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« Le consentement à l'impôt : une expression sans substance »
Publié dans EcoActu le 28 - 03 - 2019

Zaya Mimoun, Docteur en droit public veille à ce que la concertation sur la fiscalité ne soit pas réservée à une caste, mais élargie à ceux qui ne sont pas intégrés dans une organisation structurée, et qu'elle ne soit pas éphémère.
Discours et autres interventions sur les Assises fiscales du mois de mai fleurissent dans la presse. L'impôt fait son show, et peut être sa mue. Des rencontres sont programmées avec appel à contribution des citoyens, donnant l'impression d'un tourbillon d'idées, d'une vision désarticulée et d'une fébrile surenchère dans les propositions. De celles pour la révision totale de notre législation, avec une nouvelle loi-cadre, à celles pour des actions ciblées sur certain impôts, les discussions vont bon train. Mais qu'en est-il des travaux sérieux basés sur un état des lieux, de meilleures simulations et un diagnostic complet sur les causes du dérèglement de notre système fiscal actuel ?
Les discours sont moins incisifs sur la détention du pouvoir fiscal et sur les actions à engager, avant tout débat sur la technicité fiscale, pour concrétiser les principes de légalité et d'équité fiscales et aboutir à un réel consentement à l'impôt. En clair, faire que le citoyen soit impliqué, effectivement, aussi bien dans le choix des prélèvements qu'il subira que dans le contrôle de l'utilisation des ressources ainsi obtenues.
En théorie et selon l'article 71 de la constitution de 2011, « le régime fiscal et l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impôts », sont du domaine de la loi. Ce principe de légalité de l'impôt signifie que le parlement, représentant des citoyens, est compétent pour autoriser la levée de l'impôt. Le consentement à l'impôt fonde la démocratie et participe à la consolidation de l'Etat de droit.
Cette disposition se trouve renforcée par l'article 39 de la constitution, qui insiste sur les principes de légalité de l'impôt et d'égalité devant l'impôt en des termes clairs : « Tous supportent, en proportion de leurs facultés contributives, les charges publiques que seule la loi, dans les formes prévues par la présente Constitution, peut créer et répartir ».
Toujours, selon la Constitution, l'initiative des lois appartient concurremment au Chef du Gouvernement et aux membres du Parlement (art. 78), sous la forme de :
* projets de lois pour le Gouvernement ;
* propositions de lois pour le Parlement.
Certes, la constitution consacre la prééminence de la loi en matière fiscale, mais prévoit par ailleurs des mécanismes qui paralysent le pouvoir législatif dans ce domaine.
Dans les faits, le pouvoir fiscal appartient au Gouvernement qui l'exerce en s'appuyant sur l'administration fiscale, qui possède la technicité et l'essentiel des sources d'information, et sur certaines organisations professionnelles, autrement dit sur quelques groupes de pression qui défendent des intérêts catégoriels.
En effet, toute modification de l'impôt intervient dans le cadre de la loi de finances votée par le parlement. Cependant, ce vote ne consacre pas la primauté du législateur en matière fiscale, dès lors que la constitution prévoit, par ailleurs, le rejet des amendements formulés par les membres du Parlement «lorsque leur adoption aurait pour conséquence, par rapport à la loi de finances, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation des charges publiques » (art.77). Cette disposition est reprise dans l'article 56 de la loi organique n° 130-13 relative à la loi de finances de 2015.
A côté de cette irrecevabilité financière, nous avons une contrainte politique. Assurément, la majorité au parlement ne peut aller à l'encontre de son camp au Gouvernement, car tenu par la discipline de vote, en raison du fait majoritaire. Les divergences se traitent en privé et les parlementaires reçoivent souvent des amendements déjà préparés à déposer.
On retrouve, ensuite, la contrainte technique. Le Ministre qui présente la loi de finances est assisté par des fonctionnaires de son département, souvent plus nombreux que les parlementaires présents dans la commission des finances. Tandis que les parlementaires ne possèdent pas, toujours, les compétences fiscales suffisantes, et ne disposent pas du temps nécessaire pour examiner et comprendre la masse de données contenues dans les rapports joints au projet de loi de finances.
A ce propos, il faut rappeler que lors de l'examen, en 2014, du projet de loi organique des finances (LOF) n°130-30, les parlementaires ont voté une disposition qui allait les priver d'un droit que leur confère la constitution : celui de faire des propositions de lois à caractère fiscal...
En effet, le deuxième alinéa de l'article 6 de ce projet précisait que : « Seule la loi de finances de l'année et les lois de finances rectificatives peuvent comprendre des dispositions fiscales, douanières... ». Le Gouvernement aurait de ce fait obtenu le quasi monopole dans ces domaines grâce à l'introduction de cette disposition.
Bien évidemment, la cour constitutionnelle a annulé cet alinéa, contraire à la constitution, par décision n°14/950 du 23 décembre 2014.
En fait, les politiques ont tendance à oublier qu'ils peuvent, par le jeu de l'alternance, passer de la majorité à l'opposition et être alors liés par des contraintes enfantées par leurs décisions passées.
Enfin s'ajoute la contrainte temps. Les délais de vote sont très courts. La Chambre des Représentants dispose de 30 jours pour adopter le projet en une seule lecture. La Chambre des conseillers quant à elle se prononce sur le projet dans un délai de 22 jours suivant sa saisine. La première pourra ensuite, le cas échéant, examiner les amendements votés par la deuxième chambre et adopter le projet de loi de finances dans un délai ne dépassant pas 6 jours.
Mais après tout, peut être que le changement viendra des citoyens eux-mêmes. En 2019, les commerçants on fait reculer le Gouvernement sur l'application de la facture électronique, une disposition adoptée par le législateur.
En 2014, on a assisté à une contestation identique pour une mesure qui s'inscrivait dans le dispositif de lutte contre l'informel. Celle-ci n'a pas résisté à la menace de grève brandie par ces petits contribuables. Le Gouvernement avait décidé de la suspendre, puis de l'alléger dans la loi de finances pour 2015. On voit bien que le consentement à l'impôt peut aussi s'exercer en dehors des lieux consacrés à l'exercice du « pouvoir » contribuant à une remise en cause de la compétence du législateur en matière fiscale.
Ces mouvements de contestations doivent être pris en compte dans une démarche constructive. Les citoyens-contribuables de base, qui ne sont représentés ni par le parlement, ni par une quelconque organisation ont le sentiment d'être marginalisés, surtaxés sans bénéficier, en contrepartie, de services publics de qualité.
A titre d'exemple, la réduction successive et importante des taux d'imposition des sociétés et le maintien du barème de l'impôt sur le revenu à son niveau de 2010, alors que le pouvoir d'achat des citoyens ne cesse de se dégrader, renforce ce sentiment d'injustice fiscale.
Il est important que la concertation sur la fiscalité ne soit pas réservée à une caste, mais élargie à ceux qui ne sont pas intégrés dans une organisation structurée, et qu'elle ne soit pas éphémère.
Enfin, sur un autre plan, on peut se demander si, bien que les idéologies soient moins rigides en matière fiscale pour des raisons de pragmatisme, de crise et de mondialisation, un gouvernement hétéroclite, idéologiquement et socialement, peut-il s'entendre pour mettre en place un système fiscal cohérent et profitable au bien commun ?
Zaya Mimoun Docteur en droit public, professeur
Vacataire à l'UIR


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