Arrivé dans le Royaume en 1943, L'Oréal n'a pas pris la moindre ride. Bien au contraire, la filiale marocaine du N°1 mondial des cosmétiques se porte bien, voire très bien. Son secret ? «Nous devons réaliser chaque année le double de la croissance du marché national des cosmétiques, qui se situe à 15 %». Dixit Hervé Streichenberger, directeur général de L'Oréal Maroc. C'est en fait autour de ce leitmotiv qu'est bâti aujourd'hui tout le business de l'inventeur de la formule «puisque vous le valez bien» au Maroc. Depuis 2007, bon an, mal an, l'Oréal Maroc réussit à atteindre cet objectif. Certes, le Royaume est encore loin de la dépense moyenne de 80 euros enregistrée aux Etats-Unis, en Europe ou au Japon, mais la consommation des produits cosmétiques y est en forte croissance et de manière régulière. La filiale marocaine du N°1 mondial des cosmétiques devrait réaliser 400 millions de DH de chiffre d'affaires en 2009, pronostique son directeur général. C'est une hausse de plus de 30 % sur un an. Que de chemin parcouru par le géant mondial qui a mis les pieds au Maroc en 1943. Le dilemme industrie importation Cette année-là marque l'installation du groupe français au Maroc sous la dénomination « Union pour la fabrication, le commerce et l'industrie ». L'outil industriel de cette dernière avait été installé pour produire localement des produits à petits prix. C'est ainsi que le cosméticien démarre bien l'étape marocaine avec sa marque fétiche «DOP». «C'était une affaire merveilleusement bien gérée et tournée surtout vers la grande masse», rappelle Hervé Streichenberger. En tout cas, il en sera ainsi jusqu'en 1998. Cette première phase, qui a duré 57 ans, n'a permis à L'Oréal de réaliser au Maroc qu'un chiffre d'affaires de 100 millions de dirhams. Le géant mondial décide alors de revoir sa stratégie sur le Maroc. Il change de cap en arrêtant de produire localement. Cette fermeture de l'outil industriel va de pair avec une ambition commerciale clairement affichée de miser désormais sur la grande qualité «oréalienne». Au bas mot, le cosméticien décide de ne plus se contenter de ne distribuer que des produits populaires dans le Royaume (des berlingots DOP par exemple). «Nous nous sommes dit que le Maroc méritait les grandes marques de L'Oréal, c'est-à-dire le meilleur, car le pays a le même niveau d'exigence en matière de produits de beauté que les autres grands pays du monde. C'est à partir de là que notre business a décollé», constate Streichenberger. Le marché local est alors approvisionné à partir de toutes les usines de la multinationale implantées dans le monde. Ainsi, 80 % des produits commercialisés dans le Royaume proviennent des unités européennes. Les Etats-Unis et l'Inde l'alimentent pour leur part chacun à hauteur de 10 %. Le résultat ne se fera pas attendre. En un peu plus de six ans, L'Oréal a vu son chiffre d'affaires doubler. Dans la foulée, il fut décidé de faire du Maroc une des grandes filiales du groupe. Seul pays d'Afrique du Nord érigé en filiale par le leader mondial (la Tunisie et l'Algérie étant des agents), le Maroc a vu l'histoire de L'Oréal s'infléchir. «Pour le groupe, le marché marocain est devenu un relais de croissance et à ce titre, il a un caractère stratégique», justifie le directeur général de L'Oréal Maroc. Il n'empêche que la maison mère de la filiale marocaine va adopter une nouvelle approche pour le marché national à partir de 2005, inaugurant du coup sa troisième grande phase depuis son installation dans le Royaume. Cette année-là, la filiale marocaine change de gouvernance. En effet, pour les responsables de la firme, le marché marocain présente tous les signaux propices au déploiement de la quasi-totalité de leur portefeuille de produits. Selon Streichenberger, trois principaux facteurs expliquent ce développement prévisible du marché. Cap sur les marques Primo, le développement du libre-service. Jadis cantonnée à Casablanca et Rabat, la grande et moyenne distribution fait désormais partie du paysage des villes moyennes. Ce sont autant de vitrines pour les marques de cosmétique qui se rapprochent ainsi du consommateur. Secundo, la baisse des droits d'importation découlant des engagements de l'accord d'association avec l'Union européenne a contribué au recrutement d'une nouvelle catégorie de clientèle, même s'il est difficile d'en évaluer l'impact réel. Actuellement, le cosmétique est soumis à 3% de droits de douane. Tertio, il y a l'effet de ce que le patron de L'Oréal Maroc qualifie de «révolution féminine», la promotion des femmes aux responsabilités, que ce soit dans le privé ou le public, et l'arrivée à maturité de la «génération parabole». Le tout accompagné par la réforme du statut de la famille et le succès d'une presse féminine qui contribue à prêcher le «paraître bien» à ses lectrices ainsi qu'à ses très nombreux lecteurs. «La première chose à laquelle pense une femme lorsqu'elle a un peu d'argent, c'est de prendre soin d'elle», explique le directeur de L'Oréal. Aujourd'hui, un produit cosmétique équivaut presque à un bien de première nécessité. «La mission de L'Oréal est de rendre la beauté accessible». Malgré tout, quel est actuellement le secret de L'Oréal Maroc pour réussir à aller deux fois plus vite que la croissance du marché national ? « Nous avons travaillé nos marques et pas les produits. Parallèlement, nous avons réaménagé notre politique des prix de manière à préserver notre compétitivité et nos positions, sachant que la tentation de succomber aux sirènes de l'approvisionnement est grande pour nos clients. En effet, plus l'offre est large, plus le consommateur va être tenté. Au-delà, nous avons beaucoup investi aussi dans la publicité », explique Streichenberger. Si tout cela est rendu possible grâce à la libéralisation du marché et à la baisse des droits de douane, au final, ceci se ressent au niveau des marges, mais en volume, la marque a récupéré ses parts de marché qui sont d'ailleurs passées à 20% en 2008 contre 18% en 2007. Toujours est-il que cette libéralisation n'a pas apporté que de bonnes nouvelles pour l'Oréal Maroc. Certes, elle aura été efficace contre la contrebande, mais ce phénomène reste malgré tout actif. L'Algérie, et dans une moindre mesure l'Espagne, sont les deux pourvoyeurs de ces réseaux parallèles. Pour cela, le cosméticien n'a d'autres moyens que d'essayer d'aligner ses prix. Mais ce qui hante surtout son sommeil, c'est la contrefaçon. « Nous sommes aidés dans notre combat contre la contrefaçon par la Justice et la Douane. Récemment, avec l'aide de cette dernière, nous avons réussi à bloquer tout un conteneur de produits contrefaits dédiés à la protection solaire pour enfants », confie le patron de L'Oréal Maroc. Mais avec la crise économique, la multinationale, à l'instar de tous les cosméticiens, n'est pas à l'abri. Car la beauté figure au poste de dépense que le consommateur revoit à la baisse. La filiale marocaine anticipe déjà cette tendance en s'inscrivant dans la logique des petits conditionnements.