances, tels que le taux de croissance, les agrégats macro-économiques, l'endettement public, l'employabilité des jeunes défavorisés, les reformes de la caisse de compensation, de la retraite et de la fiscalité...