Une stratégie nationale de prévention des risques au sein de l'entreprise verra prochainement le jour. La Commission nationale, qui regroupe le public et le privé, a déjà émis ses recommandations. A quelque chose malheur est bon… Les deux drames de Lissasfa (Rosamor) à Casablanca et Fès ont eu le «mérite» de sensibiliser la communauté des patrons aux questions de sécurité et de prévention des risques. Même la commission nationale (département Industrie, AMITH, CGEM, fédération des assurances et réassurances, Finagri…), chargée par le Roi d'établir une liste de recommandations, a accompli sa mission en peu de temps. Aujourd'hui, ses recommandations sont là. Le temps est venu de passer à l'action, à l'issue des rencontres de la prévention, qui ont eu lieu les 29 et 30 janvier dernier à Casablanca, et ont mêlé des interventions d'experts publics et privés et internationaux et des modes d'applications techniques. Le message est aujourd'hui clair. Tout le milieu patronal est sensibilisé. Du côté de la CGEM en tout cas, la sensibilisation est de mise. «Nous travaillons à sensibiliser les entreprises à la gestion des risques, à sécuriser le personnel et à protéger les installations. Du point de vue de la compétitivité économique, les enjeux sont humains, économiques et environnementaux. Il faut que la réglementation soit appliquée et qu'il y ait du contrôle. Les règles appliquées, c'est dans l'intérêt de l'entreprise. Il ne faut pas y voir un surcoût. Quant aux recommandations émises par la commission nationale, il faut du sérieux à tous les niveaux. Il faut qu'elles soient applicables et appliquées sur le terrain», déclare Saïd Mouline, président de la Commission Environnement de la CGEM. Recommandations pour une stratégie globale Parmi les recommandations de la commission nationale, on trouve des normes et des textes de loi qui renforcent la réglementation en vigueur. «La réglementation en vigueur n'est pas exhaustive. Il y a des textes qui datent du début du siècle écoulé. Et il y a aussi des normes qui ne sont pas tout à fait respectées», assure Khalid Missaoui, président du centre nord-africain de prévention et de protection, qui organise annuellement Les rencontres de la Prévention. Pour Abdellah Nejjar, Chef exécutif du service de normalisation industrielle marocaine, et directeur de la normalisation et de la promotion de la qualité au ministère de l'Industrie, la réglementation en vigueur s'applique selon des normes en matière de sécurité qui sont en majorité volontaires. «Il faut que la réglementation fixe des exigences et les moyens de sécurité. Par exemple, le code du travail renferme quelques dispositions relatives à la sécurité, mais qui restent vagues et trop techniques, et qui s'appliquent à des normes qui sont en majorité volontaires ou indirectement obligatoires. Ce dont on a besoin, c'est d'une réglementation spécifique, des définitions claires de tous les aspects, une réglementation qui fixe les exigences et les moyens en matière de sécurité. Le code du travail stipule que l'employeur doit poser des conditions de travail saines. Mais sans expliquer ce que veut dire saines. Concernant les moyens de sécurité, les extincteurs pour ne citer que cet exemple, on ne définit pas les caractéristiques ou le type de produit qui doit être utilisé», explique-t-il. En effet, la plupart des entreprises qui étalent des produits en bois s'approprient des extincteurs poudre de type BC alors qu'elle doivent choisir un extincteur de type A (bois, papier…). A l'opposé, les entreprises qualifiées sont certifiées en matière d'installation des moyens de sécurité. C'est le cas des grands groupes, qui respectent les normes en matière de sécurité et de santé au travail. Le centre statuera en matière de sécurité Censées combler ces lacunes juridiques et techniques, les recommandations de la commission nationale seront déclinées en actions sur le terrain, affirme A. Nejjar. «Ca va consolider ce qui se faisait auparavant, sensibiliser et accompagner les entreprises en leur fournissant des moyens techniques. C'est le cas du centre technique pour la sécurité, qui va former les entreprises et procèdera au contrôle de leurs installations ». Ce centre sera un outil technique qui statuera en matière de sécurité. Il faut aussi mettre en place les outils pour établir efficacement et rapidement des études de danger et des plans d'opérations internes, des plans d'urgence d'intervention de l'entreprise. En d'autres termes, il faut que le chef d'entreprise se fasse des scénarios pour faire face aux risques majeurs. Un autre point important : dans un ouvrage, il y a plusieurs lots (gros œuvres, plomberie incendie…). Et c'est souvent un plombier qui se voit charger des installations anti-incendie. Donc, il soumissionne auprès d'une entreprise à laquelle il demande de lui fournir le stock selon la commande. Mais sans se soucier de savoir si le type d'extincteur est adéquat ou pas. Aujourd'hui, toutes ces aberrations, qui sont derrière des drames comme celui de Lissasfa à Casablanca, vont être corrigées grâce aux recommandations de la commission nationale qui les a déjà remises à la plus haute autorité du pays. Et c'est une fois seulement qu'elles seront retenues qu'une stratégie nationale verra le jour. 3 questions à Khalid Missaoui, Président du Centre Nord-Africain de Prévention et de Protection Challenge Hebdo : des recommandations de la commission nationale vont être révélées incessamment par le département de l'Industrie. Ces recommandations seront-elles suffisantes pour élaborer une stratégie nationale de prévention des risques ? Khalid Missaoui : effectivement, plusieurs propositions intéressantes ont été faites par les différentes parties prenantes, aussi bien l'administration que le secteur privé, et qui convergent toutes vers une réelle prise en charge des problèmes liés à la prévention et à la maîtrise des risques. Entre autres: réviser les textes réglementaires relatifs à la sécurité et à la maîtrise des risques pour qu'ils soient évolutifs mais adaptés à la réalité de nos entreprises et promulgation des textes d'application pratiques; créer un centre technique dédié à la sécurité et à la maîtrise des risques; créer un observatoire national d'enregistrement des accidents du travail, d'évaluation et de surveillance de la performance nationale en SST; mettre en place des services interentreprises chargés de la sécurité; encourager la référence aux normes dans la réglementation sur la sécurité; compléter l'arsenal normatif actuel en adoptant des normes de sécurité dans des domaines non encore couverts; rendre l'application des normes de sécurité relatives aux domaines dangereux tels que la sécurité incendie et celle des équipements obligatoire; instituer de nouveaux Comités techniques de normalisation; et mettre en place une structure nationale de coordination et de pilotage de la politique nationale en matière de santé et de sécurité au travail. Bien entendu, tout ce qui va être retenu ne sera pas fait du jour au lendemain et demande une implication sans faille de l'ensemble des intervenants directs et indirects. Il faut également que cette stratégie soit vivante, évolutive dans le temps et permette d'intégrer de nouvelles dispositions chaque fois que cela est nécessaire. C. H. : le cadre législatif existant relatif à la sécurité et à la prévention est-il aujourd'hui dépassé ou doit-il être tout simplement revu ? K. M. : nous avons des textes qui datent du début du siècle dernier qu'il va falloir revoir et modifier en fonction du contexte actuel. Il y a également des lacunes importantes qui, je pense, vont être comblées dans le cadre de la nouvelle stratégie. C. H. : dans la région du Maghreb, comment évaluez-vous la situation du Maroc en matière de sécurité ? K. M. : c'est ce que nous avons programmé au niveau de la première séance plénière des Rencontres de la Prévention qui se sont déroulées à Casablanca les 29 et 30 janvier. Pour cela, nous avons invité des représentants algériens et tunisiens ainsi que des experts européens pour faire une évaluation de notre situation actuelle aussi bien par rapport à nos voisins maghrébins qu'européens. Globalement, nous en sommes pratiquement au même stade. Même pour les textes, je dirai qu'ils se ressemblent du simple fait que nous avons les mêmes sources d'inspiration. Pour ce qui est des défaillances, on peut les résumer ainsi : une insuffisance du cadre législatif; une harmonisation en cours des normes, standards et bonnes pratiques; une organisation lourde et lente pour approuver les études; un manque de compétence de moyens humains en cours de résorption; et une évaluation limitée des risques par rapport au concept de risque global.