Pourquoi revenir en arrière et s'intéresser à la manière dont Hassan II a géré les crises de son ère ? Pour s'en inspirer ? Sûrement pas, puisque les contextes d'hier et d'aujourd'hui ne sont pas les mêmes. Les natures des crises non plus d'ailleurs. Pourquoi alors ? Simplement pour tirer, dans une certaine mesure, des leçons et agir en conséquence. Le Maroc est, depuis des décennies, dans une crise quasi permanente. Il est donc important de comprendre la genèse de la situation économique actuelle. Lorsque Hassan II accède au trône, le Maroc est décolonisé sans être décolonisé. « Lorsqu'un pays devient indépendant, ses colons s'en vont. Chez nous, ils sont restés », tient d'abord à préciser Najib Akesbi, universitaire. Dès lors, l'on perçoit la touche du roi. Il laisse une catégorie de bourgeois prendre le relais, petit à petit, des colons. « Il organise lui-même les transferts. Il veut que les élites lui soient fidèles parce que redevables », étaye Akesbi. C'est une démarche que feu le roi a préméditée. Il lui fallait s'allier à de nouvelles élites, urbaines mais aussi rurales. Il a donc ouvert les vannes pour ces populations de privilégiés. Il a même constitué une importante réserve de terres agricoles de près de 300.000 hectares. Le but étant de lui permettre de les distribuer lorsqu'il le souhaitait. Pour Hassan II, ce qui primait en fait, c'était l'ordre et la sécurité. En d'autres termes, il voulait la paix en milieu rural et cela, au détriment de son développement. Ce sont donc ces élites qui ont profité du système. Et selon Akesbi, Hassan II serait même allé encore plus loin pour encourager leur expansion. La politique des barrages s'inscrivait dans cette perspective, car elle a permis à une certaine élite de s'accaparer des terres valorisées par les fonds publics. Le premier accord d'association avec l'Union Européenne, datant de 1969, aurait été, entre autres, conclu pour permettre à la bourgeoisie de mieux prospérer. Il fallait trouver un cadre pour écouler la production rurale et urbaine. « Ce modèle est assez primaire. Hassan II voulait enrichir la nouvelle élite en ayant des objectifs sécuritaires pour trouver de nouvelles alliances. Il a complètement délaissé la population et a même oublié d'intégrer les anciennes élites ». Ce sont les coups d'Etat qui lui ont fait prendre conscience de l'importance d'une autre sphère composée de militaires, d'intellectuels… En récupérant des terres et en les offrant à son entourage, Hassan II va donc amadouer une autre élite issue de tous bords. Quant au développement économique pur et dur du pays, il ne s'en soucie que très peu. En témoigne ce qui s'est produit durant les années 1980 (cf encadré). En 1993, c'est la fin des années des programmes d'ajustement structurel (PAS). Le temps n'est pas au beau fixe. Les effets du PAS sont négatifs. Ses objectifs ne sont pas atteints. Une crise sociale est au bord de l'éclatement. Le roi sent qu'il faut agir. En 1995, il prend à témoin l'ensemble de la population en lui annonçant, dans un de ses discours, que le Maroc est au bord de la crise cardiaque. « Il devait voir la fin arriver. Il prend conscience qu'il n'est plus question de subversion politique mais de dangers économiques. Et comme Hassan II ne sait pas inventer des solutions économiques, il va penser à des subterfuges politiques lui permettant de faire d'une pierre plusieurs coups. Il va récupérer l'opposition (USFP), une nouvelle élite gauchiste… C'est le couronnement. Mais pour y arriver, il doit d'abord verrouiller les structures de l'Etat. Il consacre les pouvoirs des secrétaires généraux de l'administration centrale, il accorde aux walis des pouvoirs… Hassan II a donc essayé d'établir un ordre convenable pour que son fils assure la continuité », conclut Akesbi. 1964 Première crise financière C'est la première crise d'ordre financier qui se produit au début du règne de Hassan II. Une crise budgétaire, une crise de la balance des paiements…. Pour la première fois, les institutions financières internationales comme le FMI et la Banque Mondiale font leur apparition au Maroc de manière prononcée. « Elles inspirent les gouvernants sur la politique des barrages, le tourisme, la formation, le développement des industries légères (textile…), l'agriculture… », indique Najib Akesbi. C'est donc ces institutions qui vont imprimer de leurs empreintes les premières orientations en matière économique. 1972-1978 Crise des finances publiques Le Maroc sort d'une période de stagnation où, malgré l'essor de la politique des barrages, la croissance reste molle. Deux coups d'état, une conjoncture internationale qui n'est pas au top (chocs pétroliers…)… Le tableau est brossé. Pourtant, au début des années 1970, le Maroc s'est laissé emporter par l'espoir généré par le secteur des phosphates. Il a même décidé de revoir ses prévisions à la hausse. «On s'est lancé dans une politique d'investissement accrue. Le taux y afférent a explosé mais les recettes ont baissé. Le relais entre les deux a consisté alors à recourir à l'endettement. C'est ce qui va programmer la crise suivante», explique Akesbi. Le recours aux bailleurs de fonds étrangers notamment, à des taux d'intérêt très élevés, avec des échéances de remboursement assez courtes (les pires des conditions), ont finalement conduit à une « croissance artificielle fondée sur ces prêts », reconnaît l'universitaire. 1978, la crise des finances publiques se montre au grand jour. C'est la surchauffe. Pendant deux années ou trois, les pouvoirs publics essaient de résister en pensant trouver les solutions qu'il faut. On met en place un plan d'austérité 1983 La faillite Malgré les tentatives de stabilisation macro-économique, les résultats ne sont pas probants, d'autant que le deuxième choc pétrolier amplifie la crise. Le Maroc est en faillite. Les devises ne couvrent que 10 jours d'importation. La situation est catastrophique. Il n'y a plus rien faire. Hassan II, et son gouvernement, décident de livrer officiellement le pays au FMI, celui-ci intervenant déjà officieusement depuis plusieurs années sur un certain nombre de dossiers. « Hassan II s'en remet aux institutions internationales pour mettre de l'ordre. Il leur confie la gestion économique du pays », souligne Najib Akesbi. Il ne l'aurait pas fait de manière aveugle. Selon certains observateurs, il est vrai qu'au final, nous avons mis en pratique l'ensemble des directives des institutions financières, mais nous avions quand même tenté de résister. C'est le cas par exemple entre 1985 et 1986, quand Hassan II décide de faire passer la superficie des terres de blé tendre à 2 millions d'hectares, contre 400.000 à 500.000 hectares. La Banque Mondiale s'y opposait. Nous l'avons pourtant fait. Idem en ce qui concerne les réformes sur les prix et les subventions. Si l'on s'en était référé aux intentions des institutions internationales, les aides auraient disparu. Cette décision aurait pu avoir de très lourdes conséquences sur le volet social. Mais ce ne serait pas la raison qui aurait poussé Hassan II à la prendre. « Cette décision n'a pas été prise à mon sens pour préserver le niveau de vie des pauvres, mais c'est une résistance qui a servi à protéger les affaires et les intérêts de la monarchie. Ce qui était en question, c'étaient les rentes sur le budget de l'Etat que s'accaparaient des filiales (Lesieur, Centrale Laitière…) de l'ONA», dixit Akesbi. 1995 La crise cardiaque Les différents programmes d'ajustement structurel laissent de lourdes séquelles. Le Maroc n'a pas avancé en matière de compétitivité. Les indicateurs sociaux sont au plus bas. Hassan II en prend conscience. D'un rapport commandité à la Banque Mondiale, il reprend une expression légendaire : le Maroc est au bord de la crise cardiaque. Venant du monarque, ces propos sont plus pénétrants que s'ils provenaient de quelqu'un d'autre. Dès lors, il concocte des scénarii pour s'en sortir. Ils ne sont pas économiques mais plutôt politiques.