Le Wali de BAM défend bec et ongles l'importance du maintien des équilibres macroéconomiques. Abdellatif Jouahri a prévenu des conséquences graves des niveaux élevés des déficits et de l'endettement public pour une économie comme la nôtre et sur le risque de se retrouver dans la situation des années 80 et des plans d'ajustement structurel. Intervenant lors du Deuxième colloque international autour de la reconsidération du modèle de développement à la lumière des évolutions que connaît le Maroc, Abdellatif Jouahri, le Wali de Bank Al-Maghrib a tenu un discours franc. Il a pointé tout d'abord la faiblesse de l'un des prérequis « communs pour que les modèles de développement, quels que soient leur nature et leur orientation, produisent des résultats satisfaisants ». Il s'agit de la valorisation du capital humain dont le niveau et la qualité sont déterminants pour le processus de développement. « Evidemment, ce constat nous interpelle au niveau de notre pays. Le classement du Maroc selon l'indice du capital humain publié par la Banque Mondiale à l'occasion de ces assemblées annuelles nous rappelle encore une fois le retard que nous avons accumulé dans ce domaine et l'ampleur du défi à relever ». Abdellatif Jouahri rappelle d'ailleurs l'élaboration de la vision 2030 et sa déclinaison en loi-cadre, en soulignant que cette réforme constitue l'ultime chance pour développer notre capital humain, le valoriser et espérer ainsi placer le Maroc » sur la voie de l'émergence. Cela veut dire que nous n'avons plus le droit à l'erreur ». Le deuxième impératif cité par Jouahri est que le modèle de développement doit générer une croissance qui ne crée pas des laissés pour compte et qui profite à la grande majorité. « Outre la création d'emplois de qualité, cela passe par la mise en place de mécanismes de redistribution, de filets sociaux pour garantir à tout un chacun ce qu'on peut appeler un « SMIG social », c'est-à-dire des conditions de vie décentes (logement, eau, électricité et assainissement) et un accès à l'éducation et à la santé ». Le troisième élément cité par le gouverneur de la Banque centrale est la gouvernance pour plus d'efficacité et d'efficience à travers notamment le renforcement de la lutte contre la corruption et de l'impartialité et de l'équité du système judiciaire. A. Jouahri a souligné la nécessité d'assurer un suivi de la mise en œuvre des réformes et des politiques publiques. « Dans le cas du Maroc, certes plusieurs chantiers et réformes ont été lancés ces dernières années, mais nombreux sont ceux qui n'ont pas encore abouti malgré de longs délais écoulés. On peut parler des réformes des retraites, des subventions, du code du travail et de la loi encadrant le droit de grève, pour ne citer que ceux-là ». Cette situation est justement nourrie par l'absence de cadre de suivi et d'évaluation. Cet aspect, y compris la sanction, s'inscrit également parmi les conditions nécessaires pour la réussite du nouveau modèle de développement, ajoute Jouahri. Il décrira par la suite le trend baissier dans lequel se sont inscrites les performances économiques et sociales dès 2013 avec une croissance non agricole qui est revenue à un palier plus bas et la tendance baissière du chômage qui s'est inversée de manière particulièrement inquiétante pour les jeunes citadins. L'investissement privé reste faible malgré les incitations accordées et les équilibres macroéconomiques sont fragiles. « Ce qui est encore préoccupant, c'est que cette situation est amplifiée dans la perception de la population. Celle-ci exprime de différentes manières ses inquiétudes face à un chômage qu'elle perçoit en forte aggravation, un niveau de vie qu'elle juge en détérioration et des inégalités qu'elle voit en accentuation ». Une perception que les jeunes n'hésitent plus à exprimer notamment dans les réseaux sociaux qui sont devenus les porte-voix de la population. « Ce que je voudrais dire, c'est que là encore, la communication est une composante fondamentale dans la mise en œuvre des réformes à laquelle nous n'accordons malheureusement pas l'importance qu'elle mérite, alors qu'elle est essentielle pour assurer la bonne compréhension et l'adhésion des parties prenantes et accroître ainsi les chances de réussite de ces réformes ». Dans ce chantier à la fois urgent et de longue haleine, l'Etat a besoin de dégager des marges et de prioriser les actions pour répondre aux besoins urgents, notamment dans le domaine social. Dans ce sens, eu égard des moyens dont dispose le pays, Jouahri estime que l'optimisation des ressources et la rationalisation des dépenses constituent des impératifs permanents dans la gestion des finances publiques. Il attire d'ailleurs l'attention sur le faible rendement de la dépense publique et la pertinence qui reste à démontrer des nombreuses incitations fiscales. « Ce que je veux dire, c'est que de telles réformes n'appellent pas à sacrifier les équilibres macroéconomiques. Au contraire, pour une économie comme la nôtre, des niveaux élevés des déficits et de d'endettement public sont rapidement sanctionnés par les agences de notation et les institutions internationales et remettent en cause l'attractivité du pays et la confiance des opérateurs ». Pour Abdellatif Jouahri, il ne faut surtout pas se retrouver dans la situation des années 80 et des plans d'ajustement structurel. Il en va de la préservation de la souveraineté de décision du pays. « La meilleure manière c'est de veiller sur ses équilibres et qu'il n'y a pas de croissance ni de développement durables sans stabilité macroéconomique ». Pour conclure son intervention, Abdellatif Jouahri a fait un constat amer : « De par mon expérience personnelle de plus de 55 ans dans le service public, je peux dire que nous réussissons souvent à faire de bons diagnostics et nous arrivons à formuler des solutions appropriées, mais ce qui nous fait souvent défaut, c'est d'avoir « le souffle long » pour mener les chantiers à terme et les faire aboutir. Ceci étant, nous devons rester optimistes... ».