Réduire l'écart entre compétences numériques et marché du travail : pourquoi le Maroc ne peut y échapper ? est l'intitulé d'un rapport qui établit un diagnostic sans fard des limites qui empêchent le Maroc de tirer pleinement profit de l'économie numérique. Détails. D'aucuns reconnaîtront que la pandémie de la Covid-19 et le confinement qu'elle a imposé ont opéré une véritable prise de conscience de l'importance du digital et des technologies numériques devenus essentiels pour la bonne marche du pays. Mais la révolution numérique ne se décrète pas et la disruption ne se fera pas en un claquement de doigts. En effet, la pandémie a également dévoilé les freins et lacunes qui empêchent l'émergence d'une véritable économie numérique qui profite de la data, qui profite à la jeunesse et à la compétitivité de l'économie. Ces freins ont été minutieusement scrutés dans un rapport (Digital Talent Review) réalisé par les sociétés de conseil en stratégie Guepard et ThinkONE, avec le soutien de Huawei Technologies, qui jette les ponts entre les métiers de demain et les compétences de demain en analysant le fossé actuel entre les compétences numériques et le monde du travail et qui pénalise les ambitions numériques du Royaume. « Il s'agit de la première étude au Maroc sur la demande et l'offre actuelles de talents numériques. L'étude démontre que le Maroc peut bénéficier des opportunités émergentes de l'économie numérique mais doit améliorer sa sensibilisation aux TIC à travers le développement et la formation de talents numériques », explique Professeur Li Ming, Directeur de l'UNESCO-ICHEI et qui a préfacé le rapport. Suivant une méthodologie inspirée des meilleures pratiques internationales, l'étude a permis aux auteurs de mettre en évidence des faits, des chiffres et des données solides sur ce qui est considéré comme un défi majeur à relever par le Royaume. Interpellé par nos soins sur les freins majeurs identifiés par le rapport, Abdelmalek Alaoui, Guepard, estime qu'il est très opportun de rappeler que la révolution numérique est déjà présente et autour de nous et la preuve est nous sommes en train de faire un lancement virtuel. « A mon avis, il y a trois freins majeurs sur cette trajectoire marocaine. Premièrement lorsqu'on pose la question aux décideurs publics, on se rend compte que l'ensemble des initiatives est disponible mais il y a un déficit de convergence. Il y a besoin de mettre en place un dispositif qui fasse converger l'ensemble des initiatives qui existent dans le monde public et aussi de transversalité de ces initiatives parce que le numérique ne peut pas être porté uniquement par un département ministériel ou par une agence. C'est l'ensemble de l'Exécutif qui doit se mettre dans une attitude de digital. Ça passe d'abord par un mindset digital pour les fonctionnaires, on a eu à cet égard des échanges avec les personnes en charge de la formation des cadres et hauts fonctionnaires ». Le deuxième frein c'est l'ambition. On parle beaucoup du numérique mais il manque un cap qui soit suffisamment clair et suffisamment articulé qui aille au-delà des caps d'exécution qui sont fixés à l'ADD avec Maroc Numérique 2025. Il y a besoin de transformer la société dans son ensemble dans ce domaine-là et c'est l'Etat qui doit donner l'impulsion première, estime A. Alaoui. Le troisième élément évoqué est la taille des acteurs. « Au Maroc, comme ce fut le cas pour les secteurs de l'assurance, des finances et du bâtiment, nous avons besoin de champions nationaux de taille suffisante qui sont capables de faire un leapfrog en matière de management pour rejoindre cette fameuse horizontalité et il faut une véritable révolution au sein de l'entreprise et un mouvement de consolidation. Nous avons au Maroc des entreprises actives dans le domaine numérique mais il faut que l'Etat, par le biais d'instruments fiscaux, réglementaire, par de l'incentive, par un accès plus simplifier au capital, puisse permettre un mouvement de consolidation de l'ensemble de ces entreprises », précise le patron de Guepard. De manière stratégique l'une des recommandations du rapport est la nécessité de la mise en place d'un conseil numérique au Maroc qui soit sous la forme de PPP afin que ces communautés qui composent l'écosystème se parlent dans un environnement qui soit normé et qui soit récurrent. « Il y a de tels changements dans le monde du numérique que l'on ne peut pas se permettre de tenir des assises une fois par an. Il y a besoin d'une agora, d'un espace qui permette aussi bien aux décideurs du secteur public que du secteur privé ainsi que les académies de se réunir de manière fréquente pour assurer un meilleur pilotage et suivi des différents indicateurs et si besoin il y a de rectifier le tir », ajoute Abdelmalek Alaoui. Talents numériques, talon d'Achille Le rapport qui vient d'être publié a le mérite d'avoir élargi le spectre d'analyse et s'est minutieusement attardé sur différents aspects aussi bien horizontaux que verticaux de cette révolution numérique dans laquelle s'est inscrit le royaume depuis plus d'une décennie. Ainsi, pendant plus de quatre mois, une équipe de 10 personnes a mené 30 entretiens de haut niveau, interrogé plus de 600 personnes clés, examiné les rapports internationaux pertinents et organisé une séance de réflexion avec la plupart des parties prenantes engagées dans la transformation numérique du Maroc, afin d'élaborer ce document d'orientation le plus à ce jour avec des données scientifiques vérifiées et étayées. Et l'un des éléments qui retient l'attention, hormis l'absence d'une vision globale de la transformation digitale, est le manque de profils numériques exacerbé par les disparités territoriales malgré toutes les initiatives existantes aussi bien au niveau du secteur public que du secteur privé. Or, la ressource humaine est un facteur crucial dans toute stratégie, de surcroît lorsqu'il est disputé par d'autres pays (fuite des cerveaux). D'ailleurs le rapport souligne que le fait de disposer d'une stratégie claire et structurée en matière de compétences digitales aiderait le Maroc à atteindre les objectifs fixés dans son plan numérique 2025. Il faut signaler tout de même que cette pénurie n'est pas propre au Maroc. La région MENA connaît une pénurie de capital humain numérique, marquée par des lacunes en matière de compétences et d'information. Par exemple, dans son étude « Future of Work » de 2017, McKinsey a constaté que dans toute la région, seulement 1,7 % de la main-d'œuvre est constituée de talents numériques. Dans sa dernière enquête sur les compétences pour 2017, l'organisation Bayt/YouGov a révélé que les emplois dans le secteur des technologies de l'information figurent parmi les plus importants postes disponibles, ce qui témoigne d'une grave pénurie de talents et de compétences dans la région. D'où l'intérêt du rapport réalisé par Guepard et ThinkONE, avec le soutien de Huawei Technologies puisqu'en examinant l'éducation et la formation, il s'avère que la plupart des compétences acquises par la main-d'œuvre sont acquises par le biais de certifications professionnelles (60 %), suivies par l'apprentissage sur le lieu de travail (52 %) et l'autoformation (49 %). Au-delà de la réforme de l'éducation, les diplômes doivent donc être reconsidérés de manière globale et la transition entre l'école et le travail doit être plus naturelle et flexible. À cet effet, il a été élaboré un outil unique : « The Digital Job Matrix », permettant de disposer d'une analyse complète du spectre des compétences numériques au Maroc. La comparaison des écarts entre les besoins de l'industrie, incarnés par les talents, les responsables des ressources humaines, et l'offre universitaire a ainsi permis de rassembler les zones de décalage entre ces 3 acteurs. 80 programmes identifiés avec 500 cours liés au numérique ont été confrontés aux besoins de l'industrie en matière de compétences numériques issus de l'étude. Chaque catégorie des TIC est mise en évidence avec les exigences de l'ensemble des compétences critiques ainsi que des rôles similaires compatibles avec les emplois numériques, se terminant par l'aperçu de l'industrie et de l'emploi au Maroc et dans la région. L'analyse de la matrice des compétences a montré des disparités substantielles entre les taux de couverture des compétences numériques techniques par les institutions universitaires. Ainsi, sur les 18 compétences numériques techniques analysées, 4 d'entre elles concentrent plus de 50% de l'offre numérique du secteur académique. Un déséquilibre de l'offre de formation qui saute aux yeux. D'ailleurs, selon les professionnels des TIC, les compétences les plus utilisées en matière de TIC sont acquises en dehors des programmes d'enseignement, par des certifications professionnelles. Ainsi, cette matrice des emplois numériques est l'outil proposé pour élaborer des recommandations clés à l'intention des pouvoirs publics marocains concernés par les programmes de développement des talents digitaux. Une sorte d'outil d'aide à la décision et pilotage pour créer un véritable vivier de compétences qui couvre les besoins réels d'une économie numérique qui aspire devenir compétitive (Intelligence artificielle, objets connectés, Cloud computing, ingénierie RF des télécommunications, architecture de solutions de télécommunications, RAN 5G...). Bien évidemment, le traitement fait ici du rapport est loin d'être exhaustif puisque sur 140 pages d'autres freins sont décortiqués avec données chiffrées à l'appui. De même qu'il passe à la loupe les différents programmes et initiatives lancés par un écosystème qui demeure vulnérable. Les actions qui s'imposent Au fil des thématiques traitées par le rapport Digital Talent Review, il ressort deux voies possibles d'actions : des mesures facilement et rapidement à mettre à exécution et une série de mesures qui implique un dialogue plus approfondi impliquant en premier lieu les pouvoirs publics pour une action concertée et donc plus efficiente. Dans la première catégorie d'actions, il y a lieu de citer entre autres la reconnaissance des qualifications, des certifications ou des accréditations pour permettre l'intégration de profils non traditionnels ainsi que de favoriser et encourager l'apprentissage en ligne et l'autoformation dans la mesure du possible. Et ce en attendant que le système éducatif développe et systématise un modèle de « Digital Factory » en partenariat avec le secteur privé. Il est par ailleurs recommandé d'établir une coopération étroite entre l'industrie, le monde universitaire et l'Etat (Industry-Academia-Government), avec des programmes spécifiques de développement des talents professionnels afin de requalifier et d'améliorer les compétences des salariés. Dans ce sillage, les pouvoirs publics sont invités à considérer sérieusement la nécessite de créer un « conseil consultatif » pour mener la réflexion et la formation sur l'utilisation éthique de l'Intelligence Artificielle (IA) à travers un cadre clair permettant le développement et le déploiement responsable de l'IA. De même qu'il est urgent d'établir un « cadre stratégique national de l'Intelligence Artificielle » pour identifier et définir les principaux secteurs en croissance à moyen et long terme, afin de déterminer lesquels pourront atteindre la rentabilité et la pérennité. Sur le moyen terme, il est suggéré que la stratégie à poursuivre par le Maroc consiste à donner plus de sens, à intégrer et à cibler plus efficacement les initiatives existantes, qui souffrent d'un déficit de convergence et d'une fragmentation structurelle qui les entravent dans l'expression de leur plein potentiel. Le Maroc est appelé à adopter une réponse coordonnée à la formulation et à la mise en œuvre des politiques publiques pour garantir le succès du passage vers le monde numérique. L'une des clés du succès d'une stratégie de transformation numérique et de sa mise en œuvre est donc l'engagement des parties prenantes dès les premières étapes de l'élaboration de la stratégie et de la politique publique y afférent souligne-t-on. Le rapport souligne l'importance d'avoir une initiative en matière de compétences numériques à un niveau stratégique pour pousser les principaux acteurs à collaborer avec l'Etat afin de mener à bien un plan massif de mise à disposition de compétences numériques. En outre, les stratégies en matière de développement de compétences numériques doivent être régulièrement mises à jour pour répondre à l'émergence de nouvelles technologies et à leur impact sur l'économie et la société. 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