L'accord commercial signé le 19 janvier entre les USA et la Chine sonne-t-il le glas d'une guerre commerciale qui a fait vibrer tous les curseurs de la croissance et du commerce international ? Jawad Kerdoudi, président de l'Institut marocain des relations internationales (IMRI) revient sur les effets tentaculaires de l'accord entre Pékin et Washington. EcoActu.ma : Le 19 janvier, les USA et la Chine ont signé la première phase d'un accord commercial considéré par les deux parties notamment par les USA comme étant un bon accord. Quelle appréciation en faites-vous d'un point de vue global et quel serait l'impact de cet accord sur le commerce international ? Jawad Kerdoudi : L'accord commercial signé le 19 Janvier 2020 entre les USA et la Chine est le premier aboutissement d'une guerre commerciale qui a débuté entre les deux pays en mars 2018. Cette guerre a été déclenchée par Donald Trump qui voulait réduire le déficit commercial des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine qui s'est élevé en 2018 à 419 milliards de $. L'accord du 19 Janvier prévoit l'augmentation de 200 milliards de $ d'achats des produits américains par la Chine d'ici 2022. Il prévoit également une meilleure protection de la propriété intellectuelle, ainsi que l'engagement de la Chine à mettre à terme à la manipulation de sa monnaie. Les Etats-Unis s'engagent de leur côté à ne pas imposer de nouveaux droits de douane sur les produits chinois, à réduire de moitié les droits de douane fixés par les Etats-Unis sur les produits chinois le 1er Septembre 2019 sur 120 milliards de $, soit un taux de 7,5% au lieu de 15%. Par contre, les Etats-Unis maintiennent le taux de 25% sur 250 milliards de $ d'importations en provenance de la Chine. Cet accord est certes bon pour les Etats-Unis puisque leurs exportations vont augmenter de 200 milliards de $ sur la Chine en deux ans. Cependant, cet accord n'aura pas un impact important sur le commerce international du fait que c'est un accord bilatéral partiel, et que les incertitudes économiques persistent. C'est ainsi qu'il est prévu un faible accroissement du commerce international de 2,6% en 2019 et 3% en 2020 si les tensions commerciales s'apaisent. Il est même annoncé que l'Union européenne compte saisir l'OMC si l'accord commercial entre Chinois et Américains est contraire à ses intérêts. Elle s'inquiète essentiellement de l'engagement du géant asiatique à augmenter sur deux ans 200 Mds de dollars ses importations de produits américains. Concrètement, comment cet engagement pourrait-il impacter les entreprises européennes ? Les achats chinois supplémentaires de produits américains portant sur 200 milliards de $ vont concerner principalement les produits agricoles, les services et l'énergie. Pour respecter son accord avec les Etats-Unis, la Chine va donner la préférence aux produits américains, ce qui risque de léser les exportations européennes sur la Chine. C'est pour cela que l'Union européenne va s'assurer que cet accord entre les Etats-Unis et la Chine respecte les règles de l'OMC, et éventuellement porter plainte à la fois contre les Etats-Unis et la Chine. Dans le même sillage, l'impact de cet engagement se limite-t-il à l'Europe ou bien ses effets seraient également perceptibles sur d'autres pays partenaires à la Chine ? L'impact de l'accord Etats-Unis/Chine aura d'autres effets sur les partenaires de la Chine. A titre d'exemple, la Chine importe une quantité importante de soja du Brésil. Il est prévisible que la Chine diminuera ses importations de soja du Brésil au bénéfice des Etats-Unis. En tant que spécialiste des relations internationales, quel pourrait être l'impact sur l'Afrique y compris le Maroc dont les relations avec l'Empire du Milieu ont emprunté au cours des dernières années un rythme ascendant ? La Chine est le premier partenaire de l'Afrique avec des transactions commerciales qui se sont élevées à 204 milliards de $ en 2018. Il est certain qu'avec la guerre commerciale déclenchée par les Etats-Unis contre ses produits, la Chine va diversifier son commerce extérieur notamment en Afrique. Quant au Maroc, la Chine est déjà le troisième fournisseur de notre pays après l'Espagne et la France. Comme pour les autres pays africains, elle va s'efforcer de développer davantage ses exportations vers le Maroc. A l'aune de ce grand évènement qui met fin à la guerre commerciale qui a duré près de deux ans entre les deux puissances économiques, les perspectives mondiales relatives au commerce international seraient elles revues ou faut-il obtempérer jusqu'à la mouture finale de l'accord sino-américain ? Comme déjà indiqué, les perspectives de croissance du commerce international pour 2020 sont seulement de 3%, alors qu'entre 1987 et 2007, la croissance du commerce international était en moyenne de 7,1%. Pour retrouver ces derniers chiffres de croissance, il faut mettre fin à la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, et surtout revenir au multilatéralisme et à l'abolissement des mesures protectionnistes tarifaires et non tarifaires qui fleurissent actuellement à travers le monde. Lire également : L'ACCORD COMMERCIAL USA-CHINE FAIT TREMBLER BRUXELLES