Ecrit par Soubha Es-siari | Le Maroc n'a pas encore procédé à l'échange automatique de renseignements sur les comptes financiers. Et contrairement à ce qui était prévu, l'Administration fiscale ne sera pas prête pour 2021. La sortie du Maroc de la liste grise de l'UE et le fait qu'il soit sous surveillance pour sortir de la liste grise du GAFI nous rappelle une autre norme de transparence qui se veut d'une importance cruciale pour l'économie marocaine de plus en plus ouverte sur l'économie mondiale. Il s'agit tout simplement de déclaration pays par pays, internationalement connue par BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), instituée par la Loi de Finances 2020 pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2021. Elle donne lieu à des échanges d'informations à des fins fiscales. A ce titre, il est utile de rappeler que dans un contexte de mondialisation féroce, les contribuables peuvent juguler avec les obligations fiscales pour échapper aux juridictions de leurs résidences et du coup fuir le paiement des impôts dus. Cette situation se traduit par un manque à gagner pour les pays concernés. Une telle tendance a pris de l'ampleur ces dernières années à telle enseigne que les montants d'impôts à payer dérobés résultant de l'absence de déclarations relatives aux actifs à l'étranger et aux flux financiers correspondants ne font que s'intensifier. Cette fraude fiscale qui revêt un caractère international affectant le système économique dans ses multiples facettes ne cesse de se propager et faire des ravages essentiellement dans les économies en développement. Pour contrecarrer à ce type de fraude fiscale, les Etats-Unis ont adopté en 2010 la Fatca (Foreign Account Tax Compliant Act). Ils l'on mise en application à partir de 2014. En vue de garantir la conformité fiscale des comptes étrangers, les établissements bancaires et financiers sont ainsi soumis à l'obligation de déclarer aux autorités fiscales américaines toutes les opérations financières domiciliées à un compte bancaire détenu par un citoyen ou résident américain. Mieux encore et pour contrecarrer ce fléau à l'échelle internationale, les pays de l'OCDE sont appelés à suivre parallèlement la même approche en adoptant des dispositifs spécifiques visant l'amélioration de la transparence financière et l'échange de renseignements à des fins fiscales. En Europe à titre d'exemple, les efforts entrepris dans ce sens devraient œuvrer progressivement pour l'harmonisation du système d'échange de renseignement en adoptant la norme commune de déclaration et ce pour plus d'efficacité voire même une réduction de coûts. Lire également : Conventions fiscales internationales : en attendant la circulaire ! Quid du Maroc ? A l'instar de nombreux pays en développement, le Maroc a marqué son intérêt dès 2013 pour l'adhésion au système d'échange automatique de renseignements sur les avoirs détenus à l'étranger en rejoignant la convention multilatérale sur l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale. Toutefois avant d'adhérer aux obligations légales en la matière, le Maroc est appelé à procéder à la régularisation de la situation fiscale des contribuables détenteurs d'actifs à l'étranger. C'est dans ce sillage que s'inscrivent les deux opérations relatives à la contribution libératoire en tant que mesures d'accompagnement et qui marquent le passage, comme annoncé à plusieurs reprises par Mohamed Benchaâboun, à une nouvelle ère de confiance avec l'Administration. En 2014, le Maroc avait procédé à une première opération d'amnistie fixant une contribution libératoire aux avoirs domiciliés à l'étranger. Cette opération a permis le rapatriement d'un patrimoine évalué à 28 Mds de DH et a rapporté à l'Etat des recettes de l'ordre de 2,3 Mds de DH. Six ans plus tard, dans le cadre de la Loi de Finances 2020, une nouvelle opération d'amnistie a été programmée. Elle a été même reprise dans la Loi de Finances rectificative 2020 en pleine pandémie fixant le dernier délai de conformité au 31 décembre 2020. Comme annoncé par l'Office des changes, les déclarations ont porté sur un montant total s'élevant à près de 6 Mds de DH (5,93 Mds de DH), pour 1.959 déclarations effectuées. Le montant des recettes issues de la contribution libératoire, en faveur du Trésor, s'élève à 528,6 MDH (vs 2,3 Mds de DH lors de l'opération de 2014). Les avoirs à l'étranger déclarés après la première opération sont constitués à hauteur de 46% des actifs financiers, de 33% des biens immobiliers et de 21% d'avoirs liquides. Dans un contexte marqué par une profonde crise sanitaire, les recettes générées par la seconde opération demeurent de loin inférieures à celles générées par la première. Et pourtant à l'occasion de la présentation de la Loi de Finances 2020, le ministre de l'Economie et des Finances Mohammed Benchaâboun avait clamé haut et fort que cette contribution libératoire se veut une dernière chance pour ceux souhaitant se conformer au risque d'être dénoncés par l'échange de données avec les pays de l'OCDE. Parce qu'à défaut de déclaration ou en cas de déclaration incomplète, l'administration informe le contribuable par lettre, de l'application d'une amende de 500.000 DH, telle que prévue dans la LF2020. Mais en l'absence de visibilité et en dépit des mesures incitatives, nombreux sont les contribuables n'ayant pas mordu à l'hameçon en cette période de crise. Le ministre avait même annoncé que des circulaires seraient publiées d'ici la fin de l'année 2020 et de nouvelles règles seraient élaborées pour permettre la détention des comptes en devises auprès des banques marocaines tout en bénéficiant des mêmes facilités. Des mesures de transition seront ainsi instaurées pour assurer la conformité. Interrogé sur l'état d'avancement du chantier de mise en conformité du Maroc avec les pays de l'OCDE, une source proche du dossier nous informe que le Maroc a demandé à l'OCDE de reporter l'échange de données en ce qui le concerne à 2022. Et pour cause la crise sanitaire n'a pas permis aux différents partenaires d'avancer correctement et au même rythme sur le projet nécessitant la mise en place d'une véritable logistique. Interpellé également sur la disponibilité des acteurs financiers à fournir les informations financières sur les contribuables, notre source explique : « Il s'agit d'un projet sur lequel travaillent beaucoup de partenaires et dont l'Administration fiscale n'est que l'interface. Il faut non seulement être prêts pour communiquer, mais s'enquérir de la nature de l'information à communiquer, du temps de communication… ». Encore faut-il qu'il y ait une interopérabilité entre les différents systèmes et que celui de l'Administration fiscale soit prêt à absorber toutes ces informations. Il faut dire que la mise en œuvre de la déclaration pays par pays est un travail titanesque tributaire de la complexité de collecte de données et ce bien que des outils soient mis en place par l'OCDE pour aider les entreprises à renseigner cette déclaration. Autrement dit la question si le Maroc est bien outillé pour mener à bon port ce chantier se pose avec acuité. L'enjeu des opérations relatives à la contribution libératoire dénote de l'impératif de l'institution des dispositions légales nécessaires à la mise en application effective des termes de la convention bilatérale relative à l'échange de données en vue de limiter la fraude fiscale, le trafic de flux financiers illicites et surtout renflouer les caisses de l'Etat dans un contexte où les besoins sont croissants et la ressource financière se fait de plus en plus rare. En attendant, le retard accusé dans la mise en œuvre des dispositifs légaux, la ratification des conventions bilatérales et l'application effective des accords conclus à ce sujet, des sommes exorbitantes passent à travers les mailles du filet de la réglementation de change.