Hassan II n'aimait pas l'économie. Sa manière de gérer les crises le démontre bien. C'est pour assurer la sécurité, l'ordre et avoir la paix que le défunt roi tentait, de temps à autre, de régler les problèmes économiques à sa façon. Durant les deux premières décennies de son règne, il a autorisé certaines élites à s'enrichir en se « servant » dans les ressources publiques. En 1983, il cède la gestion économique aux institutions financières internationales. En 1995, le Maroc est au bord de la crise cardiaque. Hassan II la gère non pas économiquement, mais politiquement. Lorsque Mohammed VI accède au trône, la situation est pérenne. Le contexte national et international est complètement différent du précédent. Beaucoup de choses ont changé. Mais des problèmes continuent à se faire sentir : justice, enseignement, corruption, faiblesse de la croissance… Depuis près de 10 ans maintenant, le Maroc n'a cependant plus connu les réelles crises du passé. Celle qui nous guette aujourd'hui est importée de l'étranger. Nous la subissons. Le gouvernement fait-il le nécessaire ? Quelles sont les solutions envisageables ? Analyse. Depuis quelque temps, on essaie de nous convaincre que les réformes menées ici et là font évoluer l'économie et améliorent son taux de croissance. Faut-il y croire ? Ne nous leurrons pas. Chaque année apporte son lot de vérités. Nous avons effectivement réussi certaines transitions, mis en place de nouvelles procédures, de nouvelles stratégies sectorielles, tenté de mettre à niveau des entreprises, modernisé des administrations…Cela nous permet-il de réaliser quelques points supplémentaires de croissance? Cela y contribue. Mais… Les officiels sont ravis d'annoncer en grande pompe qu'en 2009 par exemple, année de tous les dangers pour le reste du monde, nous allons tirer notre épingle du jeu. C'est une bonne nouvelle. Mais les différents chantiers menés ne nous y conduiront pas à eux seuls. Le moteur de la croissance reste encore l'agriculture. L'état de notre économie n'est ni entre les mains du pouvoir ni entre les mains des étrangers, mais bel et bien entre celles de Dieu. Le bon niveau de pluviométrie permettra d'atteindre une bonne campagne agricole. C'est elle qui sauvera la mise. Le secteur tertiaire, qui, il n'y a pas si longtemps, réussissait à prendre le dessus sur le primaire, devrait se rétracter. Ceux sont là les prévisions du Centre Marocain de Conjoncture (CMC). Le PIB non agricole en 2009 devrait perdre un point comparativement à l'année précédente. « Ce repli des services est lié à l'incidence de la crise mondiale », indique-t-on. Ce qui risque donc de nous arriver (et on n'y sera pratiquement pour rien), c'est ce que le ciel voudra bien nous donner. Pas lieu de comparer... Ce constat n'est pas une nouveauté en soi. Nul ne l'ignore. Et pourtant, malgré les efforts fournis ces deux dernières décennies notamment, on retombe sur lui à chaque fois. Qu'est-ce que cela veut dire ? Tout simplement que le Maroc opte probablement pour des choix économiques qui ne sont pas forcément les meilleurs. Ne soyons tout de même pas ingrats. D'importants chantiers ont été menés. Des avancées ont été ressenties sur plusieurs plans. Mais ce n'est pas encore suffisant. Le Maroc vit toujours des crises. C'est ce qui fait dire à cet économiste qu'il ne comprend pas pourquoi on accorde aujourd'hui tant d'importance à cette crise importée, alors que le Maroc vit dans une « crise » permanente depuis des décennies. Sous l'ère de Hassan II, l'économie était reléguée au dernier rang. Le défunt roi s'y intéressait principalement pour assurer l'ordre et la sécurité. Cette politique a montré ses limites. Dès les années 1980, le pays est en faillite. La main tendue des institutions internationales est saluée. Mais elle ne règle pas nos problèmes. Au début des années 1990, on se rend compte que les programmes d'ajustement structurels n'ont pas atteint leurs objectifs. Pire encore, ils ont creusé un fossé social sans précédent. Et rebelote. Il a fallu penser à de nouvelles solutions pour rectifier le tir. Sur le plan économique, l'alternance, la conjoncture aidant, met en place des programmes de privatisations, des réformes tous azimuts, des politiques de modernisation… L'avènement de Mohammed VI en 1999 donne un coup de fouet à l'économie. Le monarque a une fibre économique et sociale. Il lance alors la politique des « grands travaux » : projets d'infrastructures de base, de réaménagement des grandes villes, INDH... Chacun des deux monarques a donc manifesté sa touche personnelle dans la gestion économique, chacun dans un contexte national et international différent. C'est pour cela qu'il n'y a pas lieu de comparer. Il faut dire aussi que depuis l'ascension du roi Mohammed VI au trône, aucune crise n'a atteint l'ampleur de celles du passé. Même la crise que nous ressentons aujourd'hui au niveau de quelques secteurs économiques n'est qu'importée. Nous la subissons. Nos vrais problèmes à nous, ils sont plutôt maroco-marocains. Et comme dirait Azzedine Kettani, avocat d'affaires: « notre économie a connu des crises multiples et variées, même lorsque l'économie mondiale n'en connaissait pas et nous sommes « capables » d'avoir nos crises à nous avec des causes bien à nous ». Une industrie basée sur des métiers volatils Le Maroc bouge. Mais quelque chose lui manque encore. L'enseignement, la formation, la justice, le climat des affaires… Voilà ce qui fait encore défaut. Mais pas uniquement cela. L'industrie également. Malgré les plans Emergence I et II, la politique entamée dans ce secteur devrait, de l'avis de beaucoup de spécialistes, être révisée. Un grand cabinet, McKinsey en l'occurrence, s'est basé sur des documents qu'on a bien voulu lui remettre pour établir son diagnostic et décliner un plan d'action qui a abouti à Emergence, un programme qui tient compte des nouveaux métiers du monde. « Ce diagnostic, établi sur la base d'informations anciennes, ne peut que conduire à des résultats faussés. Faut-il, chaque fois que nécessaire, réajuster ces métiers au vu de ce qui se passe dans le monde ? A-t-on les moyens de le faire ? Des branches comme l'offshoring ou les centres d'appels sont très volatiles. Est-il sensé de bâtir une stratégie sur des métiers qui peuvent, si la conjoncture s'y prête, s'évaporer en un clin d'œil? Est-ce raisonnable de concentrer les faibles ressources dont on dispose dans des secteurs aussi éphémères ?», s'interroge un économiste. Toutes ces interrogations ne peuvent que nous pousser à réfléchir sur leurs réponses. Il faut ajouter à ce niveau que le monde d'aujourd'hui est en train de changer. Beaucoup de pays prônent davantage de protectionnisme (quoiqu'un certain nombre d'entre eux le pratiquaient déjà, mais de manière déguisée). Barack Obama, le président américain, n'a-t-il pas défendu à un certain moment l'idée du « buy american » ? Imaginons que les dirigeants des principaux pays partenaires du Maroc en fassent de même ! Ce sont des réalités qui devraient pousser le gouvernement à ne plus penser seulement à la gestion quotidienne, à court terme mais aussi à long terme. C'est maintenant que des décisions stratégiques doivent être prises. Des mesures à effet d'aspirine Le gouvernement en a pris dernièrement quelques-unes dans le cadre des mesures d'urgence « anti-crise » dédiées à trois secteurs, le textile, l'automobile et le cuir. Il s'agit du paiement par l'Etat des charges patronales, de la mise en place par la Caisse Centrale de Garantie de deux produits de garantie, de la prise en charge par l'Etat de certains frais de promotions… Pour quelques observateurs, il est vrai que des mesures s'imposaient, mais elles ne seraient pas les meilleures. « Elles font juste l'effet d'aspirines qui vont calmer la douleur momentanément », rapporte un opérateur. C'est dans cette conjoncture qu'économistes, anciens hauts responsables ministériels, universitaires…, ont proposé des pistes. Certains veulent créer un pacte national pour cadrer et donner une vision globale à tous les plans sectoriels (cf interview Habib El Malki). D'autres prêcheront la relance de l'économie par le renforcement de la demande intérieure (cf article sur le pouvoir d'achat). Elle est programmée cette année, mais aura-t-elle vraiment un impact fort sur la consommation des ménages ? Fathallah Oualalou, l'ex-ministre des Finances, souffle pour sa part l'idée selon laquelle le politique devra être réhabilité (cf encadré). Des solutions relatives à la préservation des emplois sont aussi préconisées. Une autre frange suggère de réajuster la politique monétaire, même si Oualalou doute qu'elle ne soit vraiment chamboulée. «Notre système financier est « déconnecté » malgré les mesures de libéralisation instaurées depuis quelques années. Ce qui est bien, c'est que la réglementation correspond à la nature de l'insertion économique de notre pays dans le monde. Il ne faut donc pas poser les termes de la politique monétaire comme ailleurs. Je pense néanmoins que la régulation va s'imposer de plus en plus dans le système bancaire, au niveau de la gouvernance… Il devrait y avoir un meilleur contrôle ». Et il y a ceux qui souhaitent qu'un nouveau mode d'industrialisation générant plus de valeur ajoutée voit le jour. Une proposition qui, cependant, n'est pas encore ficelée, puisque ceux qui la défendent n'arrivent pas encore à déterminer ses différentes composantes. « Le gouvernement est payé pour cela, à lui de trouver la trame à développer dans le cadre de ce nouveau mode industriel qu'il nous faut », ironise un économiste. Si des personnes veulent le changement, elles doivent présenter concrètement ses différents axes pour qu'ils soient soumis à débat. Tout le monde devrait alors s'y mettre. Il y a du pain sur la planche, surtout lorsqu'on sait que les effets de la crise ne sont pas encore tous connus. Chaque jour, elle apporte son lot d'événements et ses sorties ne sont pas maîtrisées, même si certains avancent l'année 2013. « Nous devons rester sereins et volontaristes. Il est vrai que nous sommes moins touchés que les autres, mais il ne faudrait pas penser que nous sommes à l'abri. Sur le long terme, il est dangereux de dire que le Maroc ne connaîtra pas de crise», reconnaît Fathallah Oualalou. Cette crise (importée de l'étranger) va avoir des répercussions sur notre économie, parfois négatives mais d'autres fois positives (repositionnement…). Tout ceci ne devrait pas nous faire oublier une chose. Il est vrai que la politique, décriée souvent, en matière de contrôle des changes, a été salutaire, puisque nos marchés financiers, et les épargnants, n'ont pas été affectés. « Les restrictions en matière de change n'avaient pas ce but et ne sont pas motivées par le désir d'éviter un tel risque. Mais cela a servi », dixit Azzedine Kettani. C'est une chance que nous avons eue. Mais gare à ce qui nous attend en interne. Beaucoup de chantiers restent ouverts. Fathallah Oualalou, ex-ministre des Finances Le politique va être réhabilité Le monde est en train de changer et les pays développés d'abord, ceux en voie de développement ensuite, n'en sortiront pas complètement indemnes. L'histoire même de leur politique économique sera marquée de séquelles. Pour Fathallah Oualalou, l'ex-ministre des Finances, l'une des nouveautés résidera dans la réhabilitation de l'Etat dans le fonctionnement de l'économie mondiale. « Cela devra changer chez nous aussi. L'Etat régulateur, l'Etat stratège, l'Etat sauveur va jouer un rôle plus important. Nous assisterons à une réhabilitation du politique au détriment de la technocratie», soutient Oualalou. Ajoutez à cela une multipolarité dans le monde qui va se renforcer. « C'est une chance pour nous mais cela nécessitera la constitution d'un Maghreb fort et le développement du partenariat euro méditerranéen. De nouvelles forces motrices vont également émerger : transition énergétique et intérêt accru pour l'environnement. Nous devrons en profiter », explique-t-il. L'économie interpelle aujourd'hui le politique. Même les plus libéraux le pensent. Sans cette réhabilitation du politique, l'universitaire est donc convaincu que nous ne pourrons pas être au rendez-vous après la crise. Thami Kabbaj, analyste financier Pas que du bon dans le protectionnisme Il y a un retour massif au protectionnisme. C'est en effet une situation récurrente dans les périodes de crise économique durant lesquelles la plupart des pays se replient sur eux-mêmes et ont tendance à privilégier les entreprises nationales. Ce fut le cas après la crise de 1929, quand les États-Unis ont augmenté fortement leurs tarifs douaniers, et cela a engendré une situation similaire dans les pays européens. Le protectionnisme semble être une solution idéale, car il répond aux peurs et aux angoisses des personnes touchées par la crise. Or, cette solution est loin d'être parfaite, car l'histoire montre que ses conséquences sont souvent dramatiques. Le libre-échange a sans doute des conséquences marquées sur certaines catégories de la population, mais il est difficile d'y échapper. En Europe, l'industrie a été touchée de plein fouet par les délocalisations. Au Maroc, le libre-échange montre déjà ses limites, avec un déficit commercial marqué dans certains domaines. Toutefois, le déficit commercial n'est pas nécessairement dommageable lorsque l'économie est dynamique et vigoureuse et que les dépenses s'orientent avant tout vers l'investissement et non vers la consommation des ménages. Les réformes de libéralisation ne doivent donc pas être évitées, mais au contraire accompagnées et explicitées. Il y a également tout un travail pédagogique à faire au niveau du tissu industriel, mais également au niveau de la formation. Plusieurs études montrent que les économies asiatiques ont dès le départ embrassé le libre-échange et elles se sont pourtant révélées plus compétitives que les économies africaines, qui ont privilégié un certain protectionnisme. Le protectionnisme peut être bon dans un premier temps. L'économiste allemand Friederich List a d'ailleurs mis en avant le concept de protectionnisme éducateur, qui permet aux industries naissantes d'être protégées durant les premières étapes pour renforcer leurs fondations et être capable d'affronter la concurrence dans les étapes ultérieures.