Quel rôle des caisses de sécurité sociale en soutien contracyclique de la demande ? Comment peuvent-elles soutenir l'offre et les entreprises ou encore l'activité de manière générale ? Finactu a publié une deuxième étude sur l'impact du Covid-19 sur les pays africains et sur le rôle que peuvent jouer, entre autres institutions, les caisses de sécurité sociale pendant et post-pandémie. Depuis le déclenchement de la pandémie du Covid-19 sur le continent africain, c'est la deuxième étude que réalise le groupe Finactu sur les effets de la pandémie sur les pays du continent et les leviers qui peuvent les atténuer. Dans cette deuxième étude donc, Finactu s'intéresse au rôle que peuvent jour les caisses de sécurité sociales, en plus de leur mission traditionnelle, rôle décliné en trois principaux axes. Les Caisses de sécurité sociale en soutien contracyclique de la demande Les pensions de retraite servies par les caisses de Sécurité sociale, parce qu'elles ne sont pas la contrepartie d'un travail immédiat et sont donc déconnectées de l'activité économique, ne sont pas affectées par la crise économique liée au Covid-19, analyse Finactu. Ces prestations sociales permettent une sauvegarde du pouvoir d'achat des assurés au niveau microéconomique mais aussi, par déversement, un soutien de la demande au niveau macroéconomique. Les caisses remplissent donc non seulement un rôle au niveau de leurs assurés mais se révèlent aussi être un formidable soutien de l'activité économique en étant un des relais les plus sûrs de l'irrigation des circuits de consommation. Dans une période de crise comme celle que nous connaissons actuellement, est-il opportun d'inciter les caisses à réfléchir à une révision à la hausse des prestations sociales ? L'étude souligne qu'une telle idée ne peut concerner que les caisses qui en ont les moyens, c'est-à-dire celles qui disposent de réserves. La situation des caisses de prévoyance sociale du continent est de ce point de vue très hétérogène, et si certaines affichent un dénuement total qui leur fait même accumuler des retards de paiement dans les prestations, nombreuses sont celles qui jouent le rôle d'investisseur institutionnel dans leur pays : la CNPS au Cameroun, la CNPS et la CGRAE en Côte d'Ivoire, la CNSS au Niger, la CNSS et la CARFO au Burkina Faso, la CNSS au Bénin, la CNSS et la CRT au Togo, la CNAMGS et la CNSS au Gabon, la CNPS au Tchad, etc. Une éventuelle revalorisation des prestations sociales ne peut concerner que les caisses qui ont profité des périodes antérieures de « vaches grasses » pour accumuler des réserves et qui peuvent ainsi, aujourd'hui, jouer un rôle contracyclique en période de « vaches maigres ». C'est d'ailleurs cette logique qui légitime, selon Finactu, la sollicitation des caisses de prévoyance sociale dans ces périodes de crise : ces institutions ont profité des années de croissance économique (plus de cotisants et des assiettes de cotisations augmentées) pour constater une augmentation des cotisations encaissées : il est normal que symétriquement elles soutiennent l'activité économique en période de ralentissement. L'étude souligne également qu'il ne s'agit pas d'envisager une revalorisation sans discernement des prestations. Car les caisses doivent avoir le souci permanent des équilibres actuariels et financiers qu'elles doivent respecter. Les équipes de FINACTU, par les très nombreuses missions d'évaluation actuarielle qu'elles conduisent partout sur le continent, conseillent en permanence les caisses dans la mise en œuvre de réformes paramétriques visant précisément à assurer l'équilibre actuariel entre les niveaux de prestations et les niveaux de cotisations. Si une revalorisation des prestations doit être décidée dans le cadre de la lutte contre les effets dépressifs du Covid-19, cela doit être fait dans le strict respect des principes d'équilibre actuariel. Plusieurs moyens s'offrent aux caisses de prévoyance sociale. Certaines pourraient procéder à une revalorisation des pensions minimales qui existent dans de nombreux pays, et qui visent à assurer un revenu minimal aux personnes ayant subi des carrières courtes marquées par des périodes de chômage ou d'inactivité liée à un handicap ou à des maternités. Dans de nombreux pays, ces pensions minimales n'ont pas été revalorisées depuis plusieurs années et ont ainsi subi l'érosion de l'inflation. Finactu estime que le moment de crise que nous vivons rend opportune une revalorisation de ces pensions, d'autant plus que la propension à dépenser immédiatement le supplément de revenu ainsi alloué aux bénéficiaires – tous modestes – est grande : l'injection dans l'économie serait donc immédiate. Dans le prolongement de l'idée précédente, lorsque la situation de la caisse le permet, une revalorisation globale des pensions pourrait être envisagée dans certains pays. C'est ce qu'a fait déjà, par exemple, à la CNPS de Côte d'Ivoire où les pensions ont été revalorisées de 5% en 2020. Les équipes de FINACTU avaient accompagné la CNPS par une étude actuarielle complète pour assurer que cette revalorisation ne dégrade pas les équilibres de l'institution. Autre solution, plutôt qu'une revalorisation des pensions de retraite, il est possible d'envisager une revalorisation temporaire des seules allocations familiales, pendant la durée de la crise. En effet, ces branches de prestations familiales sont souvent largement excédentaires en Afrique et pourraient supporter, dans de nombreux pays, un doublement des montants accordés, sur une période limitée. Par ailleurs, en dehors du montant des allocations familiales, le soutien aux ménages pourrait passer par un assouplissement des conditions d'accès à ces allocations. Une proportion élevée de mères, parfois célibataires, ne remplissent pas les conditions administratives d'accès aux allocations. Il pourrait être utile de simplifier et d'épurer ces conditions administratives en ces temps de crise. Enfin, lorsque les moyens financiers de la caisse sont limités, une prestation exceptionnelle, non permanente, pourrait être envisagée, ciblée sur les allocataires les plus modestes, afin de soutenir la consommation. Enfin, les caisses qui disposent d'une branche de l'Action sanitaire et sociale pourraient réorienter une partie de l'activité de cette dernière vers la lutte contre le Coronavirus. Les formes de cette branche varient grandement d'un pays à l'autre (quand elle existe), de même que les modalités de son action, il est toutefois manifeste qu'elle s'adresse le plus souvent aux populations les plus démunies donc à celles dont les moyens de se protéger seront les plus faibles durant la crise. « Nous pourrions ainsi penser à la mise en place de dispensaires d'urgence, à des distributions de masques ou de gels hydro alcooliques ou tout simplement à une hausse temporaire du budget de ces branches afin de pouvoir augmenter le volume des dons à ces populations », souligne Finactu dans son étude. Les caisses de sécurité sociale en soutien de l'offre et des entreprises Un deuxième axe de soutien des caisses de prévoyance sociale en période de crise économique peut être axé sur les entreprises. Ces dernières sont la principale richesse des systèmes de Sécurité sociale qu'elles financent par leurs cotisations assises sur les salaires versés aux employés. La relation entre les caisses de Sécurité sociale et les entreprises contributrices est complexe. D'un côté, les caisses doivent se battre pour assurer un recouvrement efficace et éviter le travail informel, la sous-déclaration des salaires ou le non-paiement des cotisations sociales ; Mais d'un autre côté, les caisses ne doivent jamais « tuer la poule aux œufs d'or » et leur intérêt est de protéger et d'épargner les entreprises dans les temps difficiles, pour assurer les cotisations de demain. Dans un contexte comme celui de la crise économique soudaine du Covid-19, qui affaiblit brutalement le tissu d'entreprises, il est dans l'intérêt des caisses de Sécurité sociale de faire preuve de bienveillance et de discernement vis-à-vis des entreprises, insiste Finactu. Plusieurs options s'offrent aux caisses de prévoyance. La première est celle d'un moratoire sur les cotisations, par exemple sous la forme d'échéanciers de paiement distincts d'une entreprise à l'autre selon son secteur d'activité et la sévérité de la crise ; ainsi, un tel moratoire peut concerner des entreprises du secteur aérien, de l'événementiel ou de la restauration par exemple ; Une seconde option est celle de l'exemption pure et simple des cotisations dues, là encore par entreprise et par secteur, tant que durera la crise. Si cette option est en réalité imposée dans le cas d'entreprises dont l'activité est à l'arrêt et où les employés sont au chômage technique, elle s'avère particulièrement généreuse et pertinente dans le cas d'entreprises dont l'activité est ralentie mais non arrêtée, par exemple le transport routier ou dans une moindre mesure le secteur pétrolier dont bon nombre de travailleurs s'apparentent à des coûts fixes tant le besoin en maintenance des sites est décorrélé du volume des extractions. Bien entendu, il n'appartient pas aux caisses elles-mêmes de décider ces mesures, mais à la puissance publique, par décret ou loi selon les cas. Il va de soi que ces mesures, si elles étaient décidées par le gouvernement, devraient faire l'objet d'une compensation par l'Etat au bénéfice de la caisse (obligation d'Etat ?). Plusieurs organismes de protection sociale d'Afrique ont d'ores et déjà pris adopté des mesures de soutien directs aux entreprises en mettant en place ce type de mesures, le cas de la CNSS. Une troisième voie qui n'a pas encore été adoptée par les caisses est celle d'une diminution temporaire des cotisations. La détermination du degré et de la durée de cette diminution ne pourrait se faire sans une étude actuarielle approfondie permettant de préserver les équilibres de long terme, pourtant, une solution pouvant rapidement être mise en œuvre existe et elle s'apparente de facto à une adaptation des cotisations au strict besoin des branches sur la période choisie. L'expérience accumulée pendant plus de 20 ans par FINACTU sur le continent et sa connaissance intime des caisses de la CIPRES permet de proposer cette option en posant ici un constat connu : il est rarissime que les branches dites de court-terme c'est-à-dire celles des « prestations familiales » et des « accidents de travail » soient déséquilibrées techniquement, en outre, le montant des cotisations perçues au titre de ces branches apparaît systématiquement supérieur aux besoins nécessaires pour les prestations qu'elles doivent couvrir, autrement dit ces branches sont structurellement déséquilibrées positivement. Si les excédents accumulés par ces branches servent le plus souvent à combler les déficits des branches « retraite », a contrario systématiquement déséquilibrées négativement car trop généreusement paramétrées, et remplissent donc une vraie fonction de long terme, il est évident que sur un horizon de court terme, une baisse des taux de cotisation de ces branches ne mettrait pas en danger leur équilibre actuariel et pourrait être décidée. Enfin, une dernière option, bien connue en France, pourrait être la mise en place de mécanismes de préretraite destinés aux populations proche de l'âge légal de départ. Selon les modalités de mise en place, les dispositifs de préretraite permettraient en premier lieu de soulager la pression fiscale des entreprises puis, dans un second temps, une fois le calcul des droits et le versement de la première pension effectués, la réintroduction dans le circuit économique d'une partie de cette dernière. Le coût de telles mesures devrait, ici encore, être quantifié mais il est possible de penser à plusieurs scenarii : les droits pourraient par exemple être calculés sans la période non cotisée en considérant que les dernières années travaillées seraient celles du salaire de référence, la caisse pourrait dans un autre cas s'acquitter de la part patronale afin de ne pas diminuer la pension du futur retraité. Les caisses de sécurité sociale en soutien de l'activité en général L'étude identifie un dernier rôle que pourraient remplir les caisses serait celui d'un soutien direct à l'Etat sous la forme d'une aide au financement de la réponse à la crise. Comme expliqué précédemment, les caisses de Sécurité sociale sont, pour la plupart, dotées d'importantes réserves, fruits des excédents accumulés d'une année sur l'autre destiné à payer d'ici quelques années les prestations dues aux futurs assurés. S'il est difficile de généraliser le portefeuille type de titres détenus par les caisses, il est courant que celles-ci disposent d'importants montants de dépôts à terme ou autres type de placements à échéance courte donc mobilisables rapidement. L'absence de liquidités jouant contre les Etats dans la lutte contre la crise, il pourrait être envisagé que les caisses consentent à accorder aux Etats des prêts à taux 0% afin que ceux-ci puissent mettre en place les différents projets coûteux tels que la mise en place d'hôpitaux, l'achat de tests, etc. Cette participation pourrait s'assimiler à un emprunt d'Etat fait par exemple sous la forme d'une Obligation assimilable du Trésor (OAT). Cette voie est celle qu'a d'ores et déjà empruntée la CNPS de Côte d'Ivoire en accordant à l'Etat un prêt combiné à un don spécifique au contexte Covid-19.