A travers un échange d'actifs avec Crédit Agricole SA (France), Attijariwafa bank s'est payé cinq banques africaines. En contrepartie, le Groupe marocain lui cède 24% dans Crédit du Maroc, 14% dans Wafasalaf et 400 millions de DH. Les dessous et retombées d'une opération menée dans la plus grande confidentialité. Décidément, c'est comme si c'était en période de crise financière que les banques cherchaient coûte que coûte à se fortifier. En effet, entre le Marocain Attijariwafa bank qui déborde de santé, mais qui cherche toujours à accélérer son développement sur le continent africain, et le Français Groupe Crédit Agricole S.A, échaudé par la crise et qui par ricochet a décidé de retirer ses billes de l'Afrique subsaharienne pour se concentrer uniquement sur l'Europe et les pays du pourtour méditerranéen, le deal était tout fait. Depuis, les deux groupes ont entamé des négociations dans la plus grande confidentialité pour aboutir ce 25 novembre 2008 à la signature d'un accord relatif à l'évolution de leurs participations respectives au Maroc et en Afrique subsaharienne. Ainsi, à travers cet accord, Crédit Agricole cède à Attijariwafa bank son réseau de banques de détail en Afrique. Il s'agit notamment du Crédit du Congo pour 81% du capital, de la Société ivoirienne de banque (51% du capital), de la Société camerounaise de banque (65% du capital), de l'Union gabonaise de banque (59% du capital) et du Crédit du Sénégal pour 95% du capital. Le montant global de ces transactions s'élève 250 millions d'euros, soit l'équivalent de 2,8 milliards de DH. En contrepartie, Attijariwafa bank cède à Crédit Agricole France les 24% du capital du Crédit du Maroc, détenus par sa filiale Wafa Assurance. Ce qui porte ainsi la participation du groupe français au capital de Crédit du Maroc à 77%. Le coût de cette opération se chiffre à 144 millions d'euros, soit 1,6 milliard de DH. De plus, Sofinco, filiale à 100% de Crédit Agricole France, va prendre dans un jeu de prise de participations croisées des intérêts dans Wafasalaf à hauteur de 15 %. Cela fera passer la part de Sofinco à 49 % du capital dans la société de crédit à la consommation, filiale de Attijariwafa bank, pour un montant de 71 millions d'euros, soit environ 800 millions de DH. Le poids des cinq banques Tout compte fait, il reviendra à Attijariwafa de verser l'équivalent de 400 millions de DH à Crédit Agricole. Sur ce point, le groupe marocain ne se fait pas de soucis. « Nous comptons sur nos propres moyens en interne. S'il le faut, nos actionnaires qui nous suivent dans cette opération seront également là pour ce faire », rassure le patron d'Attijariwafa bank. C'est à se demander qui des deux groupes a fait le premier pas ? Difficile d'avoir une idée nette sur la question. Mohamed El Kettani, PDG d'Attijariwafa bank et Jean Frédéric De Leusse, directeur général délégué de Crédit Agricole S.A (France), qui faisaient face à la presse, ont en effet esquivé l'interrogation. « Il y a eu un échange de regards comme dans les fiançailles », lance ironiquement Mohamed El Kettani. Aussi bien du côté marocain que du côté français, les deux groupes estiment qu'ils ont procédé à une opération gagnant-gagnant. Selon Jean Frédéric De Leusse, cette opération permet à Crédit Agricole de réinvestir 2,3 milliards de DH au Maroc. « Notre groupe comme beaucoup de groupes bancaires est pris dans la tourmente de la crise. Le Maroc n'est pas encore dans l'œil du cyclone. Cependant, nous traversons cette crise en étant forts. A l'international, notre stratégie, comme nous l'avons définie en mai dernier lors de l'augmentation de capital de notre groupe, privilégie les activités de banque de proximité en Europe, ainsi que dans le bassin méditerranéen. Par ailleurs, cette stratégie procède de la volonté du Crédit Agricole de conforter ses positions fortes comme c'est le cas au Maroc où la banque est implantée depuis 80 ans», dit-il. Le groupe marocain ne s'en cache pas : Crédit du Maroc doit figurer parmi les 5 premières banques dans le Royaume d'ici 2010. Reste à savoir si le réseau des cinq banques africaines de Crédit Agricole ne repose pas actuellement sur une certaine fragilité financière. A en croire Mohamed El Kettani, «ces nouvelles acquisitions affichent en 2007 un résultat net de 300 millions de DH, un PNB 2007 de 115 millions d'euros, un total bilan 2007 de plus d'1,4 milliard d'euros et un effectif de 1.350 employés». A coup sûr, cette opération d'envergure permet à Attijariwafa bank de conforter sa vocation d'acteur régional de premier plan, au Maghreb et en Afrique subsaharienne. C'est en 2004 que le groupe marocain a pris le soin d'étudier la possibilité de participer à la privatisation de la Banque du Sud en Tunisie. Il y renonce dans un premier temps, en raison de la très mauvaise santé financière de la cible. Il continue néanmoins à suivre de près l'établissement. Attijariwafa revient à la charge une année plus tard, pour concrétiser une prise de participation de 33 % dans le capital de la Banque du Sud, avec son partenaire espagnol Grupo Santander. Son management a l'ambition d'en faire le deuxième établissement tunisien à l'horizon 2010. La saga africaine d'Attijariwafa va se poursuivre en Afrique subsaharienne. En 2005, il crée une banque au Sénégal, en investissant quelque 35 millions de dirhams. Il va se renforcer davantage dans ce pays en rachetant en 2006 la Banque sénégalo-tunisienne (BST). Pourtant, il aurait certainement fait l'économie du lancement d'une banque en «greenfield» s'il avait eu la certitude de faire l'acquisition d'une banque de la taille et de la qualité de l'ex-BST, devenu Attijari bank Sénégal. Une année plus tard, il jette son dévolu sur la Compagnie bancaire ouest africaine (CBAO), devenue la deuxième banque du Sénégal. « Cette opération avec Crédit Agricole va nous permettre de consolider notre position au Sénégal. Outre Crédit Sénégal que nous venons d'acquérir, nous bouclerons la fusion absorption de CBAO par Attijari Sénégal avant la fin de l'année. Nous deviendrons ainsi la première banque du Sénégal», souligne le patron d'Attijariwafa bank. La première banque commerciale du Maroc, qui dès le premier jour, avait affiché son intention d'être le numéro un au Sénégal et dans la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine, regroupant le Bénin, le Burkina, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, la Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo), s'est payée la deuxième banque malienne, BIM (Banque internationale du Mali), il y a seulement deux mois, devant des concurrents de renom. Aujourd'hui, les filiales marocaines d'Attijariwafa en Tunisie, au Sénégal et au Mali, pèsent à elles seules 17 % du PNB du groupe marocain. Grâce également à son rachat du réseau africain de Crédit Agricole, Attijariwafa bank ajoute à sa « collection » le géant de l'UEMOA, la Côte d'Ivoire, à travers la Société Ivoirienne de banque qui occupe le sixième rang dans ce pays. Son arrivée à Abidjan permet de présager de belles empoignades avec les banques traditionnelles établies depuis longtemps dans ce pays. Cantonné jusque-là au Maghreb et à l'Afrique de l'Ouest, Attijariwafa vient d'un seul coup de déborder de ces zones et de prendre pied en Afrique centrale, dans la zone Cemac (Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale, regroupant le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine, le Tchad), notamment au Cameroun (où elle sera la 1ère banque), au Gabon (3ème) et au Congo (2ème). Le rachat du réseau africain du Crédit agricole lui permet donc de poser le pied dans des pays où elle n'était pas encore connue, et d'affirmer encore plus nettement sa volonté hégémonique. La restructuration ? Hors de question ! D'ores et déjà, les équipes d'Attijariwafa bank s'activent et ont une idée de ce qu'ils dérouleront dans ces pays. Elles comptent développer une politique permettant à chacune des filiales d'être un acteur de référence dans son pays. De nouvelles agences seront ouvertes ainsi que de nouveaux segments pour les ménages et les PME. « Nous allons dérouler des schémas de développement et nous écartons d'emblée les plans de restructuration. Nous allons dupliquer le modèle économique de Attijariwafa Europe dont le siège est à Paris sur nos filiales africaines», précise Mohamed El Kettani. En effet, Attijari Europe sera également mis à contribution. Il sera la tête de pont des banques africaines. Les entrepreneurs marocains sont également dans le viseur du leader marocain du secteur bancaire. Ce dernier compte également aider les entreprises marocaines à s'internationaliser dans le continent. Encore faudrait-il qu'il y ait d'abord toutes les autorisations nécessaires des autorités de ces pays. El Kettani est très optimiste sur la question. «Nous comptons les avoir toutes d'ici à la fin de juin 2009. La diplomatie jouera son rôle car nous donnons corps à la coopération Sud-Sud. L'économie rapproche», dit-il. En attendant, la septième banque du continent par le total bilan, et première au Maghreb, reste à l'affût de toute opportunité en Afrique. Dans les prochains jours, elle ouvrira une représentation à Tripoli en Libye.