Suppression des exonérations inefficientes, impôt sur la Fortune, pression fiscale sur une partie des contribuables, taxation des activités qui échappent encore à l'impôt... pas moins d'une soixantaine de recommandations ont été étayées dans le livrable de l'Ordre des Experts-comptables en perspectives des Assises de la Fiscalité. C'est une véritable batterie de mesures pour réformer le régime fiscal que celle qu'a préparée l'Ordre des Experts-comptables (OEC) en perspectives des prochaines Assises de la fiscalité, les 3 et 4 mai 2019. Dans son livrable, l'ordre décline ses propositions en deux parties : la fiscalité d'Etat (une partie conséquente avec plus de 60 recommandations) et la fiscalité locale (six recommandations). Dans la première partie, l'Ordre aborde quatre thématiques majeures. La première concerne le consentement à l'impôt dans le sens du renforcement de la confiance entre contribuable et institutions publiques et de l'amélioration de la gouvernance fiscale. A ce propos, l'Ordre des Experts-comptables rappelle le lien étroit entre le degré de consentement à l'impôt et le niveau de confiance dans les institutions publiques. Cela passe par l'amélioration de la crédibilité de la classe politique, des élus nationaux et locaux en impliquant davantage la jeunesse dans la construction de notre démocratie ; l'amélioration de la transparence dans le processus de prise de décision et dans la gestion des affaires publiques en général ; la mise en place les mécanismes adéquats de prévention et de lutte contre les conflits d'intérêts, les abus de pouvoir et l'économie de rente. Pour l'OEC, le niveau et la qualité des services publics rendus aux citoyens ne justifient pas à leurs yeux les niveaux de prélèvement opérés. « Il est donc primordial que les grandes réformes de l'éducation, de la santé et de la justice ainsi que les réformes de l'administration aboutissent en vue d'améliorer le niveau de satisfaction et donc d'adhésion des citoyens », souligne-t-on dans le livrable. Les recommandations formulées par l'OEC à ce sujet passent par, entre autres, le renforcement de la communication sur les actions de l'Etat en mettant en évidence leur impact sur le développement économique et social de la population. Dans son livrable, l'OEC relève que plusieurs études ont montré que le système fiscal marocain comporte des inefficiences et dysfonctionnements qui le rendent inéquitable et complexe, notamment une pression fiscale pesant sur une fraction limitée des contribuables, ce qui la rend relativement élevée et injustement répartie, en plus de dérogations, de complexités et de imperfections nombreuses qui empêchent le système fiscal de jouer pleinement son rôle redistributif accentuant la faible adhésion des citoyens. D'autres dysfonctionnements sont également pointés du doigt comme l'élaboration de la norme fiscale qui ne suit pas un processus préalable de concertation ou encore une administration insuffisamment outillées surtout au niveau des collectivités territoriales pour assurer un prélèvement de l'impôt à grande échelle de façon juste et efficace. L'OEC appelle de ce fait à un Pacte fiscal et bonne gouvernance basé sur le renforcement de la crédibilité des institutions publiques et l'augmentation de la transparence et la redevabilité des activités de l'Etat vis-à-vis des citoyens. Cela passe également par l'institution du principe de concertation préalable notamment en matière de prise de décision fiscale et de la gestion de l'impôt. Ce nouveau contrat fiscal doit également être basé sur la transparence, la simplicité, l'équité, la compétitivité et l'efficacité, précisent les auteurs du livrable. Equité et justice sociale La deuxième thématique a trait à l'équité et justice sociale, ce qui entre dans le vif de la thématique même de ces troisièmes assises, particulièrement l'adaptation de la fiscalité des entreprises à la réalité du tissu économique et social, l'harmonisation de la fiscalité du travail et du capital pour plus de justice et surtout rendre la fiscalité de la consommation cohérente, supportable et neutre. Là encore, l'OEC a formulé par moins de 11 recommandations, particulièrement la simplification du système fiscal et le rendre plus adapté, lisible pour toutes les entreprises composant le tissu économique marocain. Nous citerons particulièrement la recommandation qui appelle à prévoir un système de taxation conçu autour de deux régimes. D'un côté, un Régime normal pour toutes les Grandes, Moyennes et Petites Entreprises (Personnes morales et personnes physiques). Ce régime demeure basé sur les normes et règles comptables applicables à chaque secteur en prévoyant un alignement entre les règles comptables et règles fiscales. Les différences éventuelles (qui pourraient s'avérer nécessaires) devraient être limitées et obligatoirement prévues par la Loi de manière explicite et sans ambiguïté pour réduire les risques de divergences et de contentieux. De l'autre côté, un régime système super simplifié pour les TPE (CA à définir) Personnes Physiques seulement (Cas du forfait actuel). Ce système simplifié devra être basé au minium sur les recettes encaissées avec à terme, tenue d'un registre des recettes, ou bien un système de caisses enregistreuses avec obligation d'avoir des factures d'achat régulières et déclaration annuelle simplifiée des recettes. L'imposition serait établie sur la base d'un pourcentage des recettes réelles fonction de la nature de l'activité, de l'emplacement géographique, du nombre d'employés et de la superficie des locaux exploités. Une atténuation de la base en fonction du nombre d'emplois déclaré pourrait éventuellement être instituée pour encourager la création d'emplois. La fixation de la base imposable pour les activités soumises actuellement au forfait relèvera donc totalement du domaine de la loi et du règlement, supprimant totalement le caractère subjectif de la fixation des coefficients. L'épineuse question des exonérations fiscales Autre élément que l'on peut signaler ce sont les incitations fiscales. Ainsi, s'il faut garder celles qui se justifient par leur pertinence il faut les limiter dans le temps et en les accordant en fonction du secteur ou de la géographie sans distinction entre contribuables ou entre export et local pour assurer une équité et une concurrence loyale. L'OEC appelle surtout à la suppression de toutes les autres exonérations, notamment celles en faveur du secteur immobilier, en mettant en place si nécessaire des aides directes au profit des ménages éligibles, ou encore celles en faveur des associations dont l'objet s'étend très souvent à des activités en concurrence avec le secteur marchand et dont la pertinence est non avérée (amicales à objet immobilier...). L'OEC appelle également à la suppression de l'exonération dont jouissent les coopératives de commercialisation ou de production dont le CA dépasserait un seuil à fixer à un niveau cohérent avec la nature de l'activité de la coopérative et du nombre de ses adhérents. « Pour le secteur agricole si l'on retient l'élargissement de son champ d'application aux exploitants de taille moyenne (en réduisant le seuil actuel), nous suggérons à ce qu'il soit retenu parmi les secteurs stratégiques pour bénéficier d'une taxation allégée au même titre que les secteurs exportateurs, au vu sa de spécificité (cyclicité dépendante fortement des aléas climatiques, son rôle majeur dans la création de l'emploi et dans la a stabilité de la population rurale) », révèle le livrable de l'OEC. En définitive, l'ordre recommande que toute incitation puisse être limitée à une exonération totale sur une période de 3 à 5 ans maximum puis l'application d'un taux proportionnel de 20% sans distinction entre export et local pour les activités ou zones géographiques dont l'incitation serait justifiée y compris les zones franches d'exportation et les activités de l'offshoring. La mise en œuvre de cette recommandation permettrait de préserver l'attractivité du Maroc et sa compétitivité au niveau international tout en rendant le système fiscal conforme aux principes requis sur le plan international visant à lutter contre l'érosion de la base imposable et des pratiques dommageables, soutiennent les auteurs du livrable. Capital vs Travail : Pour plus d'harmonisation et de justice L'Ordre des Experts-comptables estime que la fiscalité du travail, qui représente la plus importante contribution en matière d'impôt sur le revenu, associée aux cotisations sociales, est considérée comme relativement lourde et injuste à l'égard de cette catégorie et décourage aussi la création d'emploi tout en favorisant le développement des activités informelles. Par ailleurs, l'OEC considère la fiscalité du capital, revenus et gains, comme caractérisée par une multitude de régimes et de taux libératoires fixés à des niveaux relativement plus modérés que ceux frappant le travail. Pour remédier à la situation actuelle, l'Ordre des Experts-comptables recommande de procéder au réajustement des niveaux d'imposition des revenus du travail et du capital pour les rendre plus justes. A ce titre, il est recommandé d'envisager d'amorcer sur une période de 2 à 3 ans, les ajustements suivants : * augmenter le seuil exonéré à 36.000 DH par an * augmenter le plafond des frais professionnels à 60.000 DH par an. * instaurer un abattement de la base imposable pour le conjoint sans emploi, * augmenter la réduction pour enfant scolarisé à charge ou bien accorder une déduction au titre des frais de scolarité * réaménager le barème en ajustant les tranches intermédiaires. Il est précisé que les éléments exonérés doivent être mieux encadrés et réglementés de façon explicite sans aucune ambiguïté en tenant compte des spécificités des différents secteurs. La deuxième recommandation consiste en l'harmonisation du niveau de taxation des gains en capital pour le rendre cohérent avec la taxation des bénéfices d'entreprises pour les revenus de même nature. « Nous recommandons de prévoir, soit une taxation du revenu global des personnes physiques qui regroupe l'ensemble des revenus et gains, selon le barème progressif avec éventuellement application d'abattements à fixer, soit en fixant les taux libératoires à des niveaux plus cohérents proche de 25% pour tous les revenus et gains en capital (sauf pour les dividendes où la taxation constitue un complément d'impôt) », précise les auteurs du livrable. Aussi, la plus-value acquise par voie de succession devrait-elle être imposée au même titre que toute autre plus-value réalisée en cas de cession en excluant l'habitation principale. L'exonération prévue actuellement est injuste et son abandon récent n'a aucune justification ou pertinence économique ou sociale, selon l'OEC. Ce dernier propose également l'élargissement de l'imposition en tant que revenu foncier, aux revenus issus de la location meublée des particuliers non professionnels y compris la location saisonnière ou occasionnelle en l'excluant du champ d'application de la TVA. Si l'imposition libératoire est maintenue, le taux de 10% à 15% serait cohérent et juste vu l'absence de déductions de charges et d'amortissement, estime-t-on. Cette taxation doit s'étendre rapidement aux locations via des plateformes électroniques, note-t-on. Bien évidemment l'Ordre des Experts-comptables n'esquive pas sous cette deuxième thématique la question d'instauration ou non d'un impôt sur la fortune. Dans ce sens, pour contribuer à la réflexion sur l'éventuel projet d'institution d'un ISF, l'organisation ordinale estime qu'au regard des difficultés de sa mise en œuvre et de ses effets négatifs éventuels sur l'investissement et le risque de fuite de capitaux, outre le peu de succès et de rendement que cet impôt a généré dans les pays qui l'ont expérimenté, et recommande à sa place d'instituer plutôt une contribution de solidarité sur le revenu global des personnes physiques (y compris les dividendes) dont le niveau dépasserait un seuil à fixer (2 millions de DH selon l'avis de l'OEC) et dont le taux pourrait être progressif entre 2 et 5% pour rester à un niveau supportable et acceptable. Fraude et informel, freins à la compétitivité La troisième thématique a trait à la neutralité et la compétitivité fiscale. Un sujet important dans la mesure où le pays souffre du poids important de l'informel et de la fraude, ce qui constitue d'emblée une compétition déloyale. Ce volet aussi évoque la rationalisation des exonérations fiscales à travers des évaluations régulières de leur pertinence. On y aborde également la question de la TVA mais aussi l'amélioration de la compétitivité fiscale du Maroc pour une meilleure attractivité. Sous ce volet, il est recommandé de mettre en place une véritable stratégie d'intégration de l'informel vivrier et de lutte contre l'informel non vivrier en coordonnant les actions entre les différentes administrations de l'Etat et d'autres organismes non étatiques. Cela passe par une adaptation des réglementations avec l'introduction de sanctions appropriées ; une coordination permanente des actions entre toutes les administrations impliquées dans la lutte contre ce phénomène, et un renforcement et une amélioration des outils modernes de partage automatique d'informations avec une exploitation efficace et coordonnée. Aussi, l'OEC propose-t-il de mettre en place des mesures législatives appropriées et des actions concrètes permettant d'assurer une lutte efficace contre la fraude et l'évasion fiscale. Il faut dire qu'une recommandation entre le cœur de métier des Experts-comptables. En effet, l'ordre recommande de renforcer le rôle et la responsabilité de la profession comptable, en tant que tiers de confiance, pour améliorer la transparence et la lutte contre la fraude, en instituant par exemple l'obligation de déclarer le professionnel en charge de la préparation des déclarations fiscales du contribuable ou mettre en place un système de visa obligatoire des bilans des professionnels en encadrant clairement leurs responsabilités. Le livrable de l'OEC s'attaque en dernier lieu au triptyque sécurité juridique, administration et service aux usagers. Il s'agit dans les propositions de l'ordre de redéfinir les objectifs et les dispositifs du contrôle fiscal sous toutes ses formes. D'emblée le livrable insiste que le contrôle fiscal doit être davantage orienté vers un objectif de lutte contre la non-conformité que vers l'objectif de recettes pour assurer une certaine équité entre les contribuables. L'organisme ordinal des experts-comptables propose également l'amélioration de la qualité des textes, de la procédure contradictoire et du contentieux, qui, selon l'OEC, telle qu'elle fonctionne actuellement comporte beaucoup de faiblesses et dysfonctionnements. Elle est loin d'atteindre les objectifs recherchés de célérité, d'efficacité et de justice fiscale principalement sur les questions de faits. Aussi, est-il proposé de rétablir un équilibre entre droits et obligations des contribuables. Enfin, l'OEC propose également l'amélioration du fonctionnement de l'administration et service aux usagers. Et surtout mettre en place les mesures appropriées pour améliorer la communication avec le contribuable. L'OEC prône une fiscalité locale en harmonie avec la réalité du tissu local Dans la deuxième partie du livrable dédiée à la fiscalité locale, l'OEC propose six mesures phares. La première porte sur la simplification du système de la fiscalité locale en l'articulant autour de deux grandes taxes, l'une à composante foncière (visant principalement les ménages), et l'autre à composante économique (visant principalement les entreprises). Selon l'OEC, la taxe à composante foncière devrait être basée sur un tarif au m2 en fonction du zoning. Ce tarif pourrait être fixé en fonction de la valeur vénale des biens, en adoptant un référentiel évolutif qui sera fixé par voie réglementaire pour supprimer le caractère subjectif, injuste et contraignant de la méthode actuelle (valeur locative et commission de recensement). Alors que la taxe à composante économique (Taxe professionnelle actuelle) devrait être basée non plus sur les actifs de l'entreprise (pour ne pas pénaliser l'investissement) mais plutôt sur un indicateur de revenu tel que la Valeur Ajoutée ou éventuellement l'Excédent Brut d'Exploitation. Les autres taxes touchant certaines activités spécifiques d'exploitations de ressources naturelles devraient être assises sur le chiffre d'affaires. La deuxième recommandation préconise la suppression de l'ensemble des « petites » taxes ou redevances à rendement et potentiel faible (contribution des riverains, droits d'états civil, etc.) qui sont davantage des facteurs de complexité en plus d'être mal perçues par les citoyens. Aussi, serait-il salutaire de reclasser et fusionner les autres prélèvements en redevances qui viendraient en contrepartie d'un avantage ou d'un service direct rendu par la collectivité, suggère l'OEC. Il appelle à la rationalisation des exonérations des taxes locales, notamment en les limitant dans le temps (3 à 5 ans maximum) et uniquement pour la phase de démarrage d'une activité économique. En matière de gestion des taxes locales, l'OEC appelle à distinguer la gestion des taxes locales « principales » et la gestion des redevances. « Dans les deux cas il faut unifier la gestion et le recouvrement auprès d'une même entité », recommande l'OEC. Il recommande également intégrer la fiscalité locale dans le Code Général des Impôts, avec la possibilité de la faire évoluer avec les Lois de Finances.