Les institutionnels sont des market maker, des faiseurs et teneurs de marché. Ils soutiennent indirectement certaines valeurs mais pas d'autres. Ils créent des tendances sur des titres et pas sur d'autres. Qui sont-ils ? Comment procèdent-ils ? Les institutionnels assurent une gestion catastrophique au sein de la bourse de Casablanca. Généralement, liés par un intérêt de groupe, ils n'interviennent pas dans une logique d'investissement mais misent leur argent dans un objectif d'optimisation financière. Voilà comment un professionnel de la place, excédé par les pratiques sur le marché, les qualifie de «zinzins», ces teneurs de marché qui font la pluie et le beau temps. Ils, ce sont notamment les Organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), les caisses de retraites, les banques, les compagnies d'assurance… «Chaque institutionnel a une identité sur le marché. Et malheureusement, nous constatons un certain nombre de fois que leur placement n'est pas toujours le fruit du bon sens. Ces faiseurs de marché, qu'ils soient en groupes ou constitués en lobby, entrent parfois sur le marché pour soutenir des actions qui leur sont chères soit parce qu'elles sont des filiales, ou bien, parce qu'ils y ont un intérêt particulier », confie une source qui travaille dans la filiale d'une banque. De fait, ce sont alors uniquement une poignée de grandes valeurs qui sont principalement animées, souvent les mêmes. Les institutionnels se désintéressent des petites «capi». Cela pourrait être compréhensible dans une certaine mesure. Admettons qu'un fonds par exemple décide d'investir 500 millions de dirhams en bourse et qu'il répartisse ce montant, à parts égales, sur 10 actions. Les 50 millions de dirhams investis dans une petite capitalisation feront en sorte que l'institutionnel détienne une très grosse part de son flottant en bourse. Or, dans leur logique de placement, ces personnes morales n'aiment pas, a priori, trop franchir les seuils de 5%. En «jouant» sur les grandes valeurs seulement, c'est une grande partie du marché qui est alors délaissée. Des «small caps» perdent 20, 30 voire 40% de leur valeur parce que personne ne s'y intéresse. Les institutionnels les boudent. Et comme ce sont des faiseurs de marché, les plus petits investisseurs ne feront que suivre leur comportement. C'est pour cette raison qu'une professionnelle n'hésite pas à suggérer qu'une réglementation soit instaurée pour donner la chance à toutes les valeurs. « Il faudrait obliger les institutionnels à investir tout le marché boursier », propose-t-elle. En voilà une idée qui semble assez «folle». Aucune institution, publique de surcroît, n'aurait le droit d'imposer à des investisseurs de miser leurs billes dans telle ou telle valeur, ou carrément d'investir sur l'ensemble des titres. Notre source se rattrape : « on pourrait penser, pourquoi pas, mettre en place des mesures incitatives pour encourager ces institutionnels à investir dans les petites capitalisations ». Voilà qui est plus sensé. Les fonds ne se livrent pas de bataille Cette perception générale qu'ont certains professionnels du marché nous poussent alors à vouloir aller plus loin, à nous interroger sur le fonctionnement du marché, et plus particulièrement, sur le comportement des institutionnels. Quelles sont les spécificités de chacun ? Comment réagissent-ils ? Comment investissent-ils ? Selon les différents témoignages recueillis par les acteurs du marché, nos institutionnels n'auraient pas un comportement qui les différencie vraiment les uns des autres. Ils adopteraient les mêmes attitudes pour réaliser des objectifs de performance. Les OPCVM par exemple, de par leur nature, sont tenus de «surperformer» le marché. Et pour cela, ils doivent disposer d'un staff «pro», s'outiller, profiter de mini-tendances et pondérer les valeurs qui assurent le plus de performances. Généralement, ce sont des gestionnaires qui ne prennent pas trop de risques mais qui réalisent de bonnes performances. Certains fonds ont même atteint plus de 458% de résultat sur trois années glissantes. Pourquoi certains arrivent-ils alors à s'en sortir mieux que d'autres sachant que les règles de base devraient être les mêmes ? Les contraintes légales sont les mêmes pour tout le monde. Les ratios à respecter idem. Selon un professionnel senior, chaque institutionnel catégorise les valeurs en fonction de leur rendement et de leur risque, les classifie selon les capitalisations, puis élabore des analyses économiques et financières, des études quantitatives et qualitatives… Par la suite, une clé de répartition est établie. En tenant compte de ces étapes, tout le monde devrait alors aboutir au même résultat. Et non. «Tout le monde ne peut pas aller dans le même sens. Les choix des uns et des autres dépendront des horizons de placement, des niveaux de rendement, des choix des méthodes… Le consensus n'est donc pas créé sur le marché », explique notre source. Chaque fonds avait aussi pour habitude de se baser sur une gestion indicielle (qui lui permet de se prémunir contre des chutes brutales) dupliquée sur le Masi et de s'aligner sur les performances de l'indice. Mais apparemment, depuis le début de cette année 2008, quelques changements ont été opérés. «Chaque fonds a développé son propre caractère», soutient un gestionnaire de fonds. Un changement de cap au niveau des techniques de gestion ? Quoi qu'il en soit, nos institutionnels semblent politiquement corrects. Selon leur comportement sur le marché, ils prônent une gestion dynamique sans pour autant se livrer de bataille, contrairement aux pratiques sur d'autres marchés. C'est le cas par exemple des OPCVM, qui semblent jouer «cavalier» seul en respectant les autres. Et lorsque l'un d'entre eux souhaite créer une tendance sur une valeur pour réaliser des bénéfices, il a alors la voie libre. Il arrive que sur le marché, un institutionnel décide de miser sur une valeur sans raisons valables (pas d'annonces stratégiques, pas de nouvelles acquisitions ou d'investissements de grande ampleur…). Il commence alors à acheter, en petits paquets, des actions de cette entreprise. La valeur commence à prendre. Il choisit les bons supports. Elle est réservée à la hausse, une fois, peut-être deux, voire trois fois. Il a créé une mini-tendance. Dès lors où la réservation s'envole, d'autres investisseurs s'y intéressent. L'institutionnel, lui, a réussi son coup. Il peut maintenant se dégager en réalisant des plus-values. Selon certains traders, ces pratiques se produisent parfois sur des valeurs dans des secteurs comme celui des assurances, des banques ou de l'immobilier. Compte tenu de ce qui se passe aujourd'hui sur le marché boursier, ces institutionnels, qui représentent la plus grosse partie des volumes des transactions, doivent connaître aujourd'hui des jours difficiles. Plusieurs d'entre eux ont laissé beaucoup de plumes sur la place en soutenant trop certaines valeurs ou en investissant sur d'autres qui ont chuté brutalement. Mais personne ne vous renseignera sur les montants des pertes. «C'est un sujet tabou entre nous. Les acteurs du marché ne vous diront jamais combien ils ont perdu mais plutôt quels sont les bons coups qu'ils ont réalisés », reconnaît un professionnel. De toutes les manières, c'est au mois de mars et début avril 2009 que les choses deviendront plus claires. A l'annonce des résultats annuels de 2008, il risque d'y avoir nombre de surprises parce que les performances seront grevées particulièrement par les opérations boursières du deuxième semestre 2008. En attendant ces moments-là, les institutionnels, eux, devront procéder, comme à l'accoutumée, et comme chaque fin d'année, à plusieurs transactions pour faire du volume avec des opérations de contrepartie. Les opérations d'aller-retour se feront-elles aussi nombreuses que les années précédentes ? Les institutionnels ne devraient pas déroger à la règle en cette fin d'année. Ces opérations vont leur permettre de recourir à des compensations. Si des moins-values sont dégagées, alors, elles ne seront pas taxables. A j-27 de l'année 2009, certains espèrent encore des miracles. Des rumeurs circuleraient selon lesquelles le marché «devrait» finir l'année en beauté, c'est-à-dire renverser la tendance en quelques séances pour que la performance annuelle soit au moins positive. Beaucoup ne veulent pas croire en cette «pression politique». Ce serait pour eux du délire. Les institutionnels pourraient pourtant intervenir en force. Si cela se produit, ce serait dangereux, prédit un gestionnaire. «Quoi qu'on fasse sur le marché, on revient toujours aux niveaux naturels des valeurs». A quoi bon reporter les échéances?!