Deux gros opérateurs marocains, Comarit et IMTC, interviennent dans le transport maritime de passagers entre le Maroc et l'Espagne. Une activité saisonnière qui exige par ailleurs de gros capitaux pour pouvoir faire face à une concurrence exercée par des compagnies étrangères profitant à la fois de subventions et d'exonérations fiscales. C'est la saison haute dans l'activité de transport maritime de passagers. Un rush qui commence chaque année au mois de juin pour ne connaître ses premiers signes d'essoufflement qu'à la fin du mois d'août, voire au début septembre. L'activité est par essence saisonnière : trois mois de ruée, et puis rien, le vide presque total. Et pourtant, cette caractéristique du marché, contraignante à première vue, n'a pas empêché des compagnies de différentes nationalités d'investir ce créneau qui vise une communauté d'environ 3 millions de Marocains établis en Europe, et qui transite essentiellement par les ports de Tarifa, d'Algésiras et d'Almeria. Selon des estimations non officielles, ce marché pèse aujourd'hui environ 5 milliards de DH, si l'on se base sur les statistiques de 2008 ayant enregistré 4 millions de passagers (entre entrées et sorties) et un million de voitures. Même des compagnies qui étaient spécialisées par le passé dans des destinations de niche ont finalement cédé à la tentation du détroit. L'exemple de D. Nautas Al Maghreb (Balearia) est édifiant à plus d'un titre. Les Espagnols veulent leur part du gâteau Créée en 2003, elle est filiale de la compagnie Balearia, connue par le passé comme leader sur le marché des communications maritimes dans les îles Baléares (Espagne). «Le marché Baléares ayant montré ses premiers signes de saturation, la compagnie a prospecté ailleurs », explique Najib Cherfaoui, expert maritime et portuaire. La compagnie a d'abord commencé par le marché de Sebta avant d'étendre ses tentacules vers les ports de Tanger et Algésiras avec un navire à grande vitesse, ce qui lui permet de faire la traversée en seulement 1h 30 et de proposer jusqu'à 4 départs par jour. Mais sur le chapitre des opérateurs espagnols, Nautas Al Maghreb est loin d'être le seul à avoir saisi l'intérêt que représente le marché. Bien au contraire. D'ailleurs, du point de vue présence, il se situe loin derrière deux gros intervenants étrangers. La plus ancienne est l'espagnole Accionna Transmediterranea qui, créée en 1917, devient carrément une société d'Etat en 1978. Résultat des courses : la flotte est rénovée et de nouveaux bateaux s'y incorporent. Mais la vraie mue date du début des années 2000, quand l'entreprise est privatisée et adjudiquée au consortium formé principalement par Acciona Logística (avec une participation de 60%) et d'autres entreprises. Actuellement, Acciona dispose de la majorité des actions dans une entreprise qui dispose d'une flotte moderne, composée de 45 bateaux. Rien que pour la ligne Tanger-Algesiras, elle opère avec un navire à grande vitesse et un navire conventionnel. Mais en matière de vitesse de la traversée, FRS (Ferrys Rapidos Del Sur), propose la traversée la plus rapide du Détroit de Gibraltar, reliant par exemple Tarifa à Tanger en seulement 35 minutes. «FRS, qui a remporté un succès inattendu, et Accionna, contribuent toutes les deux à hauteur de 50% au trafic des passagers dans le détroit», explique Najib Cherfaoui. Expliquer la présence des opérateurs… Seulement, un point est à mettre en exergue pour expliquer ne serait-ce qu'en partie la présence de ces opérateurs sur des liaisons peu classiques. « Il s'agit des subventions qu'accorde l'Etat espagnol aux opérateurs présents sur certaines destinations, notamment la liaison Algesiras-Sebta et Alméria-Melilla », lance Cherfaoui. «En effet, les subventions dont bénéficient les compagnies espagnoles ainsi que la quasi-exonération de l'impôt sur les sociétés nous obligent à mener une réflexion stratégique sur la compétitivité des compagnies marocaines qui pourraient envisager un rapprochement», poursuit Samir Abdelmoula, directeur général de Comarit. Référence donc faite à un mariage en vue entre Comarit et IMTC, fondée en 1987 par son actuel propriétaire, le commandant Karia. Une union dont on ne connaîtra pas les détails. Mais il ne s'agit pas du premier rapprochement dans l'histoire des compagnies maritimes marocaines. La dernière en date concerne notamment le rachat par Comarit de Comanav Ferry. Un pas qui n'a pas manqué d'impacter l'activité de la compagnie appartenant à la famille Abdelmoula. «L'activité de transport maritime de passagers représente à peu près 84% du chiffre d'affaires du groupe Comarit-Comanav Ferry, soit à peu près 1,8 milliard de DH sur un total de 2,2 milliards», explique Abdelmoula junior. Dès lors, une question se pose avec acuité : y a-t-il de la place pour de nouveaux arrivants sur le marché ? «Le marché entre le Maroc et l'Espagne représente 30% de moins que le trafic existant entre la Finlande et la Suède assuré par deux opérateurs seulement», lance Samir Abdelmoula tout de go. Et de poursuivre : «cette activité est tellement capitalistique que la taille critique est un élément déterminant pour engager les investissements requis, qui sont de 250 millions d'euros». Abdelmoula ne s'arrête pas là. Il donne même des exemples pour illustrer son raisonnement. «Le rachat de Limadet, Ferrimaroc, Euroferrys et Comanav, ainsi que la faillite de Reduan Ferrys, sont des éléments qui confirment cette approche». Autant d'exemples qui ne font que reproduire ce qui se passe en Europe, via un mouvement de concentration à même de permettre d'atteindre la taille critique. Comment IMTC a su s'imposer Les obstacles aux nouveaux entrants se comptent à la pelle dans l'histoire du transport maritime au Maroc parmi les armateurs privés marocains. Dans son livre sur le secteur, qui sortira dans quelques semaines, Najib Cherfaoui, expert maritime et portraire, raconte dans les faits comment IMTC a pu dépasser les contraintes qui l'empêchaient d'exercer dans des conditions normales. « Interdit d'eaux du Détroit, ce navire Atlas de l'IMTC a été immobilisé près de quatre mois au port de Tanger en l'an 2000. Cet armement veut alors desservir la ligne de car-ferry Tanger-Algésiras. La Marine Marchande marocaine refuse de lui donner l'autorisation. Ironie du sort, l'IMTC s'en remet à l'Union Européenne et met en avant l'accord signé en 1979 entre le Maroc et l'Espagne, amendé en 1992 pour rendre la ligne à accès équitable, libre et non discriminatoire. L'IMTC finit par obtenir gain de cause le 16 septembre 2000, après, tout de même, la haute saison », raconte-t-il. Mais ce ne sont que des pages tournées. Car aujourd'hui, IMTC, qui intervient aussi dans le transport de passagers, est essentiellement présent dans le transport de marchandises. Cette compagnie maritime marocaine, qui a débuté avec un seul navire opérant sur le détroit de Gibraltar, est aujourd'hui la première société maritime privée au Maroc en nombre de navires et en tonnage transporté. Elle possède 11 navires, 2 car-ferries, 7 porte-conteneurs, 2 navires rouliers. Au cours des cinq dernières années, le chiffre d'affaires du groupe a augmenté en moyenne de 20 % par an.