Ecrit par Soubha Es-Siari | Contrairement aux spéculations, l'impact de la crise en Ukraine sur la balance commerciale du Maroc est très minime. L'analyse des échanges commerciaux du Maroc avec la Russie et l'Ukraine montre que la part des achats de la Russie dans le total des importations du Maroc au cours de la période 2016-2021 se situe à une moyenne de 3%. Cette part est supérieure à celle des importations en provenance de l'Ukraine qui s'établit pour la même période à 0,9%. Les exportations marocaines à leur tour restent timides et peu diversifiées. Les détails. Les séquelles de la pandémie étant toujours là, une autre crise vient se greffer à la cartographie des risques qui planent sur le monde entier (changement climatique, cyberattaque...). Il s'agit évidemment de la guerre entre la Russie et l'Ukraine qui, il y a quelques semaines, était juste une hypothèse pour bon nombre d'analystes et politologues. Cette guerre a entraîné dans son sillage une flambée des prix des matières premières à l'international. A ce titre, le prix du baril de Brent a dépassé le 24 février 2022 le seuil de 100$ suite à la déclaration par la Russie de la guerre contre l'Ukraine. Il atteignait même 105 $/bbl avant de régresser légèrement. Comme l'a si bien dit Yves Gegourel de PCNS : « Le pétrole est, à l'instar de l'or, l'un des baromètres des tensions géopolitiques mondiales et il ne fallait guère être devin pour savoir que son cours allait fortement progresser à la suite de l'offensive russe ». Et d'enchaîner : « Force est de rappeler que cette hausse s'inscrit dans un contexte pétrolier tendu, marqué par une demande plus forte qu'anticipée et une offre de la part de l'OPEP+ qui peine à respecter les accroissements de production en raison, notamment, d'une insuffisance d'investissement ». Cette hausse des prix de l'énergie compliquerait davantage la situation dans un contexte où depuis l'amorce de la reprise après la sévère pandémie, l'inflation est à des niveaux élevés. A l'instar des autres pays, le Maroc en un mot comme en cent n'est pas à l'abri des conséquences lourdes que risque d'engendrer cette guerre. Ne serait-ce que par la flambée des cours des matières premières. D'ailleurs depuis son éclatement, deux questions sont sur toutes les lèvres des analystes et des économistes : jusqu'où les cours peuvent-ils augmenter et quel serait l'impact sur la balance commerciale ? Des questions tout à fait légitimes pour une économie souffrant depuis des décennies d'un déficit commercial structurel et d'une position extérieure globale (PEG) qui ne fait que se dégrader. Elles le sont d'autant que le Maroc est dépendant dans ses approvisionnements de la Russie et l'Ukraine actuellement en sérieux conflit. L'analyse de la balance commerciale du Maroc avec ces deux pays montre que les échanges commerciaux avec la Russie sont plus importants que ceux avec l'Ukraine. Les exportations à destination de ces deux pays au titre de la période 2016-2021 atteignent des niveaux limités affichant des parts sur le total des exportations du Maroc quasiment nulles. En effet, les exportations vers la Russie se situent à 1,4 Md DH en 2021 avec une part de 0,4%. Ces ventes ont enregistré 2 Mds DH une année auparavant. S'agissant des exportations à destination de l'Ukraine, elles s'élèvent à 0,8 Md DH. En 2021, le Maroc a importé 14,29 Mds de DH de blé contre 13,5 Mds de DH un an auparavant. Même le poids des importations de blé de l'Ukraine sur l'ensemble des importations marocaines du blé restent minimes soit 0,018% en 2021 ( 2,7Mds de DH/ 14.294Mds de DH). Il ressort également de la balance commerciale du Maroc avec ces deux pays qu'au titre de l'année 2021, les soldes commerciaux avec la Russie et l'Ukraine dégagent des déficits de 16,8 Mds DH et de 4,4 Mds DH respectivement. Pis encore, nos exportations restent peu diversifiées et portent juste sur trois catégories de produits contrairement aux importations. Pour d'amples détails, les importations en provenance de la Russie se situent à 18,1 Mds DH en 2021 contre 15,4 Mds DH une année auparavant, soit une hausse de 17,6%. La part de ces achats dans le total des importations du Maroc au cours de la période 2016-2021 se situe à une moyenne de 3%. Cette part est supérieure à celle des importations en provenance de l'Ukraine qui s'établit pour la même période à 0,9%. En effet, les achats de marchandises en provenance de l'Ukraine s'élèvent à 5,2 Mds DH en 2021 contre 4,1 Mds DH en 2020. De son côté, le taux de couverture avec la Russie perd 10,7 points (de 18,2% en 2016 à 7,5% en 2021), tandis que celui avec l'Ukraine, il gagne 9,7 points. Les indicateurs ci-dessus, publiés par l'Office de changes, montrent que le Maroc importe de ces deux pays plus que ce qu'il exporte notamment avec la Russie. Du côté des importations, il ressort que les produits importés en provenance de la Russie soit 18,1 Mds de DH en 2021, ils sont dominés par les produits énergétiques. Les achats de ces produits se situent à 10,2 Mds DH en 2021 contre 9,3 Mds DH une année auparavant représentant 56,4% du total des importations en provenance de la Russie en 2021. Inutile de rappeler que les produits énergétiques pèsent lourdement sur notre balance commerciale. En dehors des produits énergétiques, les importations en provenance de la Russie concernent également l'ammoniac, le souffre brut, les engrais naturels et chimiques ainsi que le blé dont les importations se sont établies à 481 MDH en 2021. De leur côté, les importations en provenance de l'Ukraine sont dominées par les céréales, principalement le blé. Les achats des céréales se situent à 2,9 Mds DH en 2021 contre 2,7 Mds DH une année auparavant représentant 56,1% du total des importations en provenance de l'Ukraine en 2021. Source : Office des changes Pour ce qui est du blé, les importations en provenance de l'Ukraine se situent à 2,7 Mds DH en 2021 contre 2 Mds DH en 2020, soit un accroissement de 35,3% dû à l'effet prix en hausse de 39,4% (2.943 DH/Tonne en 2021 contre 2.112 DH/Tonne en 2020). Les quantités, quant à elles, baissent de 2,9% (907,6 MT en 2021 contre 934,8 MT en 2020). En dehors du blé, les importations en provenance de l'Ukraine portent également sur les tourteaux et le tabac (0,7 Md DH et 0,3 Md DH respectivement en 2021). Mais quid des produits exportés par le Maroc vers la Russie ? Comme susmentionné, les exportations du Maroc vers la Russie restent faibles comparativement à ses importations. Source : Office des changes Les principaux produits exportés en 2021 vers la Russie se composent essentiellement de : Agrumes : 887 MDH en 2021 contre 1.123 MDH en 2020 ; poissons frais, salés, séchés ou fumés : 102 MDH en 2021 contre 136 MDH en 2020 et fruits frais ou secs : 110 MDH en 2021 contre 102 MDH en 2020. Ces trois produits représentent 80,7% du total des ventes de marchandises à destination de la Russie au titre de l'année 2021. En ce qui concerne les principaux produits exportés en 2021 vers l'Ukraine, ils se présentent comme suit : engrais naturels et chimiques : 529 Millions de DH (MDH) en 2021 contre 348 MDH en 2020, voitures de tourisme : 180 MDH en 2021 contre 139 MDH en 2020, poissons frais, salés, séchés ou fumés : 32 MDH en 2021 contre 35 MDH en 2020. Ces trois produits représentent 97,6% du total des exportations à destination de l'Ukraine au titre de l'année 2021. L'analyse des chiffres des échanges commerciaux du Maroc avec la Russie et l'Ukraine interroge sur l'enjeu de l'accord stratégique conclu par le Maroc notamment avec la Russie. Ledit accord avait pour leitmotiv de développer la coopération commerciale du Maroc avec la Russie. Or l'on se rend compte qu'à l'instar des autres accords de libre-échange, la balance commerciale du Maroc avec la Russie est déficitaire. Autrement dit, le Maroc importe plus qu'il exporte vers ce pays. Autre point à soulever c'est la dépendance du Maroc de ses importations de blé notamment à partir de l'Ukraine qui, bien qu'elles soit dérisoires par rapport à la totalité des importations de blé, ne font que grimper passant de 1,6 Md de DH en 2016 à 2,6 Mds de DH en 2021. Elles questionnent à leur tour sur la politique agricole du Maroc qui malgré les réformes entreprises et les budgets alloués n'arrive toujours pas à assurer la souveraineté alimentaire tant souhaitée.