Le drame qui a frappé le Maroc cette semaine avec le viol et l'assassinant d'un enfant âgé de onze ans dans la ville du Détroit a soulevé, au-delà de la douleur et de l'horreur de cet acte criminel qui a endeuillé tout le pays, un débat assez musclé dans les réseaux sociaux sur l'application ou non de la peine capitale à l'encontre des auteurs de pédophilie. Les réseaux sociaux, et particulièrement Facebook, sont devenus à l'occasion un tribunal populaire dont une grande majorité revendique la peine de mort à l'encontre du coupable, « présumé », dans l'attente que la justice rende son jugement définitif. Pour certains, il faut aller même au-delà de la peine de mort avec l'application des plus sévères des châtiments comme la lapidation, la castration chimique ou l'émasculation voire même la torture et le viol avant l'exécution du coupable. D'un autre côté, une minorité s'est manifestée contre la peine de mort. Toutefois, elle appelle à la condamnation la plus sévère du criminel par la Justice, c'est-à-dire la perpétuité sans droit de bénéficier d'une réduction de peine ou d'une clémence. A ce niveau, il y a deux volets, d'une part, cette catégorie considère que la peine de mort est non dissuasive et que la condamnation à la perpétuité est plus sévère pour l'auteur du crime qui passera toute sa vie derrière les barreaux. D'autre part, les défenseurs de cette thèse s'appuient sur les référents du droit à l'intégrité physique. Par ailleurs, un Sondage d'opinion effectué en ligne dans le groupe Conscience Citoyenne « pour ou contre la peine de mort » a révélé en moins de 24 heures une tendance majoritaire en faveur de l'application de la peine de mort : Ainsi, à la question : « Avec ces circonstances terribles et atroces. Pour ou contre la peine de Mort pour les pédophiles qui assassinent leurs victimes ? ». Les votes se sont déclinés comme suit : * Pour la peine de mort : 473 voix * La perpétuité pour l'assassin sans le droit à aucune clémence : 112 voix * Contre la peine de mort : 27 voix Cette tragédie qui afflige à jamais les cœurs des proches et parents des victimes qui la subissent, met l'accent sur une problématique qui porte sur deux axes distincts que nous allons essayer d'analyser. D'une part, le phénomène de la pédophilie qui prend des dimensions énormes de par le monde, avec des prédateurs qui s'attaquent à des enfants en recourant à tous les moyens. Et d'autre part, quel type de sanction est recommandé pour combattre ce mal et dissuader tous ceux qui le pratiquent. La pédophilie : un phénomène mondial sans frontières La pédophilie est un crime qui prend une allure mondiale et ne concerne pas un pays plus qu'un autre, qu'il soit développé, émergent, en voie de développement ou même sous-développé. C'est un crime qui infiltre toutes les classes sociales, riches, pauvres et moyennes et ne concerne pas une croyance plus qu'une autre puisque ceux qui le perpètrent sont autant religieux, croyants, agnostiques, athées. In fine, ce sont seulement des criminels avec des vices refoulés qui s'attaquent à moins fort qu'eux. Des enfants, qu'ils obligent à subir cet acte immonde, en recourant à la violence physique après l'enlèvement dans la rue par un criminel qui peut-être un voisin de quartier à l'apparence « normale » ou un délinquant qui rôde autour des quartiers et des écoles. Pis, la pédophilie guette les enfants au sein même du foyer familial avec l'inceste pratiqué par des parents immondes sur leurs enfants ou leurs neveux et nièces et dans la littérature même leurs petits-enfants. Il y a aussi l'usage d'une autorité morale comme le cas de certains prêtres dans les églises ou de certains « fqihs » dans les « Msids », ou de certains entraîneurs sur leurs élèves. Aujourd'hui, à l'ère des réseaux sociaux, le crime évolue en cybercriminalité organisée, avec des criminels tapis derrière leurs écrans pour « chasser » leurs proies. Si les origines de la pédophilie sont multiples, l'horreur affligée aux enfants reste la même, bien que les conséquences puissent être différentes mais toutes aussi lourdes. D'un côté, il y a le cas de l'inceste qui devient parfois un « secret de famille » et dont les enfants portent les séquelles toutes leurs vies sur le plan psychologique, et qui peuvent pour certains le reproduire une fois adultes, le cacher ou le dénoncer. Le même schéma se produit lorsque des personnes qui ont une autorité morale abusent des enfants. Les témoignages de certaines personnes célèbres ont mis à jour dans les médias les horreurs qu'ils ont subies enfant, levant ainsi le voile sur l'ampleur du phénomène. D'un autre côté, il y a les enfants victimes de la pédophilie après leurs enlèvements par des voisins ou des délinquants comme le cas du regretté Adnane qui a subi les affres du viol et de l'assassinat. Le même crime s'était passé avec le criminel de Taroudant qui avait enlevé, violé et tué plusieurs enfants il y a quelques années. Comment combattre ce maudit phénomène qui frappe partout dans le monde ? Faut-il instaurer des sanctions très sévères qui comportent en sus de la prison pour une longue période, une castration chimique des coupables ? De nos jours, même si tous les pays du monde ont élaboré différents types de sanctions, ces dernières restent malheureusement non dissuasives. Que dit la loi marocaine à propos de ces crimes relatifs aux agressions sexuelles sur mineurs? Il faut souligner tout d'abord que le terme de « Viol » signifie selon l'article 486 du Code pénal marocain « l'acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci », la punition est la réclusion de cinq à dix ans selon ledit article. Le même article dispose que : « si le viol a été commis sur la personne d'une mineure de moins de dix-huit ans, d'une incapable, d'une handicapée, d'une personne connue par ses facultés mentales faibles, ou d'une femme enceinte, la peine est la réclusion de dix à vingt ans [1]. » L'article 484, modifié et complété par la loi n°24.03, quant à lui évoque le cas de l'agression sexuelle signifiée par « l'attentat à la pudeur » consommé ou tenté sans violence sur l'un ou l'autre sexe en annonçant : « Est puni de l'emprisonnement de deux à cinq ans, tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violence, sur la personne d'un mineur de moins de dix-huit ans, d'un incapable, d'un handicapé ou d'une personne connue pour ses capacités mentales faibles, de l'un ou de l'autre sexe.»[2]. L'article 485, modifié et complété par la loi n°24.03, quant à lui évoque le cas de l'agression sexuelle toujours signifiée par « l'attentat à la pudeur » mais cette fois consommée ou tentée avec violence sur l'un ou l'autre sexe. Dans son alinéa 2, il renvoie à l'attentat sur les mineurs de moins de 18 ans : « Toutefois si le crime a été commis sur la personne d'un enfant de moins de dix-huit ans, d'un incapable, d'un handicapé, ou sur une personne connue pour ses capacités mentales faibles, le coupable est puni de la réclusion de dix à vingt ans ». L'article 487 dénomme plusieurs catégories de coupables dont celui des ascendants de la victime (le cas de l'inceste), ou bien « s'ils sont de ceux qui ont autorité sur elle, s'ils sont ses tuteurs ou ses serviteurs à gages, ou les serviteurs à gages des personnes ci-dessus désignées, s'ils sont fonctionnaires ou ministres d'un culte, ou si le coupable quel qu'il soit, a été aidé dans son attentat par une ou plusieurs personnes », la réclusion peut aller de cinq à trente ans selon les cas prévus. Sur un autre registre relatif à l'exploitation des enfants de moins de dix-huit ans dans la pornographie, le législateur marocain a prévu plusieurs sanctions pour ce fléau, notamment dans l'article 503 – 2 du code pénal qui stipule que : « Quiconque provoque, incite ou facilite l'exploitation d'enfants de moins de dix-huit ans dans la pornographie par toute représentation, par quelque moyen que ce soit, d'un acte sexuel réel, simulé ou perçu ou toute représentation des organes sexuels d'un enfant à des fins de nature sexuelle, est puni de l'emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de dix mille à un million de dirhams. La même peine est applicable à quiconque produit, diffuse, publie, importe, exporte, expose, vend ou détient des matières pornographiques similaires. Ces actes sont punis même si leurs éléments sont commis en dehors du Royaume. La peine prévue au premier alinéa du présent article est portée au double lorsque l'auteur est l'un des ascendants de l'enfant, une personne chargée de sa protection ou ayant autorité sur lui. La même peine est applicable aux tentatives de ces actes. Le jugement de condamnation ordonne la confiscation et la destruction des matières pornographiques. Le tribunal peut ordonner la publication ou l'affichage du jugement. En outre, le jugement peut ordonner, le cas échéant, le retrait de la licence dont le condamné est bénéficiaire. Il peut, également, prononcer la fermeture temporaire ou définitive des locaux ». L'arsenal juridique marocain en matière pénale dans les cas de la pédophilie en plus des conventions ratifiées par le Maroc pour la protection des enfants, doit être consolidé davantage par des sanctions encore plus dissuasives pour combattre ce mal qui ronge la société. Par ailleurs, le Code pénal marocain consacre dans sa Section IV plusieurs articles à propos de l'enlèvement et de la non-représentation des mineurs. A ce titre, puisque plusieurs cas d'agressions sexuelles sur les mineurs sont consommés ou tentés suite à leur enlèvement, les coupables tombent ainsi sous la coupole de la loi pour un autre crime. En effet, l'article 471 du CP précise que : « Quiconque par violences, menaces ou fraude, enlève ou fait enlever un mineur de moins de dix-huit ans ou l'entraîne, détourne ou déplace, ou le fait entraîner, détourner ou déplacer des lieux où il était mis par ceux à l'autorité ou à la direction desquels il était soumis ou confié, est puni de la réclusion de cinq à dix ans.». Aussi, l'article 472 stipule-t-il que : « Si le mineur ainsi enlevé ou détourné est âgé de moins de douze ans, la peine est la réclusion de dix à vingt ans. Toutefois, si le mineur est retrouvé vivant avant qu'ait été rendu le jugement de condamnation, la peine est la réclusion de cinq à dix ans. ». Dans l'article 473, la peine est la réclusion perpétuelle si le coupable se fait payer ou a eu pour but de se faire payer une rançon par les personnes sous l'autorité ou la surveillance desquelles le mineur était placé, quel que soit l'âge du mineur, et si le mineur est retrouvé vivant avant qu'ait été rendu le jugement de condamnation, la peine de réclusion est de dix à vingt ans. Enfin l'article 474 qui est très explicite, s'il y a la mort du mineur : « Dans les cas prévus aux articles 471 à 473, l'enlèvement est puni de mort s'il a été suivi de la mort du mineur. », c'est la peine capitale qui est prononcée dans ce cas-là. La loi marocaine est assez limpide dans ce cas. Toutefois, sur le plan de l'exécution d'une peine capitale, il y a un moratoire depuis l'affaire Tabet dans les années 1990, bien que les tribunaux continuent à prononcer la peine capitale à l'encontre de plusieurs coupables dont des pédophiles qui ont assassiné leurs victimes (le cas de Taroudant). En dehors des sanctions, il est impératif que l'Etat et la société conjuguent leurs efforts par la mise en place des programmes préventifs pour combattre cette horreur, au niveau des écoles, des médias, des associations... etc. A ce niveau, il faut prévoir des mécanismes au niveau juridique et sécuritaire, comme le registre national des délinquants sexuels au Canada qui contient les données sur lesdits délinquants (nom et prénom, date de naissance, adresses, photographie, signes distinctifs). Ainsi chaque délinquant doit se présenter en personne au bureau d'inscription desservant le secteur où il réside, dans les onze mois ou un an après la date sa dernière visite, et ce pendant 10 ans, 20 ans ou même à perpétuité si le crime pour lequel il a été reconnu coupable est passible d'une peine maximale d'emprisonnement. Le délinquant doit aussi se présenter au bureau d'inscription desservant le secteur où il réside dans les 7 jours pour tout changement de nom ou d'adresse. Par ailleurs, il faut intensifier la sensibilisation au niveau des écoles à travers des campagnes de vulgarisation régulière tout au long de l'année. Les Médias doivent aussi s'impliquer dans ces campagnes pour sensibiliser toute la population à ce danger qui guette les enfants. Il faut également penser, en amont, à un système d'alerte à travers les réseaux sociaux, les téléphones portables et les télévisions, qui prévient la population à chaque fois qu'il y a disparition d'un enfant, et diffuse les photos des victimes et des présumés coupables s'ils ont été identifiés par les voisins ou par des caméras de surveillance. Il faut aussi des programmes d'accompagnement psychologiques des victimes et des parents pour qu'ils puissent continuer leurs vies « normalement » malgré le malheur qui les a frappé. Quid de la peine capitale dans le monde ? Gilles Lebreton, docteur en droit et en philosophie, auteur d'un livre référence intitulé « Libertés publiques et droits de l'homme », considère dans sa partie consacrée au « droit à l'intégrité physique », spécialement aux atteintes légales à l'intégrité physique, que les deux conceptions qui acceptent ou non la peine de mort sont parfaitement respectables, et qu'il « ne saurait être question de trancher péremptoirement entre elles. Il appartient à chaque société de choisir celle qui lui convient, et à chaque centre de décision politique de respecter son choix »[3]. Pour Lebreton, la France a aboli la peine de mort par la loi du 9 octobre 1981, car le législateur ne pensait plus qu'elle était acceptable. Dans la même lignée, elle a ratifié en 1986 le protocole n°6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, qui abolit lui aussi la peine de mort, sauf pour les actes commis en temps de guerre. L'auteur considère qu'au-delà du droit à l'intégrité physique, c'est une conception particulièrement stricte du droit à la vie qui pousse vers ce choix. Ainsi, c'est une pensée profondément humaniste, qui sacralise la vie humaine en prenant part consciemment ou non, au jusnaturalisme (droit naturel). D'un autre côté, pour les pays qui appliquent la peine de mort, comme les Etats-Unis, cette peine n'est pas considérée barbare en soi. C'est l'usage immodéré qu'on pourrait en faire qui serait barbare. La peine de mort est par conséquent acceptable à condition d'être réservée, conformément à l'article 6 du pacte onusien de 1966 relatif aux droits civils et politiques, « aux crimes les plus graves ». Le débat demeure pleinement posé. Par Ali Lahrichi, Docteur en Droit public [1] Article modifié par l'article deux de la loi n° 24-03 modifiant et complétant le code pénal. [2] – Ibid. [3] Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droit de l'homme, Ed Armand Colin, Paris, 1999, pp.283-284, p.521